Jeudi 16 novembre, de nombreux militants du SNUipp-FSU se sont retrouvés rue de Grenelle pour apporter au ministre de l’Éducation nationale la pétition « 300 euros tout de suite pour toutes et tous » lancée le 14 octobre dernier. Une pétition en réponse aux propos du ministre qui avait avancé l’idée de faire surveiller la cour de récréation aux enseignants et enseignantes pendant la pause méridienne en contrepartie d’une revalorisation. Elles et ils étaient nombreux, car près de 47 000 signatures, ça fait lourd !
Si les militants se sont réunis ce mercredi, c’est parce que c’est la dernière réunion de la première phase de concertation sur les salaires, comme l’explique Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU. « Les différentes réunions de concertations nous ont montré qu’il y a un vrai déclassement salarial, que les enseignants travaillent beaucoup – en moyenne 43 h par semaine, que leurs obligations de service les soumettent à des réunions qui s’enchainent et qui mettent à mal leurs conditions de travail. Les premières pistes avancées par le ministère laissent envisager la revalorisation d’une seule partie des professeurs des écoles, les débuts de carrière et une partie des milieux de carrières. Les fins de carrières semblent être les grands perdants de ce projet de revalorisation. Pour nous, le SNUipp-FSU, c’est 300 euros maintenant pour toutes et tous, pour les AESH et pour les enseignants et les enseignantes. Le ministre doit l’entendre, les dizaines de milliers de signatures qu’a recueilli notre pétition montre bien que cela devient urgent ». Autre sujet d’inquiétude pour le syndicat majoritaire des enseignants et enseignantes du premier degré, le pacte enseignant. « Le ministère évoque un pacte enseignant, un pacte qui assurerait une revalorisation aux seuls enseignants qui accepteraient de faire des formations lors des vacances scolaires ou faire des heures supplémentaires. Nous le refusons et le nombre de signataires de notre pétition montrent que la profession le refuse. Les enseignants et enseignantes travaillent bien assez » conclut la porte-parole.
Un déclassement salarial
Alain Talleu co-secrétaire départemental du Nord (59) explique, quant à lui, une partie du déclassement salarial par le gel du point d’indice, « même s’il y a eu de deux dégels, cela ne suffit pas au regard de l’inflation » plaide-t-il. « Il y a trente ans, un professeur des écoles touchait 1,8 smic. Aujourd’hui, il faut attendre 15 ans. En fin de carrière, un enseignant touche 2,6 smic. Il y a 30 ans, c’était entre 3,5 et 4 SMIC. Alors clairement, nul ne peut nier ce déclassement, les chiffres le démontrent. Ce déclassement est à mettre au regard de l’allongement de la formation. Il faut un Master 2, un bac+5. 1,5 smic, ce n’est pas à la hauteur de ce que l’on pourrait escompter avec un tel niveau de diplôme. À titre de comparaison, un gardien de la paix et un enseignant ont à peu près le même salaire. Les profs sont des cadres A de la fonction publique, et ils touchent le salaire moyen d’un cadre B. Et pour finir, si on se met à comparer au niveau international, on se rend compte qu’on est au vingtième rang des pays de l’OCDE pour ce qui est de notre rémunération ».
Pénurie de profs
Suley Jair, co-secrétaire départementale de la Guyane (973) a fait neuf heures de vol pour venir déposer les signatures des enseignants de son département à l’autre bout du monde. Elle profite de l’occasion pour rappeler le manque d’attractivité du métier de professeur des écoles. « La rentrée de 2022 a montré que le métier n’attire plus, il y a une pénurie dans le recrutement. Le ministère semblait le découvrir en juin dernier… L’allongement du niveau des études et le faible niveau de salaire sont une des raisons de cette pénurie. Et puis, quand on décide de se lancer et de devenir enseignant, on se rend compte qu’on est lâché dans sa classe, avec une formation qui se réduit à peau de chagrin. Le manque de mobilité une fois qu’on a réussi le concours peut aussi en décourager plus d’un. Se retrouver coincé dans une académie pendant dix, vingt voire trente ans n’est pas tolérable. Alors malgré le discours du ministre qui minimisait la situation à la rentrée, non, il n’y avait pas un enseignant par classe. Nous, sur le terrain, on l’a bien vu, on l’a vécu. Les années qui viennent risquent d’être tout aussi difficiles. Il est temps que ce gouvernement donne des moyens à l’école ».
Conditions de travail dégradées
Virginie Akliouat est arrivée de moins loin. Pour la secrétaire départementale du SNUipp-FSU des Bouches du Rhônes (13), le temps de travail des professeurs des écoles explose. « Le ministre le reconnaît lui-même au travers d’une enquête menée par la DEPP. 43 heures hebdomadaires et 34 jours travaillés sur le temps des vacances scolaires. Les heures supplémentaires et le travail pendant les vacances, c’est une réalité pour les professeurs des écoles depuis longtemps. Temps de préparation, temps de correction, réunions de plus en plus nombreuses, le temps conséquent et nécessaires de rencontres avec les parents d’élèves… Les 108 heures intégrées officiellement dans nos obligations de services sont loin de suffire ». La militante rappelle la difficulté d’enseigner dans des classes de plus en plus hétérogènes qui entrainent des préparations de classes différenciées et donc beaucoup plus longues. « Pour ne citer que cet exemple, accueillir un élève allophone nécessite de se former. Mais rien n’est proposé, alors les enseignants font comme ils peuvent, ils s’auto-forment ».
Une revalorisation pour les AESH aussi
Solen Marche arrive tout droit de son département rural, la Creuse (23), dont elle secrétaire départementale adjointe du SNUipp-FSU. Elles rappellent que la rémunération des AESH n’est pas à la hauteur de tout ce qu’apportent ces personnels à l’école inclusive et à la scolarisation des élèves en situation de handicap. « Elles et ils pâtissent à la fois de la précarité des contrats, avec des temps partiels imposés et d’indices de rémunération au minimum de la fonction publique. Le SNUipp-FSU revendique une refonte complète de la grille de rémunération des AESH avec l’application de la grille des personnels de catégorie B de second grade ». Les PIAL – pôles inclusifs d’accompagnement localisés sont aussi décriés par la jeune femme. « Ils ont dégradé les conditions de travail des AESH en mutualisant l’accompagnement entre plusieurs écoles et établissements. On leur demande plus de flexibilité et d’adaptabilité. Le SNUipp-FSU demande l’abandon des PIAL ».
Après cinq années Blanquer, les enseignants et enseignantes attendent le nouveau ministre au tournant. « Si la revalorisation n’est pas à la hauteur, ce serait un très mauvais signal envoyé à la profession qui est très en attente. Le ministère ne peut pas la décevoir. Les promesses faites par le président lors de sa campagne ne peuvent être tenues. Nous avons fait le calcul. Augmenter tous les personnels de 10% nécessiterait un budget de plus de trois milliards. On est loin des 1,7 milliard mis sur la table. Il y a un enjeu de perte de confiance dans le pouvoir politique » explique Guislaine David. « La question des inégalités homme-femme est aussi au centre de nos inquiétudes. Demander une contrepartie à la revalorisation disqualifiera de fait une partie de la profession féminine. Les femmes se permettant moins de s’engager dans des missions qui nécessitent du temps de travail supplémentaire »
Selon la porte-parole, le ministère reconnait un très faible nombre d’inscrits au concours et fait part de son inquiétude sur l’attractivité du métier. « Il faut un choc d’attractivité, le ministère ne peut faire l’économie d’une réelle revalorisation. La revalorisation en est un enjeu très fort ».
Lilia Ben Hamouda