Comment rendre l’école moins inégalitaire ? Quel avenir pour l’éducation prioritaire ? Dans un contexte où la dépense d’éducation reste plus faible que pour la génération précédente, la table ronde organisée par le Café pédagogique tranche avec l’ambiance du Salon de l’éducation. Philippe Champy et Roger-François Gauthier, du CICUR, et Marc Douaire et Jean-Yves Rochex, de l’OZP, confrontent leurs analyses du système éducatif français. Pour eux, le changement passe par « une repolitisation de la question scolaire et une réflexion à de nouvelles bases ».
Les indicateurs de PISA
« Les dernières enquêtes PISA montrent que le milieu social dans lequel l’on naît, on n’a pas les mêmes possibilités de réussites scolaires et sociales », amorce Lilia Ben Hamouda, du Café pédagogique. « L’école qui est là normalement pour combler les inégalités et permettre à tous de réussir ne fait que reproduire ces inégalités. Pire, elle transforme ces inégalités sociales en inégalités scolaires ». Dès le début de la conférence, le cadre est posé. « Il y a 30 ans, il y avait déjà cet immobilisme. Des éléments majeurs à l’analyse ont manqué », note Roger-François Gauthier membre du collectif d’interpellation du curriculum (CICUR) qui pointe les errements des gouvernements de gauche et de droite qui se sont succédé. « Cette question de l’école pour tous n’est pas que franco-française ».
Jean-Yves Rochex, professeur émérite de sciences de l’éducation, ne partage pas ce constat d’immobilisme. « Le système éducatif français a accompli une formation de plusieurs générations de manière très accélérée. Aujourd’hui, l’objectif de 80% d’une classe d’âge au bac est pratiquement réalisé. Certes de manière socialement inégale. Les nouvelles générations en France sont formées aujourd’hui à un niveau auquel leurs parents n’imaginaient même pas avoir accès ». Le chercheur pense que cette montée en formation est la raison de l’inacceptabilité des inégalités.
« Parler en moyenne d’élévation de niveau est un peu faux, car de nombreux élèves sont exclus », modère Philippe Champy qui questionne « le logiciel scolaire français » comme les évaluations et le contenu des programmes. « Les résultats de PISA ne disent rien sur la manière d’enseigner » en citant les bons résultats de la Finlande et de la Corée du sud et leur système éducatif pourtant très différents ».
Stop and Go
« La politique d’éducation prioritaire n’a jamais vraiment été mise en œuvre en 40 ans en France », regrette Marc Douaire, président de l’Observatoire des zones prioritaires (OZP). Il dénonce la politique de stop and go concernant l’éducation prioritaire. « Aujourd’hui, la politique dite d’éducation prioritaire se concentre sur des dédoublements des classes de CP et CE1, mais a abandonné d’autres éléments ». Le dispositif mis en place à Marseille est vivement critiqué ainsi que les cités éducatives. « Un autre modèle se dessine pour l’école publique ». Marc Douaire explique que le surcoût de l’éducation prioritaire est inférieur au surcoût des élèves des classes préparatoires et grandes écoles. « Notre système est piloté par l’aval », note-t-il en évoquant l’enseignement au lycée influencé par les grandes écoles, ceux des collèges par les lycées, les écoles par les collèges…
« La logique de concurrence entre les établissements entraîne une rupture d’alliance entre les classes populaires et les classes moyennes », constate Jean-Yves Rochex. « Dans les années 70, il y avait une relative alliance autour des questions d’unification du système éducatif ». L’élargissement du choix et du pouvoir des familles aboutit à une concentration des difficultés dans les mêmes quartiers. « Il y a aussi une dégradation de la qualité de l’offre scolaire dans les quartiers des établissements les plus ségrégués ».
Que faire ?
Avec ce tableau noir de l’état de l’école française, les intervenants ont pu proposer quelques pistes pour inverser la tendance. Roger-François Gauthier, avec le CICUR, suggère de s’intéresser aux savoirs et de travailler sur un contenu commun. « Les savoirs scolaires ne sont jamais au cœur du débat », regrette-t-il, évoquant « le socle commun qui a été saboté ». Il prône la fin de la suprématie des mathématiques, une ouverture à la littérature étrangère et la fin de l’évaluation permanente. Un travail de fond sur la finalité de l’école comme fait au Japon ou en Écosse est souhaité.
Pour Philippe Champy « il faut repolitiser la question scolaire. Il faut réfléchir à de nouvelles bases. Une crise de l’école qui n’arrive pas être résolue crée de la division entre les différentes couches de la société et très souvent cela aboutit à la recherche de solutions autoritaires ».
De la conférence, on retiendra surtout ce cri sincère d’une enseignante en REP depuis 20 ans sur son métier. « Finalement, vous me dites ce que je vis tous les jours : l’effondrement du système éducatif français, le fait que nous ne pouvons plus enseigner dans nos classes. Vous me dites que je ne vais pas pouvoir toute seule résoudre les inégalités dans ma classe. Je vous remercie. On ne sait plus quoi faire au quotidien. Le métier se vide. Les enseignants motivés ne voient plus de sens dans leur métier ».
Julien Cabioch