Alors que V. Peillon reçoit les syndicats d’enseignants le 4 février pour évoquer, entre autres, la revalorisation de leur rémunération, une étude de Bruno Suchaut (IREDU), que nous publions, met en évidence le déclin des revenus réels des enseignants du primaire sur une génération. Ce travail compare les revenus réels perçus par une institutrice qui aurait pris sa retraite en 2006 avec ceux d’une professeure des écoles entrée en IUFM en 1990. D’après le calcul de Bruno Suchaut, la professeure des écoles ne commence à gagner davantage que l’institutrice qu’à partir de 64 ans, c’est à dire bien tard. Par conséquent, la revalorisation des enseignants du primaire n’est pas justifiée que par rapport aux enseignants du secondaire. Elle l’est aussi par un réel déclassement d’une génération l’autre. Ce sentiment, déjà très présent chez les professeurs des écoles, est mis en évidence par Bruno Suchaut.
On savait déjà, grâce à l’OCDE, que les enseignants du primaire français sont parmi les plus mal payés des pays développés. Et que, toujours selon l’OCDE, ils ont aussi les plus longs temps d’ancienneté devant les classes les plus chargées des pays développés. Mais on pouvait penser que la création du corps des professeurs des écoles, avec sa grille indiciaire supérieure à celle des instituteurs, avait amené une amélioration salariale pour les enseignants du primaire.
C’est ce que remet en question Bruno Suchaut. Il fait intervenir plusieurs éléments qui relativisent l’écart théorique entre les grilles indiciaires des deux corps. L’institutrice entrée en école normale en 1969 a pu travailler et être rémunérée bien avant la professeure des écoles entrée en IUFM en 1990. En 1969 on devient instituteur soit par pré recrutement après la 3ème, soit après une terminale. On est salarié tôt et on accumule des revenus à une époque où au contraire les études longues des professeurs des écoles coûtent cher. Secondement, la valeur réelle du point d’indice fonction publique s’est nettement dégradée depuis les années 1980. Aujourd’hui elle est inférieure au niveau de 1958 ! En même temps les professeurs des écoles ont perdu l’indemnité de logement qui était due aux instituteurs. Enfin l’accès à la hors classe est rarissime chez les professeurs des écoles ce qui réduit l’avancement indiciaire réel. « Tout cela conduit à des écarts de rémunérations très importantes depuis la fin des études secondaires jusqu’à l’entrée dans le métier à l’avantage des instituteurs et à un niveau de rémunération assez proche entre les deux corps entre 25 et 50 ans. Il faut attendre la fin de carrière des professeurs des écoles, avec l’accès à la hors classe, pour que la revalorisation porte ses fruits. Le problème est que cet accès à la hors classe est actuellement très restreint ». Ce que donne à entendre B. Suchaut c’est que les professeurs des écoles ne commencent à avoir davantage de revenu que les instituteurs qu’ à partir de 64 ans, quand c’est trop tard… Les instituteurs, eux, partaient ne retraite à 55 ans.
Que faire pour que la génération actuellement en poste ne soit pas déclassée par rapport à la génération antérieure ? « Une première possibilité à court terme serait d’opter pour l’octroi d’une prime qui serait versée annuellement au personnel du premier degré, mais au-delà de la question de son montant, cela ne conduit pas à une véritable revalorisation du métier puisque cette prime ne correspondrait pas à une bonification indiciaire susceptible d’accélérer la carrière », explique B Suchaut. « Une seconde possibilité, plus pérenne dans ses effets, est de reconsidérer la grille d’avancement des professeurs des écoles en autorisant une progression plus constante des augmentations de salaire au fil de la carrière. Cela passerait principalement par la reconsidération de la hors classe qui, dans les faits, est très peu accessible. On pourrait ainsi envisager une grille d’avancement unique avec un étalement progressif de tous les échelons qui permettent à tous les enseignants d’atteindre, avant la fin de leur carrière, l’indice du dernier échelon de la hors classe actuelle. Cela permettrait sans doute aux enseignants d’imaginer une perspective d’évolution professionnelle à la fois plus rassurante et moins aléatoire ».
Le sentiment de déclin ressenti fortement par de nombreux professeurs des écoles a bien un fondement réel en terme de rémunération et de carrière. Il est aggravé par le fait que le métier est aussi devenu plus difficile parce que les attentes des parents, la diversité des enfants et la pression des programmes ont fortement augmenté. C’est ce sentiment qui aujourd’hui joue contre la refondation de l’école. Vincent Peillon explique depuis plus d’une semaine qu’un relèvement des rémunérations des professeurs du primaire ne serait que justice par rapport aux enseignants du primaire. Elle est aussi justifiée au regard du déclin réel de la profession.
François Jarraud