L’absence d’efforts semble devenir de plus en plus la norme chez nos jeunes… Face à ce constat et l’enjeu d’une éducation à l’effort, il s’agit bien de penser les pistes pour atteindre cet objectif ! Justement, Marion Ayral, (agrégée d’EPS au collège Jean-Jaurès au sein de l’académie de Versailles) et Teddy Mayeko, (maître de conférence en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Cergy-Paris) invitent à réhabiliter l’effort et proposent différentes pistes !
Pour commencer, qu’entend-t-on par effort ?
Selon Garcin (2002), l’effort constitue un « engagement nécessaire du sujet qui mobilise ses forces afin de poursuivre l’exercice entrepris, comportant un certain degré de pénibilité pour lui, et requérant toute son attention et sa volonté ». Cette définition met en évidence au moins trois caractéristiques essentielles. Premièrement, l’effort résulte d’un engagement. Il est donc volontaire, c’est-à-dire qu’il est toujours initié par celui qui l’accomplit. Deuxièmement, l’effort peut être perçu comme relativement inconfortable. Il s’accompagne généralement d’un coût, métabolique ou cognitif, pouvant affecter l’individu. Enfin, l’effort est toujours personnel, donc subjectif. Cela signifie que sa perception (agréable, exigeant, inconfortable) varie singulièrement d’un individu à l’autre.
Et donc, où en sont les jeunes aujourd’hui ?
Lorsque l’on cherche à comprendre le rapport que les jeunes entretiennent à l’effort on peut examiner les grandes enquêtes de santé publique. Ainsi, sans entrer dans le détail, ces dernières montrent qu’au sein des populations adolescentes, et depuis maintenant plusieurs années, le temps d’activité physique ne cesse de diminuer. A titre d’exemple, selon une enquête HSBC menée en 2014, seulement 13% des adolescents respectent les préconisations en matière de santé (une heure d’activité physique modérée par jour). Les chiffres sont encore plus alarmants lorsque l’on s’intéresse au cas des jeunes filles, qui sont moins nombreuses que leurs homologues masculins à pratiquer quotidiennement une activité (ANSES, 2016). Avec la montée en puissance des technologies digitales et du virtuel, beaucoup de jeunes développent des conduites sédentaires qui les installent dans un mode de vie inactif où l’absence d’efforts devient la norme et non l’exception.
En EPS, le bilan est-il identique ?
En EPS, on constate souvent que les seuils d’efforts personnels auxquels les élèves se réfèrent sont particulièrement bas. Sans tomber dans le registre des troubles dysmorphiques, il semble que la réalisation de certaines tâches (anodines en apparence) génère chez certains des sensations inconnues pouvant rapidement être perçues comme inconfortables. Ainsi, la peur de « sentir son corps » s’impose de plus en plus nettement chez les jeunes. Rappelons à cet égard que l’effort en EPS, par rapport à celui consenti dans les autres disciplines scolaires, « est plus prégnant qu’ailleurs parce que physique, tangible et quelquefois douloureux » (Durand, 1991). Par conséquent, avoir le cœur qui bat et les muscles qui brulent peut engendrer de l’inquiétude chez des adolescents de moins en moins enclins à produire des efforts.
Bien sûr, ces constats méritent d’être relativisés selon les contextes d’enseignement et les populations d’élèves. Toutefois, ils symbolisent une réalité pratique avec laquelle beaucoup d’enseignants doivent composer. La très nette diminution des capacités cardio-respiratoires mesurées chez les enfants (on note une perte de 25% des capacités physiques en l’espace de 40 ans) concorde avec un affaiblissement significatif du goût de l’effort. Dans une société où la quête du plaisir personnel passe de plus en plus par l’abolition de la contrainte et la suppression de l’inconfort, les jeunes sont exposés à de nombreux risques. En conséquence, leur redonner l’habitude de fournir des efforts devient un véritable enjeu de santé publique.
Justement, quels sont ces risques ?
Les risques liés à la sédentarité et l’inactivité physique sont bien connus. Rappelons que ces modes de vie sont directement responsables du développement de l’obésité, du surpoids, du diabète de type II, de maladies auto-immunes et de pathologies cardio-vasculaires (AVC, infarctus, insuffisance cardiaque, etc.). Par ailleurs, l’aversion des élèves pour l’effort comporte également des risques psycho-sociaux sur lesquels il nous semble important de revenir.
D’une part, elle génère des comportements d’abandon ou d’évitement qui maintiennent les jeunes éloignés de la culture physique et sportive. Renoncer à pratiquer, au-delà des risques encourus pour la santé physique, c’est également renoncer à vivre des expériences d’apprentissage et de socialisation marquantes, indispensables au développement de chacune et de chacun.
D’autre part, la répulsion pour l’effort engendre des mécanismes de protection pouvant contribuer à fragiliser l’enfant ou l’adolescent dans son développement. Par exemple, on sait aujourd’hui que le rapport qu’un individu entretient à l’effort détermine en partie son tempérament (optimiste ou pessimiste) et sa capacité à persévérer dans la difficulté. Ainsi, un enfant qui possède le « goût » de l’effort sera plus enclin à s’engager dans les tâches, à développer des croyances positives (je peux réussir) et à surmonter les obstacles qui apparaissent logiquement en cours d’apprentissage.
Selon vous, comment peut-on « réhabiliter » l’effort en EPS ?
