D’après une enquête IFOP menée auprès des 11-24 ans, un jeune français sur six pense que la Terre est plate. Les résultats de cette enquête commandée par la fondation Jean-Jaurès et la fondation Reboot révélés jeudi dernier ne peuvent que susciter l’inquiétude voire la consternation.
Quand l’étude demande aux jeunes : D’une manière générale, avez-vous l’impression que la science apporte à l’homme plus de bien que de mal, plus de mal que de bien ou à peu près autant de mal que de bien ? A peine 33% répondent par la positive. Quand on découvre la suite de cette étude édifiante, on y lit que plus de 2/3 des jeunes croient à au moins une contre-vérité scientifique du type : les Américains ne sont jamais allés sur la lune, le réchauffement climatique est avant tout un phénomène naturel contre lequel on ne peut rien faire, …
Cette étude, loin d’être anecdotique, est symptomatique d’une école qui ne parvient plus à transmettre une culture scientifique commune ou d’élèves qui n’ont plus la capacité de l’assimiler. Ne devrait-elle pas être mise en perspective des résultats de l’étude PISA publiée en 2019 qui montrait un affaissement des résultats des élèves Français avec une 25e position en sciences ? Ce qui était confirmé par l’enquête Timms, une étude internationale publiée par l’IEA (International Association for the Evaluation of Educational Achievement) en 2020.
Les notions fondamentales qui constituent la base de la réflexion scientifique ne s’ancrent plus durablement laissant la place à la désinformation et aux croyances les plus obscures. Après ce constat, il faut se poser les questions qui font mal : Qu’est ce qui fait que les élèves sont plus portés à croire ce qu’ils voient sur Tik-Tok que ce qu’on leur enseigne à longueur de semaine ? Pourquoi les notions transmises au fil des heures de cours semblent glisser et ne pas se fixer dans l’esprit de nos jeunes ?
La crise sanitaire n’explique pas tout et il semble urgent de trouver des solutions à cette défiance des jeunes à l’égard des sciences et cela passe par plusieurs points.
Reconnaitre l’expertise des enseignants
Les élèves et leur famille ont parfois une vision très négative du métier d’enseignant, pas uniquement dans les disciplines scientifiques. Alors comment donner de crédibilité à ce que ce professionnel de l’éducation transmet au quotidien si on le voit comme « un looser » par rapport à l’influenceur en vogue ? Il serait bon que le métier d’enseignant soit enfin reconnu dans sa spécificité et dans sa technicité pour éviter que les élèves et leur famille ne méprisent de plus en plus cette profession et remettent en cause sa fiabilité. Il pourrait, par exemple, être judicieux d’éviter de laisser à penser que ce métier peut s’apprendre en 4 jours !
Agir sur le temps d’écran
Comment être disponible pour les apprentissages quand on consacre autant de temps les yeux rivés sur son téléphone portable ? Comment trouver le temps de dormir, s’oxygéner, de lire, de pratiquer du sport … d’avoir une vraie vie sociale dans ces conditions ? Quels impacts sur le fonctionnement du cerveau de cette addiction ?
Quel professeur n’a pas vu des élèves fatigués qui souffrent parfois de problèmes de concentration, de mémorisation. N’est-il pas impératif d’agir pour un usage plus raisonnable du téléphone portable ? On ne pourra pas filtrer tous les contenus plus ou moins fantaisistes des réseaux sociaux donc il faut limiter l’impact en encadrant drastiquement le temps face à écran pour éviter que les esprits poreux des jeunes ne soient au contact continu d’un flux d’inepties qui répétées à l’envi peuvent passer pour des vérités.
Quel parent d’adolescent n’est confronté à la difficulté de gérer à la maison l’omniprésence du smartphone ? Les parents ont besoin d’une aide externe pour légitimer ce qui pourrait être perçu par nos jeunes comme de l’abus de pouvoir ou de la tyrannie. Un plan d’actions « pour un usage raisonné des écrans par les jeunes et les enfants » existe mais il semble totalement sous-dimensionné au regard des dérives observées. A quand un plan d’ampleur pour s’attaquer à ce problème sociétal et de santé publique ?
Redonner du sens et de la place aux sciences
S’appuyer sur les représentations des élèves pour les déconstruire est visiblement une étape fondamentale avant de pouvoir introduire une nouvelle notion. Cela impose un dialogue avec le groupe classe ainsi que des échanges ouverts et respectueux de l’avis de chacun. A 35 élèves par classe, il n’est pas toujours aisé de mettre en place cette étape de la construction du savoir.
Par ailleurs, faire du lien entre les notions traitées en classe et leurs applications dans nos vies semble primordial pour montrer tout l’intérêt des sciences. A titre d’exemple, la chimie si souvent décriée est partout autour de nous et, le plus souvent, pour notre bien.
Enfin, le développement technologique et le bon fonctionnement de nos entreprises passent par des technicien(ne)s, des ingénieur(e)s, des chercheurs et chercheuses de qualité. C’est un domaine dans lequel les entreprises peinent à recruter car nous n’avons pas su rendre attractifs, dans le cadre de la construction du projet personnel d’orientation, ces métiers pourtant indispensables.
Pour conclure, l’école, comme outil d’émancipation, doit retrouver sa place dans notre société. On oublie parfois de dire à nos élèves qui nous demandent à quoi ça sert de travailler dans nos classes que cette culture scientifique va leur permettre de mieux comprendre le monde qui les entoure. Que ce bagage précieux est capital pour réfléchir par soi-même et aiguiser son esprit critique. Qu’il ne faut pas se limiter à la croyance qui se dispense de justification, qu’il faut avoir la curiosité d’aller plus loin et avoir la capacité de se construire un argumentaire recevable face aux idioties colportées par les plus crédules.
Malgré les signaux très négatifs fournis par cette étude qui pourraient décourager, l’obscurantisme ne doit pas gagner et il faut poursuivre le combat quotidien qui consiste à faire de nos élèves des citoyens éclairés.
Aurélie BADARD Professeure Physique Chimie
Lien vers le site de la fondation Jean Jaurès et l’enquête