Arrêter d’enseigner le français pour aller animer des ateliers d’écriture : c’est le choix courageux d’Hèlène Paumier, une professeure de lettres qui depuis des années inventait et menait des projets inspirants au Lycée Pilote Innovant International de Poitiers. Ce départ nait d’un engagement associatif et citoyen, qui fortifie expériences, compétences et valeurs. Ce choix vient aussi du constat que des « réformes du lycée ou Parcoursup deviennent des obstacles de plus en plus nets au bonheur et à l’émancipation des élèves. ». Et si Hélène Paumier quittant l’Education nationale avait bien des choses à lui apprendre ? Par exemple l’importance de l’écriture créative, de l’écoute, du collectif. Ou encore de nouvelles pistes d’activités comme le « phonomaton » …
Comment en vient-on à quitter le métier de professeur.e de lettres, un travail dans lequel, on le sait bien, vous vous engagiez avec passion ?
C’est un changement qui s’est fait de manière très progressive, véritablement. Depuis longtemps j’avais envie de professionnaliser mes activités d’animatrice d’ateliers d’écriture, de formatrice radio et de militante de l’éducation nouvelle et populaire. Je pense que l’élection des municipales de 2020 a été déterminante : en effet depuis juin 2020, je suis adjointe éducation à la ville de Poitiers. Je peux dire que ma vie a « basculé » en quelque sorte. La première année du mandat, j’ai pris un mi-temps et c’était à la fois très difficile de tout concilier mais aussi, comme je pense que j’ai réussi à le faire, très valorisant : cela m’a donné de la force, J’ai vu que je pouvais emprunter d’autres chemins. En 2021-2022, j’ai obtenu un congé formation et j’ai alors eu le temps de mûrir ce projet professionnel. Par ailleurs j’ai vraiment été accompagnée par quelques personnes, des co-élu.es, qui m’ont fait découvrir les structures de l’économie sociale et solidaire, plus particulièrement les coopératives d’activité et d’emplois : tout cela était en cohérence avec mes valeurs, avec ce en quoi je crois. J’avais trouvé le cadre financier, juridique, administratif pour créer de toute pièce mon « nouvoboulo » qui tresse donc les ateliers d’écriture, l’animation de groupe via l’intelligence collective, les outils de l’éducation populaire et la radio.
Cela n’a pas été le principal argument, mais il est vrai que la politique de l’État me pesait de plus en plus et les réformes du lycée ou Parcoursup devenaient des obstacles de plus en plus nets selon moi au bonheur et à l’émancipation des élèves ; en tant qu’enseignante j’arrivais encore à détourner tout cela mais au prix de combien de contorsions !
Vous animez désormais des ateliers d’écriture : est-ce à dire que vous voulez combler ainsi ce qui manque à l’enseignement des lettres au lycée ?
Oui, peut-être… En même temps j’aimais aussi beaucoup faire l’étude des textes, j’éprouvais du plaisir à faire des commentaires ou des dissertations avec mes élèves, à mettre en œuvre avec eux cette pensée analytique, structurante qui était parfois vraiment passionnante. Et puis j’arrivais malgré tout à utiliser l’écriture créative pour entrer dans les textes, pour les faire lire aussi. Non, en fait je ne comble pas, je ne le vis pas comme ça parce que je n’en étais pas si privée que cela mais comme je faisais tellement d’activités bénévoles et que mon emploi du temps, plus particulièrement mon temps, se resserraient, il fallait faire des choix : j’ai donc plutôt mis de côté la dimension très scolaire de mon activité et j’ai demandé une disponibilité.
En pratique, comment s’organisent de tels ateliers d’écriture ?
C’est vraiment difficile de répondre à cette question parce que chaque intervention, chaque prestation, est vraiment différente. Je peux dire que ce qu’il y a de commun c’est qu’à chaque fois, c’est la première étape : une rencontre d’au moins 2 h de discussion pour bien comprendre la demande qui est faite. Il est vrai que c’est plus ou moins simple : quand il s’agit d’intervenir dans un cursus de formation aux métiers de l’animation et qu’on me demande « voilà, il faut faire découvrir aux stagiaires des outils pour jouer avec les mots », je n’ai pas besoin de discuter longtemps. En revanche quand c’est la demande d’une entreprise – domaine que je connais moins aussi – ou d’une collectivité qui veut faire travailler des adultes sur leur posture professionnelle, sur la rupture du lien collectif au sein de l’entreprise, j’ai vraiment besoin d’avoir un temps de diagnostic long. Autre exemple : j’ai été contactée par un centre socio-culturel d’une municipalité de Nouvelle Aquitaine qui m’a fait la commande suivante : animer un débat sur le vote et la citoyenneté auprès de jeunes de 16 – 25 ans à partir d’ateliers d’écriture … waouh ! Dans un premier temps, je ne voyais pas comment faire ; j’ai d’ailleurs hésité à répondre favorablement ! J’ai d’abord été en lien avec le responsable « animation jeunesse » du centre socio-culturel. On a discuté un peu plus d’une heure et puis on a décidé d’organiser une rencontre en visio avec les quelques jeunes qui étaient à l’initiative pour leur proposer des pistes et voir comment je pouvais travailler un peu avec eux. Au fur et à mesure de leurs retours, j’ai mieux perçu ce qu’ils attendaient et j’ai pu construire une proposition concrète. Ce qui est commun donc c’est la prise de contact et la discussion pour établir un état des lieux, un diagnostic.
