Par François Jarraud
Signe des temps : c’est à Bercy que se construit aussi l’avenir des jeux sérieux à l’Ecole. Vendredi 4 novembre, le Ministère de l’économie (DGCIS) organisait un colloque pour le 1er Bilan de l’appel à projets Serious Game. 47 jeux ont bénéficié de cet appel à projets dont au moins trois sont assez avancés pour être confiés aux élèves d’ici la fin de l’année. Pour autant l’intégration de ces jeux dans les établissements pose de vrais problèmes pédagogiques et de culture scolaire.
Organisé par la Direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services (DGCIS), ce colloque abordait le bilan de l’appel à projet ministériel lancé en 2008 sous l’angle de l’entreprise. Or la majorité des participants appartenait au monde de la formation professionnel et de l’éducation, ce qui est un signe de l’intérêt de ces secteurs pour les jeux sérieux.
Pour l’Ecole, la principale information c’est la prochaine disponibilité, grâce au soutien ministériel, de plusieurs jeux destinés aux scolaires. Quatre d’entre eux ont été présentés.
Kompany, développé par Ouat Entertainment, est un jeu de simulation d’entreprise sur Facebook. D’après Frédérique Doumic, CEO de Ouat Ent., le jeu a été réalisé à la demande d’un inspecteur de l’académie de Poitiers. Les élèves doivent faire grandir leur entreprise en développant ses différents services en s’appuyant sur des partenaires (qui sont aussi les partenaires réels qui appuient le développement du jeu !). C4est un jeu très prenant car les jeunes doivent lancer des projets, récupérer des points et des bonus. Certaines tâches durent 2 ou 3 minutes mais d’autres peuvent les mobiliser sur des durées plus longues. Le jeu nourrit donc une certaine dépendance comparable à celle des jeux vidéo. Le joueur apprend comment fonctionne une entreprise, quels sont ses services, comment les construire, quelles tâches leur confier, comment faire grandir son entreprise. Dans son genre ce jeu semble une parfaite réussite aussi bien dans le plaisir prenant qu’il dégage que par son graphisme. Enfin il est développé pour Facebook et participe donc à l’univers des lycéens et collégiens. Par contre il lui manque la dimension critique ou même l’épaisseur humaine des vraies entreprises.
Star Teachers, développé par Wizar Box, Voxler et Itop, est une plateforme d’apprentissage de l’anglais. Le jeu s’appuie sur des extraits de films célèbres (les Blues Brothers par exemple) pour inviter le joueur à construire les dialogues par écrit (en travaillant la grammaire par exemple) ou oralement, avec un logiciel qui fait travailler l’accent. C’est un produit moins amusant que Kompany, plus sérieux et scolaire. Mais sans aucun doute suffisamment prenant pour que les élèves l’utilisent et progressent.
Jeu serai, également de Wizarbox, s’adresse aux étudiants et aux adultes plutôt qu’aux scolaires. Il les plonge dans des situations concrètes et ludiques permettant d’analyser leurs comportements pour faciliter leur démarche d’orientation.
Un quatrième jeu n’a pas été présenté. Développé par Idées-3Com, Format Store s’adresse à des étudiants d’école de commerce pour les former à la gestion de magasins de type supermarché. Comme d’autres jeux destinés à la formation professionnelle que nous avons déjà présentés, il faudra voir à quelles conditions son portage peut se faire dans les filères commerciales de l’enseignement scolaire.
Avec une quarantaine d’autres produits, ces jeux ont bénéficié de l’appel à projet lancé en 2008 par le gouvernement. Au total 47 projets se sont partagés la vingtaine de millions investis par l’Etat. En ouverture du colloque, Eric Besson, ministre de l’industrie, a rappelé l’intérêt du gouvernement pour un secteur perçu comme un relais de croissance pour les entreprise du jeu vidéo, un secteur où la France excelle. « Je souhaite que la France soit leader en matière de serious game », a déclaré le ministre, estimant que les entreprises pourraient grâce à lui accroitre leur productivité.
