Loïc Szerdahelyi, maître de conférence à l’Université Lyon 1 a dirigé le livre « Quelle égalité pour l’école ». Un livre qui fait le point sur la place de l’école dans l’émergence d’une égalité des sexes dans notre société. Il répond à nos questions.
L’éducation à l’égalité est une thématique largement abordée au sein de notre société. Cela signifie-t-il pour autant qu’il y a une réelle prise de conscience ? Que les politiques mises en place mettent en œuvre des « modalités » suffisantes pour y parvenir ?
La question politique est au centre de l’ouvrage. En posant la question Quelle égalité pour l’école ? ce livre collectif valorise l’articulation entre le pédagogique et le politique. L’idée est de dépasser la légitime préoccupation du « comment faire – comment enseigner en égalité ? » pour passer au « pourquoi/pour quoi – quel projet d’égalité voulons-nous porter ? ».
Dans le chapitre « Errements des politiques éducatives d’égalité franco-suisses » rédigé par Sigolène Couchot-Schiex et Isabelle Collet, les autrices interrogent de manière ciblée les politiques éducatives d’égalité, notamment leurs évolutions, leurs apports, leurs limites. À la lumière de ce texte, je peux répondre à votre question de deux façons.
Il faut d’abord reconnaître une prise de conscience, un volontarisme politique pour prendre en charge l’objectif d’égalité. La réflexion politique a évolué en passant de l’énoncé du principe à des propositions d’actions, des mises en œuvre concrètes. On peut en ce sens observer une succession de conventions signées depuis les années 80, où la question de l’égalité des sexes est centrale. Actuellement, la Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, qui court depuis 2019 et jusqu’en 2024, soutient des initiatives telles que : la formation de l’ensemble des personnels à l’égalité, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ou encore, l’orientation vers une plus grande mixité des filières de formation.
Une autre manière de voir les choses m’amène à vous répondre que ce n’est pas si simple. On peut justement questionner la récurrence de ces conventions, puisqu’elles sont généralement signées tous les cinq ans. Certes, il existe une nécessaire actualisation en fonction de l’évolution des connaissances. Mais n’est-ce pas aussi le signe d’une certaine inefficacité, d’un affichage politique dont les actions n’arrivent que partiellement à atteindre leur cible ? C’est tout l’enjeu du livre que de mettre en tension cet aspect à travers l’articulation entre le politique et le pédagogique sur la question de l’égalité.
Vous évoquez une « égalité sans condition » et une « égalité sous conditions ». Quelle est la nuance ?
Ces expressions sont issues des travaux de Réjane Sénac en sciences politiques et rejoignent les conclusions des recherches menées en sciences de l’éducation.
En effet, l’école produit et reproduit une égalité sous conditions. On parle d’une « égalité sous conditions » lorsque les pratiques – à différents niveaux – s’éloignent du principe républicain censé assuré l’égalité sans distinction de sexe, de classe sociale, d’origine ethnique, de sexualité. Dans ce cadre-là, l’égalité est conditionnée en fonction de principes de justification et négociée par rapport à ce qu’elle peut générer comme plus-value. Dans son chapitre « Pour une mixité plus égalitaire », Nicole Mosconi montre par exemple que « l’égalité des chances à l’école signifie une égalité sous conditions de résultats scolaires et de comportements conformes aux normes de la vie scolaire, ce qui revient à imposer une éthique utilitariste de la performance ».
D’où l’idée de faire un pas de côté et de se projeter vers une égalité sans condition. L’expression est, peut-être, un peu polémique comme l’observe Marie Duru-Bellat en conclusion du livre. L’égalité sans condition est un horizon politique de non-domination structurelle et relationnelle. Il s’agit ici de se positionner entre ce qui est et ce qui pourrait être, de considérer les élèves dans ce qui les unit, de les considérer comme des semblables. Les différents chapitres du livre mettent en lumière plusieurs principes d’action pour porter une égalité sans condition. Le premier, comme je l’ai dit, est de mettre en tension le pédagogique et le politique. Un autre principe serait de privilégier les pratiques transformatrices aux pratiques correctives. Un exemple de pratique corrective en EPS existe lorsque le but en sports collectifs rapporte 3 points si une fille marque, 1 point si c’est un garçon. Ce type de pratique vise explicitement à corriger une injustice – matérialisée par le fait que les filles marquent moins souvent que les garçons – mais reproduit implicitement les assignations de genre car les filles peuvent uniquement marquer en tant que filles. Elles sont ainsi intégrées pour la même raison qui faisait qu’elles ne l’étaient pas auparavant, à savoir : leur différence de sexe. Plusieurs travaux montrent que ces pratiques correctives prennent le risque de figer les différences, de les essentialiser. Au contraire, les pratiques transformatrices visent à bousculer l’ordre du genre, l’ordre social tel qu’il reproduit les inégalités.
Aujourd’hui, au sein de l’institution scolaire, y a-t-il une vraie mobilisation pour une mixité réussie, pour une école égalitaire où la place de chacun n’est pas liée à son sexe ?
Il y a de toute évidence une mobilisation à l’échelle des actrices et des acteurs de terrain. Je pense notamment aux projets et expérimentations pédagogiques en cours, que révèlent les réseaux professionnels. Je pense aussi aux référents et référentes égalité puisque la convention interministérielle dans laquelle le système éducatif se situe aujourd’hui institue un réseau de personnes ressources au niveau ministériel, académique et local. La perspective est de les déployer de manière encore plus fine au sein des établissements.
Un point central des réflexions sur l’égalité est que les élèves en mixité ne soient pas stricto sensu assignés à leur sexe de naissance, avec des qualités « naturellement » féminines ou masculines. Cette manière de raisonner ne correspond pas à la complexité des expériences. L’idée est donc de reconsidérer en situation les rapports de pouvoir. Pour revenir sur l’exemple de l’EPS, dans une classe, il y a des filles sportives et des garçons qui ne le sont pas. Raisonner en termes de filles/garçons ne correspond donc pas à la réalité des parcours car en EPS, une fille sportive pourra être dominante par rapport à un garçon non sportif.
L’ouvrage invite en ce sens à croiser, articuler les catégories d’analyse – de sexe, classe, sexualité… – pour inventer de nouvelles manières de fonctionner. L’enjeu est de gagner en créativité pour sortir de la binarité sexuée qui structure les pratiques.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Quelle égalité pour l’école » paru aux éditions l’Harmatan, collection Savoir & Formation
ISBN 978214287503