C’est bien là l’essentiel ! Et c’est probablement à cet endroit précis que doit se concentrer le travail (pour ne pas dire l’effort !) des enseignants. Selon nous, il s’agit d’aider les élèves à reconstruire des habitudes de pratique et de mise en activité physique susceptibles de les réconcilier avec l’effort. Plusieurs pistes peuvent être envisagées.
Premièrement, construire des dispositifs permettant de « maquiller » l’effort. Par exemple en définissant des tâches collectives susceptibles de renforcer le sentiment d’affiliation des élèves, en passant par le jeu pour détourner leur attention ou en proposant des défis, individuels et collectifs, sources de challenge et d’émulation. A un premier niveau, il s’agit de faire vivre aux élèves une expérience immédiate de plaisir, condition préalable au développement d’une relation positive avec la mise en activité.
Deuxièmement, aider chaque élève à se reconnecter à ses ressentis et à écouter son corps. Les élèves, selon leurs habitudes de vie, sont parfois déconnectés de leur propre corps. En témoigne cet échange récent avec Jade, une jeune fille de 4ème : « Madame, mon cœur, il bat » ! Nous en conviendrons, c’est plutôt rassurant… Être à l’écoute de ses ressentis et mettre des mots dessus, faire le lien entre l’intensité de l’exercice et les réactions physiologiques associées à la pratique, calculer sa fréquence cardiaque en prenant son pouls, sont autant d’apprentissages permettant aux élèves de réapprivoiser leur corps, pour ensuite lui accorder de l’importance et en prendre soin. En EPS, de nombreuses contributions, dans le champ de la littérature professionnelle et scientifique, donnent aux enseignants des indices et des outils pour initier un travail (décisif) sur l’éducation aux sensations. Ce type de démarche contribue à décupler les repères des élèves en faisant de la connaissance de soi une étape indispensable à l’acceptation de l’effort.
Troisièmement, apprendre à repousser progressivement ses seuils de douleur pour sortir de sa zone de confort. Il y a ici un parallèle avec la formulation de Jean-Luc Ubaldi (2000) dans l’idée d’une EPS « qui accepte l’élève tel qu’il est sans pour autant lui permettre de le rester ». Ne pas se contenter du minimum, apprendre à repousser ses limites, s’engager dans des efforts de façon durable pour atteindre ses objectifs et se transformer, voilà un apprentissage emblématique de l’école ! Cela peut passer par le fait de vivre des expériences d’effort exacerbées afin d’aider l’élève à construire des repères de dépassement. Il est également possible d’articuler les pratiques scolaires et extrascolaires, ou de décloisonner les disciplines pour susciter davantage de désir et d’intérêt chez l’élève. Ce qui importe, c’est de proposer des situations où chacun est en mesure de réussir à la stricte condition de fournir des efforts à sa portée.
Quatrièmement, habiter pleinement la classe en stimulant l’activité des élèves. Au-delà des dispositifs ou des situations, la relation pédagogique et le climat de classe – qui découlent de l’activité de l’enseignant – sont indéniablement des composantes qui prévalent dans la construction d’un rapport positif à l’effort. A ce titre, un style motivationnel soutenant l’autonomie, structuré et impliqué, est susceptible de répondre aux besoins des élèves en les orientant vers des motivations plus auto-déterminées. En EPS tout particulièrement, lorsqu’il s’agit de susciter l’envie d’apprendre, la relation affective qui se déploie entre l’enseignant et l’élève ne peut être ignorée. Elle détermine (en grande partie) les possibilités de travail qui se tissent à l’intérieur de la classe (Visioli, 2019). Aussi, ne perdons pas de vue que chaque enseignant est un autrui significatif potentiel pour l’élève. Sa présence, ses régulations, sa manière de valoriser les intentions tournées vers l’effort, de féliciter les progrès, voire de « mouiller le maillot » en s’engageant à leurs côtés, sont autant de leviers qui peuvent donner envie aux élèves de fournir des efforts. Les attitudes de l’enseignant et son « implication affective » auprès de chaque jeune ont une influence sur la qualité de la relation pédagogique et par ricochet sur l’engagement de l’élève dans les tâches scolaires.
Pour conclure : que retenez-vous ?
Ces pistes, embryonnaires et loin d’être restrictives, peuvent amener les équipes à engager un travail de reconstruction, visant à donner à chaque élève une plus grande appétence pour l’effort. Cette étape, rappelons-le, est décisive car elle entend faire du plaisir de pratiquer à la fois une condition d’engagement dans les APSA et une finalité éducative à part entière. Pour répondre aux problématiques grandissantes de santé publique, l’éducation physique a des arguments séduisants qui se nichent dans les expériences authentiques et diverses que nous offrons aux élèves. Dès lors, ne perdons pas de vue que les jeunes qui s’engagent de façon auto-déterminée sont aussi les plus enclins à maintenir une participation de longue durée, y compris en dehors de l’école. Les aider à construire un rapport plus positif à l’effort n’est pas une option secondaire, c’est une priorité éducative et un devoir moral qui interpelle le sens même de notre mission.
Propos recueillis par Antoine Maurice
Bibliographie indicative
Durand, M. (1991). Effort et acquisition des habiletés motrices. In J.P. Famose, P.H. Fleurance et Y. Touchard, Apprentissage moteur : rôle des représentations, Paris, EP&S.
Garcin, M. (2002). Effort et EPS : de la théorie à la pratique », Revue EP&S, n°297.
Ubaldi, J.L. (2000). Faut-il savoir nager ou nager pour savoir, Revue Contrepied, n°7.
Visioli, J. (2019). La relation pédagogique, Paris, EP&S.