Comment se préparent ces ateliers ?
J’élabore véritablement un déroulé, une feuille de route de la séquence et là je vais chercher dans un dossier numérique que j’ai appelé ma boîte à outils et qui comprend trois grands axes : d’abord l’expertise des 25 ans d’atelier d’écriture avec mes idées d’atelier et là j’ai des propositions diverses et variées. Elles sont tout simplement listées et je vois s’il peut y avoir adéquation, pertinence ou pas avec ce qui m’est demandé. Ensuite j’ai un deuxième tiroir : c’est tout ce qui est écriture radiophonique, formation au son, à la prise de parole, à l’écoute. Ce sont des éléments qui s’inscrivent plus dans la question de l’oralité et plus dans la forme que le contenu. Ensuite j’ai un troisième « tiroir » où se trouvent les outils, les pratiques d’animation et là c’est vraiment ce que j’ai pu utiliser en cours ou en animation de groupes. C’est vraiment mon expertise de mise en œuvre pédagogique – dans les classes mais aussi dans les ateliers d’écriture ou les festivals, les médiathèques…Après c’est un peu la grande tambouille ! J’écris les scénarios, le déroulement. J’ai vraiment la sensation là de m’être inventé un métier qui me permet de lier mes trois activités précédentes.
Avec quel bilan des ateliers ?
Après le temps d’intervention, il y a toujours temps de bilan, des temps de retour, des temps d’écoute surtout de celles et ceux qui participent. J’ai besoin de savoir : qu’est-ce qu’on en a tiré ? qu’est-ce qui nous manque encore ? qu’est-ce qui était bien ? qu’est-ce qui était surprenant ? etc. J’ai une petite grille d’évaluation à chaud mais après je reprends toujours contact pour savoir ce qu’il en a été après, sur du temps plus long. Pour l’instant j’en suis très contente, fière aussi et très motivée parce que chaque employeur fait appel à moi à nouveau ! Il y a besoin aussi d’inscrire ces activités dans un continuum, cette activité bricolée que je ne peux pas appeler seulement atelier d’écriture.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’ateliers particulièrement féconds ?
Le premier qui me vient à l’esprit, c’est un atelier d’écriture de 2 jours avec trois mineurs sous main de justice et leurs deux éducateurs. On était donc six au total, pendant deux jours. Le temps qui était offert (2 jours, c’est rare !), le nombre de personnes, c’était une aubaine ! En plus, on déjeunait ensemble. On a fait tous les 6 un parcours de vie et de rencontres humaines. Et vraiment je pense que la question de la rencontre est au cœur des ateliers d’écriture que j’anime ; peut-être que c’est prétentieux de dire cela mais dans un moment où la rencontre n’est pas forcément facile, entre les différentes cultures, entre les hommes et les femmes, entre les générations… je trouve que c’est important d’y être attentive. Pour revenir à ces deux jours d’atelier… et bien, c’était vraiment une expérience géniale ! Quand le premier jour je suis entrée dans la salle et que j’ai vu ces trois jeunes, je me suis dit « je ne vais pas réussir à les faire écrire, je ne vais pas arriver à les faire parler, je ne vais pas arriver à les faire communiquer ! ». Les deux éducateurs qui – s’ils me lisent ils ne diront pas le contraire – étaient réfractaires, c’était leur cheffe de service qui leur avait proposé… enfin imposé ! Et puis moi je n’avais jamais fait ça : la Protection
Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) c’était un monde que je ne connaissais pas. À l’issue des deux jours, je crois que personne ne pourra nous enlever ce qu’on a vécu ! On a été très émus, on a écrit seuls, on a écrit en groupe, on a écrit sur le groupe, on a écrit sur la vie, on a écrit sur la famille, on a écrit sur leur histoire (je ne le demandais pas d’ailleurs, je n’avais pas envisagé d’aller gratter vers les bêtises pour lesquelles ils étaient jugés et puis ça s’est dit par besoin de se raconter). C’était génial, on est ressort complices et c’était vraiment chouette !
