« Les constats sont durs… Ils conduisent à la défiance générale ». Six mois après son arrivée rue de Grenelle, Pap Ndiaye signe une tribune très critique sur l’action de JM Blanquer. Et il met en avant ses projets. Problème : peut-on dresser un bilan très négatif de l’action de son prédécesseur et « en même temps » prolonger sa politique ? Car, malgré la rengaine de la « refondation », les mesures annoncées par P Ndiaye se situent dans la continuité de la politique menée par JM Blanquer. Les nominations ministérielles de ces derniers jours confirment, elles aussi, que rien ne change. La question de confiance reste posée.
Un bilan qui épargne les professeurs
« Les constats sont durs. Ils concernent la crise du recrutement des professeurs, plus aiguë lors de chaque rentrée. Ils concernent le niveau des élèves, dont les comparaisons internationales révèlent les lacunes préoccupantes ». Dans une tribune donnée au Monde le 22 décembre, Pap Ndiaye signe un bilan très négatif de l’action de JM Blanquer. « Un Français sur deux ne fait pas confiance à l’institution scolaire, bien que les trois quarts d’entre eux fassent confiance aux professeurs », affirme le ministre de l’Éducation nationale.
Le principal changement est là. Il situe le problème dans l’action de son ministère et non chez les enseignants alors que depuis 2017 la politique menée visait à dresser les parents contre les professeurs.
La même pédagogie
Par contre, on chercherait en vain une nouvelle politique. Le ministre confirme la priorité aux fondamentaux (« il faut encore insister sur les enseignements fondamentaux ») qui a pourtant appauvri l’enseignement et n’a visiblement pas porté de fruits. Il annonce une réforme du collège dont les orientations ont été prises avant lui. Renforcer le français et les maths en 6ème, « faciliter le passage de l’école primaire au collège » avaient déjà été annoncés par JM Blanquer. Ces priorités, l’insistance mise sur un cycle Cm1-Cm2-6ème, reflètent aussi la volonté d’employer au collège les professeurs des écoles rendus disponibles par la chute du nombre des élèves dans le premier degré. P Ndiaye confirme l’engagement présidentiel sur la « découverte des métiers » à partir de la 5ème.
Mixité sociale et marché scolaire
Là, on rejoint la deuxième politique annoncée par P Ndiaye. « Nous devons lutter contre tous les déterminismes sociaux et toutes les assignations », écrit P Ndiaye. Il donne en exemple la publication des IPS. « Nous avons récemment publié les indices de positionnement social des collèges et nous le ferons prochainement pour les lycées ». C’était aussi la demande de la députée LREM Fiona Lazaar dont la proposition de loi de 2021 « visant à sceller le pacte républicain en renforçant l’égalité des chances » voulait renforcer la mixité sociale des établissements scolaires en publiant les IPS, en liant le soutien des collectivités locales à ces IPS et en envoyant des personnels d’entreprises privées aider à l’orientation des élèves. Ces demandes sont maintenant satisfaites.
Pap Ndiaye se situe exactement dans cette proposition de loi en annonçant que « des objectifs seront assignés aux recteurs d’académie, qui, en lien avec les collectivités territoriales, pourront notamment agir sur les affectations scolaires. L’enseignement privé sous contrat devra apporter sa contribution à cet effort ». La formule reste vague. Mais les moyens dont disposent les établissements sont déjà liés à leur composition sociale. La situer au niveau local ne peut qu’affaiblir la seule politique nationale concrète de lutte contre les inégalités sociales : l’éducation prioritaire. Quant à la publication des IPS, saluée par le ministre comme un progrès, on va pouvoir en mesurer les effets en termes de contournements de la carte scolaire dès la prochaine rentrée. Elle a surtout pour effet de mettre davantage en concurrence les écoles et établissements.
Le métier enseignant rattrapé par le Grenelle
Le ministre confirme aussi dans sa tribune les orientations présidentielles sur le métier enseignant. Déplorant « la perte d’environ 15 millions d’heures d’enseignement » il confirme « un changement structurel grâce à un nouveau pacte avec les professeurs, qui, par l’évolution de leurs missions, pourront mieux accompagner chaque élève, assurer des remplacements de courte durée, se former hors du temps d’enseignement, etc. ». Ce n’est rien d’autre que l’application du Grenelle organisé par JM Blanquer. Certains aspects, comme la formation hors temps de travail, sont déjà inscrits dans les textes. Mais jusque-là, le ministère s’était gardé de les appliquer. Même remarque pour le projet de « repenser les modalités de recrutement » qui se sont traduites d’abord par le report en fin de M2 du concours, réduisant d’autant le nombre de fonctionnaires » et maintenant par le recrutement de professeurs des écoles par concours interne au niveau DEUG ou BTS.
Des nominations qui prolongent l’action de JM BLanquer
La tribune de P Ndiaye signe donc une accélération des orientations données par Emmanuel Macron et JM Blanquer lors du 1er quinquennat. Comme pour la réforme des retraites, on lit actuellement la volonté de réaliser très rapidement ce qui n’a pas été fait entre 2017 et 2022. Le terme de « refondation » qui couvre cette politique est trompeur. Et nous revoilà au rayon confiance…
Cette continuité politique se retrouve dans les nominations effectuées par Pap Ndiaye durant ces dernières vacances. Elles étaient guettées car elles sont signifiantes par rapport aux orientations ministérielles. Le souvenir de JM Blanquer y était déjà fortement marqué par le choix de JM Huart comme directeur de cabinet.
La nomination, le 29 décembre, de Matthieu Lahaye, ancien conseiller pédagogique de JM Blanquer, comme sous-directeur des savoirs fondamentaux et des parcours scolaires au sein du service de l’instruction publique et de l’action pédagogique à la direction générale de l’enseignement scolaire est particulièrement significative. En dépit de la baisse du niveau des élèves et de la démotivation des enseignants, les orientations pédagogiques du ministère vont rester les mêmes. C’est probablement la plus mauvaise nouvelle de la rentrée.
Le conseil des ministres du 22 décembre a nommé Boris Melmoux-Eude directeur général des relations humaines du ministère de l’Éducation nationale. Ancien directeur de cabinet d’A de Montchanin, il a rédigé en 2011, pour l’Institut Montaigne, un rapport » Pour une fonction publique audacieuse et “Business friendly” ». Ce rapport porte des idées que L Chatel a tenté de mettre en place en 2012 comme l’évaluation des enseignants par la seule hiérarchie de proximité, les personnels de direction. Selon le rapport il faut « consolider un encadrement de proximité » et lui reconnaitre « la responsabilité de gérer son équipe », favoriser l’alternance entre privé et public, remplacer les concours par « un processus de sélection complet qui ne se limite pas aux seules connaissances académiques ». Cette nomination se situe dans la continuité de la loi de transformation de la fonction publique et du Grenelle de l’éducation.
Le 25 novembre, invité par le Café pédagogique et Libération au Salon de l’éducation, Pap Ndiaye demandait du temps. » Je reconnais le scepticisme, la fatigue des enseignants et des équipes de direction qui sont pris par des injonctions trop fortes et des tâches accumulées », disait-il. « Je pense qu’en dépit du scepticisme et de la fatigue, il est possible d’initier un mouvement et de le faire avec le maximum de pédagogie sans mettre en concurrence les établissements… Il y a un chemin pour avancer ensemble. Donnez-moi un peu de temps ». Pour cela, il faudrait ouvrir d’autres perspectives que celles dessinées lors du précédent quinquennat.
François Jarraud