Pourtant le secteur se porte plutôt mal. Après un décollage en 2009, 2010 a vu le nombre de titres diminuer d’un tiers, a expliqué Laurent Michaud, cabinet Idate. La demande est moins importante que prévue. La plupart des projets engagent moins de 50 000 € de développement. Le marché français pèse environ 50 millions d’euros ce qui est lilliputien par rapport au jeu vidéo. Pour le moment les Etats-Unis dominent le marché de très loin et ils investissent massivement le secteur de l’enseignement. En France , les secteurs de la formation et de l’éducation qui représentaient 75% du chiffre d’affaire en 2005 sont tombés à 42%, dont 31% pour la formation professionnelle.
L’avenir immédiat du jeu sérieux se décide avec des applications dans le domaine de la santé (plusieurs produits ont été présentés) et de la formation continue. Dans ces deux domaines, les jeux permettent d’économiser des milliers d’heures de formation. Yves Dambach, de KTM Advance, a pu montrer que pour une entreprise c’est très rentable de passer de la formation en présentiel à une formation en ligne. En même temps le jeu facilite l’intégration des salariés et mobilise le personnel.
Les choses sont bien différentes pour le jeu développé pour l’enseignement où se rencontrent des obstacles à la fois économiques , administratifs et scolaires. Le modèle économique reste à trouver. Dans l’école telle qu’elle fonctionne on ne peut imaginer ni laisser les élèves jouer en classe sans accompagnement, ni diminuer les heures de cours pour libérer du temps de jeu. Si le jeu est efficace il ne permettra pas les gains financiers que permet le jeu sérieux en formation professionnelle.
L’histoire du jeu Kompany montre que le jeu sérieux pour l’enseignement se heurte encore à d’autres problèmes. Ce jeu développé à l’initiative d’un inspecteur et avec le soutien initial du rectorat de Poitiers n’a finalement pas eu le soutien de l’académie, nous a confié F Doumic. Le recteur n’a pas financé un jeu qui se joue sur Facebook, un site systématiquement bloqué dans les établissements scolaires ! Le timing du jeu semble aussi inadapté au timing scolaire. On joue à Kompany par petites tranches de dix minutes qu’on peut espacer ou pas sur des durées variables. C’est très bien adapté à la vie adolescente mais évidemment sans rapport avec le découpage horaire qui est à la base du fonctionnement d’un cours d’économie. On a donc là un vrai jeu pour l’enseignement qui ne trouve pas place dans le modèle scolaire. Enfin, Michèle Barrière l’a fait remarquer lors du colloque, les jeux sérieux souffrent parfois d’un manque d’expertise pédagogique. L’aspect jeu peut l’emporter sur le sérieux. Cela reflète d’ailleurs les origines des entreprises du secteur du jeu : certaines viennent du jeu vidéo, d’autres du multimédia éducatif.
Ce retour sur expérience, le Café essaiera de vous le faire revivre lors de la table ronde qu’il organise le 23 novembre lors du salon Educatice. Vous y trouverez des enseignants qui utilisent les jeux sérieux avec les élèves comme Pradeepa Thomas en BTS Banque, Hélène Michel de l’ESC Chambéry ou Julien Llanas, chargé de mission dans l’académie de Créteil. Vous rencontrerez aussi certains de ces nouveaux jeux comme Brigitte Redon , responsable de production de Star Teacher.
François Jarraud
Liens :
Les nouveaux jeux sérieux arrivent
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/04/06s[…]
Les jeux sérieux ont-ils un avenir à l’Ecole ?
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Dossier : Enseigner avec le jeu ?
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Les jeux sérieux permettent-ils d’apprendre ?
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Les conférences d’Educatice
http://www.educatec-educatice.com/animations_30_396_418_p.html