Comment rendre attractif la culture et la langue de l’autre ? Comment faire de ces différences des supports d’apprentissage riches ? « Le voyage de Piron » est un projet qui permet d’attiser la curiosité des élèves, de donner une dimension originale et transversale aux apprentissages en s’appuyant sur le voyage de Piron à travers le monde. Sylvie Favre, ancienne lauréate du Forum des Enseignants innovants, présente son projet.
Conseillère pédagogique Langues Vivantes Étrangères depuis 10 ans, Sylvie Favre a toujours eu une appétence particulière pour les langues et cultures étrangères. Cela s’explique sans doute par les 13 ans qu’elle a passé à voyer autour du monde en voilier avec sa famille… Professeure des écoles, elle a tout naturellement réinvesti cet attrait pour le partager avec ses élèves, et aujourd’hui avec des centaines – voire des milliers – d’autres élèves.
En 2013, Sylvie Favre remportait – avec son collègue Christian Vinent le grand prix du Forum des enseignants innovants organisé par le Café pédagogique avec son « tour du monde en 80 jours ». Le projet, toujours d’actualité, proposait de lire différemment, par épisode, le célèbre récit de Jules Verne. Chaque semaine, les écoliers trouvaient sur un site dédié un récit tiré du livre, mais présenté en trois versions de difficulté différente. « Dans nos écoles, on a du rural, de l’urbain, des écoles ZEP et des niveaux de lecture fort différent. On propose donc, à côté du texte de J Verne, deux récits de longueur et difficulté différents. Sont associés au texte des questions d’histoire, de géographie, de l’anglais qui renvoient tous à la compréhension du texte. Les élèves pour gagner des points et atteindre l’étape suivante du tour du monde doivent répondre aux questions. Ils postent sur le site des saynètes en anglais » expliquait alors l’enseignante. Aujourd’hui, c’est le « Voyage de Piron » que nous présente Sylvie.
Qu’est-ce que « le voyage de Piron » ?
Avant tout, il me semble utile d’expliquer que Piron signifie oie en poitevin saintongeais, langue régionale locale. Le voyage de Piron est un projet ouvert à tous. Le principe est de suivre le voyage d’une oie » Piron » à travers des activités ludiques et variées « clé en mains » – chants, art, numération… – qui présentent la langue et la culture du pays visité. Les activités sont construites en lien avec des locuteurs – parents d’élèves, personnel de l’école, réseau associatif, ce qui permet d’accéder à des sources authentiques, sans entrer dans des clichés par le prisme de notre propre culture. Cela permet aussi de créer du lien entre ces personnes et l’école.
Par exemple ?
Lorsque Piron arrive au Mexique, il rencontre le Quetzal. Cela donne lieu à un court dialogue en espagnol à écouter, de marionnettes à imprimer, d’un poster à afficher, d’un drapeau à observer, d’une comptine à chanter, d’images culturelles sur le jour des morts à commenter, sur les animaux du pays, d’activités artistiques autour de Frida Kahlo et sur les azuleros, d’une recette à faire en classe… Chacune des 18 destinations propose un panel d’activités en lien avec le pays et la langue. Et d’autres destinations sont à venir en fonction des rencontres ! Rendez-vous bientôt au Japon, en Guyane et en Haïti ! Chaque destination, que l’enseignant choisit comme il veut, est accompagnée d’une fiche pédagogique. Les enseignants nous envoient aussi leurs productions en lien avec le projet.
Quel est l’objectif ?
L’objectif principal est de sensibiliser les élèves à la diversité linguistique et culturelle, de façon à leur faire acquérir des attitudes positives face à ces différences, et l’enjeu est particulièrement important dans le paysage politique actuel et le monde dans lequel on vit. Les élèves développent aussi des compétences langagières en s’interrogeant sur les langues, en les comparant et tous les domaines disciplinaires sont concernés, musique, art, découverte du monde, mathématiques…
Comment est né ce projet ? Y avait-il un besoin à combler ?
Piron est né à la suite du nouveau programme de maternelle de 2015 qui, pour la première fois, citaient l’ouverture à la diversité linguistique et culturelle. On s’est lancé avec ma collègue formatrice Claire Marteau et avec l’aide de Frédéric Marot, conseiller numérique… Nous proposions depuis déjà plusieurs années des formations et des accompagnements d’équipes cycle 1 sur ce sujet avec notre équipe LVE de Charente-Maritime. Les programmes ont légitimé d’autant plus ces formations et nous ont donc permis d’aller plus loin. Nous intervenions principalement dans les écoles en REP et REP+ en lien avec les familles de langues d’origine différentes et sur des animations pédagogiques. Ce projet a donné une autre dimension à cette approche. Nous avons eu dès la première, année plus de 100 classes participantes. Cela prouve que ce projet correspond à un besoin et un intérêt des collègues avec qui nous sommes en relation toute l’année par le site.
L’autre atout de ce projet, c’est la démarche de projet que je considère essentielle dans les apprentissages. Cette démarche fait partie intégrante des projets départementaux annuels que je propose depuis 5 ans pour le cycle 2 à partir de marionnettes puis depuis 10 ans pour le cycle 3 avec le projet le tour du monde en 80 jours.
Après plusieurs éditions du projet, constatez-vous des résultats sur la réussite des élèves ?
Ce projet développe principalement des attitudes comme la curiosité, la capacité à s’interroger. Ces compétences sont transférables à tous les domaines disciplinaires, comme la maîtrise de la langue française, par la réflexion métalinguistique que propose cette démarche. Je n’entends plus les enseignants dire » on ferait mieux de leur apprendre le français avant de leur faire écouter d’autres langues ». Il y a une réelle prise de conscience des enseignants de l’intérêt de cette approche et donc une réelle évolution des pratiques dans ce domaine. Le projet est en lui-même un véritable outil de formation pour les enseignants concernant le plurilinguisme.
Est-ce que ce type de projet a un impact sur la relation avec les familles ?
Il est directement en lien avec les familles. Dans les familles les plus éloignées de l’école, les parents sont directement sollicités pour participer au projet. Les enseignants nous font part de l’évolution de la relation. Ils nous expliquent que les familles viennent plus facilement à l’école avec le sourire, puisque leur culture et leur langue sont reconnues. L’attitude de ces parents rebondit aussi sur l’expression des élèves qui se sentent valorisés. Lorsque l’on sait l’importance du bien-être de l’élève sur les apprentissages, ce ne sont pas que dans des mots, on a des résultats concrets à partager. En milieu rural ou centre urbain, où la diversité est moins marquée, cette ouverture a un impact considérable sur la vision du monde des élèves, elle permet un travail de décentration. Les élections ont montré clairement un repli identitaire en milieu rural avec un vote extrême alors qu’ils sont peu confrontés à des cultures éloignées des leurs. Les chercheurs ont mis en avant le rôle de la peur dans ces attitudes de rejet. C’est notre rôle, à l’école, de faire connaître la richesse de la différence, de montrer qu’on peut apprendre et partager de ceux qui ne nous ressemblent pas directement. C’est un engagement, dans notre équipe LVE, de continuer à défendre ces valeurs citoyennes et nous sommes soutenus par l’inspectrice en charge les langues sur notre département.
Si vous souhaitez rencontrer Sylvie et discuter de ses différents projets, rendez-vous vendredi 25 novembre à la journée de débats et d’échanges organisée par le Café pédagogique et Libération à Paris.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda