Comment travailler différemment la démarche scientifique et porter aussi l’accent sur l’oral ? Mélanie Fenaert, professeure de SVT au lycée Blaise Pascal à Orsay a conçu le jeu d’évasion MagicAspic pour les lycéens. En lien avec les exigences des épreuves expérimentales (ECE) et du grand oral, le jeu traite de la technique d’immunodiffusion d’Ouchterlony. Entre manipulateurs et orateurs, les rôles sont partagés parmi les lycéens séparés dans deux pièces qui doivent communiquer entre eux avec un vocabulaire adapté. « Une fois le protocole correctement suivi, les manipulateurs peuvent sortir et rejoindre les orateurs. Un compte-rendu est à compléter en communiquant et exploitant les résultats ». La prise de parole claire est ici la clé de la réussite.
Quels sont les objectifs pédagogiques de ce jeu virtuel autour de l’immunité ?
MagicAspic est un jeu d’évasion semi-virtuel destiné aux élèves de première spécialité SVT, qui poursuit plusieurs objectifs pédagogiques : une meilleure compréhension de l’articulation des quatre moments de l’épreuve expérimentale (indépendamment de la mouture, qui va un peu varier l’an prochain) et un travail de l’oral : se faire comprendre et communiquer des informations sans aucun support visuel. Le sujet a été choisi dans le chapitre de l’immunité adaptative, où la réalisation du protocole d’immunodiffusion constitue une démarche expérimentale très complète et m’a assez facilement inspirée pour élaborer une situation de départ intéressante et immersive.
Il a été conçu dans le cadre des TraAM (travaux académiques mutualisés). Six académies, dont Versailles, ont monté des équipes pour travailler sur la thématique : « Articuler numérique et réel, en présentiel et en distanciel, en synchrone et en asynchrone ». L’équipe versaillaise dont je fais partie a travaillé plus spécifiquement sur l’acquisition des compétences expérimentales.
Je souhaitais donc pour ce projet m’appuyer sur des outils et des modalités que je connais bien, le jeu d’évasion numérique, et capitaliser sur l’expérience de l’enseignement à distance lors des confinements où mes élèves avaient pu collaborer sur des jeux en ligne pour réviser ou s’entraîner, voire découvrir de nouvelles notions.
Comment s’organise ce jeu d’évasion avec vos lycéens ?
Le jeu prend place lors d’une séance de TP, en demi-classe. Après une courte introduction les accueillant à leur validation de fin de stage à la police scientifique, des équipes de 4 ou 5 élèves sont faites, parmi eux on détermine deux « manipulateurs », les autres sont les « orateurs ». Les manipulateurs sont placés dans une autre salle où ils trouvent une boîte cadenassée et quelques documents papier sur le dossier à traiter. Les orateurs ont accès à une interface de jeu numérique (créée avec Genially) qui leur fournit des informations complémentaires.
La situation à résoudre : « La gendarmerie d’Orsay a découvert dans un entrepôt des stocks de produits anti-venins MagicAspic revendus sur internet. L’origine des produits est inconnue. L’étiquette indique qu’il s’agit d’un produit anti-venin dirigé contre tous les venins de vipères aspic de France et d’Italie. Votre mission : déterminer s’il s’agit d’un produit frauduleux qui met en danger les randonneurs qui se seraient fait mordre par une vipère aspic en France ou en Italie. »
Pour résoudre l’affaire, orateurs et manipulateurs doivent se communiquer des informations (par téléphone ou via une classe virtuelle), ce qui permet aux orateurs d’entrer la stratégie dans l’interface de jeu. La validation fournit le code donnant accès au matériel. Les manipulateurs entament le protocole, en s’appuyant encore sur quelques informations fournies par les orateurs grâce au jeu numérique. Une fois le protocole correctement suivi, les manipulateurs peuvent sortir et rejoindre les orateurs. Un compte-rendu est à compléter en communiquant et exploitant les résultats. L’interface numérique aide à nouveau les élèves dans ces étapes.
Un temps de débriefing est prévu pour reprendre les étapes, et pour que chacun ait le temps de tester la partie des autres : les orateurs peuvent refaire la manipulation, les manipulateurs peuvent refaire le jeu de numérique depuis le début.
Quels sont les avantages de cette formule ?
Avant de parler des avantages, soulignons que la gestion est un peu complexe : avoir deux salles, bien calibrer les tâches de chaque équipe pour qu’il n’y ait pas d’effet d’attente, pas de problème technique du point de vue de la communication par téléphone ou classe virtuelle… j’ai eu la chance d’avoir des élèves dynamiques qui accueillent bien les séances un peu atypiques, pas systématiques mais qui ponctuent régulièrement l’année.
Le premier avantage est de véritablement nécessiter une communication orale limpide, explicite, en usant d’un vocabulaire précis. Et ce ne fut pas du tout facile pour les élèves, d’où l’intérêt de ce genre de travail en classe !
La répartition des informations entre les deux équipes permet de rendre la collaboration nécessaire. Cela évite aussi qu’un élève ayant plus vite compris les attendus prenne la direction du TP et que les autres « suivent ».
Le format du jeu est adapté à un éventuel contexte hybride, l’année 2021-2022 ayant connu des périodes d’incertitude à ce sujet. La séance est ainsi réalisable avec des élèves manipulant en classe et d’autres communiquant depuis la maison.
Enfin, le fait que l’interface soit numérique m’a facilement permis de décliner le jeu en une version de révision, qui permet aux élèves de refaire toutes les étapes et de s’entraîner en classe ou chez eux.
En quoi ce jeu prépare-t-il aux ECE ?
Des sondages avant et après le jeu montrent une légère amélioration de la compréhension et de la distinction entre communication des résultats, interprétation et conclusion. La conception de la stratégie a constitué un gros défi voire une étape bloquante pour certaines équipes… on peut considérer que c’est un intérêt de ce jeu, même si je pense améliorer cette partie pour la rendre plus fluide.
Et à l’oral ?
Cette séance est inspirée d’un jeu en ligne, « Keep talking and nobody explodes », où deux équipes à distance doivent désamorcer un engin explosif. Une équipe constitue les démineurs et ont accès à l’engin, les autres n’ont que le manuel de désamorçage qui se révèle passablement complexe ! Seule une bonne communication permet d’arriver au bout du défi. Avec mon collègue Patrice Nadam de l’académie de Créteil, nous avions déjà créé et testé une version pédagogique de ce format, avec S’Cape Oddity: un jeu d’évasion mettant en scène un spationaute à la rescousse d’une station en perdition, aidé par des agents de contrôle au sol. Nous avons nommé ce type de jeu mêlant escape game et oral un « blablascape ». C’est un vrai défi de communication, qui a bien fonctionné auprès des joueurs adultes lors des évènements Ludovia en France et en Belgique, et mais aussi récemment avec des élèves de Seconde.
Justement au lycée, les élèves ont l’épreuve du Grand oral à passer en fin de terminale, dont le format est différent de l’oral du brevet mais aussi des exposés oraux que l’on a l’habitude de demander aux élèves : pas de support visuel de type diaporama ou autre, pas de notes préparées à l’avance… L’objectif est de rendre les élèves capables de prendre la parole en public de façon claire et convaincante.
Dans MagicAspic, on fait abstraction de tout support visuel et même de la personne (donc on ne travaille pas l’aisance ou la prestance), pour se concentrer sur le contenu et la clarté de la communication : rechercher des informations demandées, décrire en utilisant le vocabulaire juste, émettre une hypothèse, poser une question précise, guider quelqu’un à distance, écouter l’autre, faire preuve de réactivité…
Et ce n’est vraiment pas évident pour les élèves, comme j’ai pu le constater ! Il y a bien sûr eu quelques problèmes techniques, mais ce n’est pas ce qui a posé le plus de difficultés. Certaines équipes ont réussi après un temps à mettre en œuvre une communication efficace, d’autres ont véritablement patiné, notamment pour des questions de compréhension entre manipulateurs et orateurs. Cela montre que ce travail est nécessaire, que ce soit en contexte de jeu ou non. Les équipes qui se connaissaient le mieux ont selon toute évidence mieux fonctionné du point de vue de la communication.
Dans mon établissement, les groupes de spécialité sont constitués d’élèves venant de nombreuses classes, certains ne se côtoient que durant ce créneau donc ne se connaissent pas, même en fin d’année. Il serait certainement intéressant de proposer ce type de jeu chaque trimestre en changeant les équipes, en version simplifiée même dès la seconde, afin de travailler ces compétences à la fois sociales et orales.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Sur le site SVT de l’académie de Versailles
S’Cape Oddity, un exemple de « blablascape »
Dans le Café
Mélanie Fenaert : Des parcours de formation contre le dé-crochage
Mélanie Fenaert : Un jeu de cartes sur la différenciation sexuelle
Un livre pour concevoir des escape games en ligne