L’autre atelier auquel je pense c’est le travail mené avec une entreprise de Foodtrucks à Toulouse. On a beaucoup travaillé de manière très perecquienne (sans que je le dise) sur l’infraordinaire, sur les temps et les espaces professionnels. Ils avaient entre 20 et 35 ans, des gens assez éloignés de l’écriture. Ils ont tout de suite été captés, ils raccourcissaient les pauses ! Ils ont formulé quelque chose qui me semble important : ce qu’ils ont gardé, c’est l’importance d’avoir été écoutés. Ils avaient pu s’exprimer et être écoutés, à la fois par moi parce que ça la qualité d’écoute dans les ateliers d’écriture je trouve que c’est fondamental, mais aussi par le groupe.
Quels plaisirs et intérêts les participant.es à de tels ateliers y trouvent-ils ?
Le plaisir et intérêt, c’est d’abord la création de liens ; quand on écrit ensemble, on crée des liens : je reviens sur ce terme de rencontre finalement. Je crois que le plaisir et l’intérêt aussi c’est d’avoir un espace d’expression et d’écoute et c’est tout de même assez rare que des espaces-temps soient réservés à cela. Enfin, je crois que la question des émotions en général est aussi au centre de ces ateliers. Je ne vise pas l’émotion en particulier quand je choisis des propositions ou que j’élabore un déroulé, mon objectif c’est bien justement de répondre aux objectifs ! Cependant, on n’écrit pas, on ne lit pas, on n’écoute pas sans s’exposer aux émotions et au sensible. La surprise, le rire, l’empathie, le sentiment de reconnaissance, tout cela crée de la connivence. On revient à la rencontre, avec les autres et avec soi-même.
Quels plaisirs et intérêts y trouvez-vous vous-même ?
D’abord j’y trouve le même plaisir, les mêmes intérêts que les participants parce que souvent j’écris avec eux. L’intérêt plus personnel c’est d’éprouver à chaque fois la singularité d’une demande, de m’y adapter, d’être à l’écoute, de proposer et de tester sans avoir une recette toute faite. À chaque fois, c’est nouveau en somme et à chaque fois, c’est un peu un défi. La continuité avec mon métier d’enseignante est assez évidente là : s’adapter à chaque fois à des élèves, à un groupe. Chaque nouveau « contrat » est un défi. Alors, je ne cours pas après les défis, ce n’est pas vraiment ma nature ni mes valeurs, j’aime bien quand c’est tranquille aussi mais c’est vrai que j’ai la sensation parfois d’être une débutante, d’être jeune parce que j’ai construit vraiment cette activité et si je faisais des ateliers d’écriture, de la radio et de l’animation de groupe depuis 20/25 ans, là j’ai souhaité tresser ces trois domaines et travailler avec des publics nouveaux pour moi.
Vous continuez aussi l’aventure de la webradio avec Radio Bulot : de quoi s’agit-il ? en quoi consistent en particulier les « phonomatons » ?
L’aventure de radio Bulot a vu le jour il y a 5 ans dans le cadre du Festival Pirouésie : il s’agissait de donner à entendre et archiver via le media radio les productions artistiques réalisées pendant le festival. Le phonomaton est une invention de cette année : c’est comme un photomaton mais avec du son et sans photos ! Vous rentrez dans un isoloir, il y a plus d’une douzaine de questions accrochées au mur, vous en tirez une au hasard et vous appuyez sur le bouton pour enregistrer votre réponse.
De tels dispositifs vous sembleraient-ils pouvoir revitaliser l’enseignement du français ? Comment ?
Oui ce sont des dispositifs qui revitalisent l’enseignement du français…quand il a besoin d’être revitalisé ! Je tiens vraiment à dire combien nombre de collègues insufflent de la vie, de l’intensité dans leurs cours ! J’ai eu la chance de grandir professionnellement dans un environnement réel ou virtuel (via Twitter notamment) où j’ai fait des tas de rencontres très, très enrichissantes. Pour revenir à la question, là où l’enseignement du français a besoin d’être revitalisé, oui je pense que ce sont des dispositifs qui fonctionnent. Si on veut parler des programmes de l’Éducation Nationale, je ne pense pas que ce soit l’esprit et en même temps, je ne pense pas que ce soit incompatible… c’est-à-dire qu’on peut très bien dans le cadre d’une lecture analytique, partir d’un atelier d’écriture, on peut travailler en groupe et il y a des tas d’enseignants qui le font. C’est difficile pour moi de répondre à cette question parce qu’il y a tellement de réalités différentes de l’enseignement du français entre la maternelle et l’université.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
2020 : Aérer la pédagogie du français
2020 : Oser la création radio au lycée
2019 : Ecriture numérique de soi
2017 : Quand des lycéens créent une maison d’édition