À quelques jours de la grève nationale du 17 novembre, la ministre de l’Enseignement professionnel allait-elle répondre aux inquiétudes des professeurs de lycée professionnel ? Carole Grandjean n’a pas saisi l’opportunité offerte par le débat demandé par Les Républicains au Sénat le 14 novembre. Cadrée par Emmanuel Macron, la réforme promet à la fois de développer l’enseignement général tout en doublant les périodes de stage. Une opération difficile pour laquelle la ministre a été incapable de donner la solution, sauf à envisager des modules post bac…
Un débat sous pression des enseignants
Alors qu’une très large intersyndicale – tous les syndicats enseignants sauf le Sgen Cfdt – appelle à une nouvelle journée de grève le 17 novembre contre la réforme de la voie professionnelle, le groupe Les Républicains organise un débat au Sénat, avec la ministre de l’Enseignement professionnel, le 14 novembre. Pour la ministre, c’est une occasion inespérée de désamorcer un conflit qui a pris de grandes proportions. La 1ère journée de grève a mobilisé la majorité des professeurs de lycée professionnel. La présentation de la réforme par E Macron, aux Sables d’Olonne, y est pour beaucoup. Le président de la République a annoncé la refonte de la carte des formations, fermetures de lycées professionnels à l’appui, pour l’adapter aux besoins des entreprises locales. Il a promis le doublement des périodes de formation en entreprise, ce qui laisse craindre des destructions massives de postes d’enseignement et une formation bâclée pour les jeunes. Il veut développer l’apprentissage, un cauchemar organisationnel pour les enseignants. Cerise sur le gâteau : il veut embaucher des professeurs associés venus des entreprises pour remplacer les PLP.
A l’origine du débat, la droite ne manifeste pourtant pas d’hostilité de principe envers la réforme. Max Brisson, influent sénateur Républicain pour les questions d’éducation, estime que les lycées professionnels (LP) « réussissent mieux là où il y a synergie avec les entreprises locales ». Il estime que « l’Education nationale a sa part de responsabilité (dans la faible insertion des lycéens professionnels) en valorisant trop les disciplines générales avec des enseignants ne connaissant pas ou peu les filières professionnelles ». Mais il souligne aussi les inquiétudes des sydnicats et leur refus de participer aux groupes de travail ministériels. « On ne peut que constater qu’il n’y a pas d’enseignement professionnel de qualité qui ne repose sur un solide socle en enseignement général », dit-il. Par suite, « le sujet sensible de la durée des stages soulève de nombreuses questions ». Les Républicains aimeraient qu’à l’image des lycées agricoles, la réforme permette une participation accrue des entreprises à la gestion des LP et une adéquation plus poussée des formations avec les besoins locaux. Des objectifs qui ne sont pas en contradiction avec ceux du gouvernement.
Les enseignements généraux repoussés après le bac pro ?
Carole Grandjean estime que « l’organisation pédagogique (des LP) ne prend pas assez en compte les mutations économiques et les défis des territoires… La préparation au monde professionnel est insuffisante et n’offre pas la maitrise des codes des entreprises… La multiplication des périodes de formation en entreprise doit permettre de rapprocher les LP du monde des entreprises et de conforter l’engagement des élèves ». Mais elle promet aussi de « renforcer les enseignements généraux, car les entreprises en ont besoin ».
Malheureusement, il faudra s’en tenir à ces propos flous. Le débat ne va pas réussir à faire la lumière sur les intentions du gouvernement. Les sénateurs vont revenir à la charge sur la question des horaires d’enseignement : Monique de Carlo (écolo) (qui parle de « détricotage » de l’enseignement professionnel), Marie Pierre Monier (PS), Céline Brulin (PC), Yan Chantrel (PS), Corinne Féret (PS), Max Brisson (LR), Anne Ventalon (LR) entreprennent la ministre sur le miracle du maintien des enseignements généraux malgré le doublement des stages.
« Je n’oppose pas l’enjeu des savoirs fondamentaux à l’enjeu des savoirs de l’entreprise », répond la ministre. « Il n’y a pas de baisse des heures d’enseignement général… Nous préserverons le temps des savoirs fondamentaux. Toutes les options seront étudiées avec peut-être des temps complémentaires », répond la ministre. Acculée par les questions, la ministre définit un peu plus cette voie : « Des modalités peuvent être pensées autour de temps supplémentaires en amont du diplôme po post diplôme ». On s’orienterait donc vers des modules post bac pour des jeunes qui voudraient poursuivre vers le supérieur, proposition qui traine au ministère depuis des années.
Une ministre tenue par les promesses présidentielles
La réforme pose encore d’autres questions restées, elles aussi, sans réponse. « La volonté d’adapter l’offre de formation aux besoins locaux verrouillera le destin des jeunes alors qu’il ne faudrait fermer aucune porte, y compris l’accès au supérieur », remarque MP Monier (PS). La ministre estime qu’il y a « adéquation entre la carte des formations et une meilleure insertion ».
Céline Brulin (PC) rappelle qu’un décret permet aux PLP d’enseigner en collège et lycée général. La réforme va-t-elle pousser les PLP vers l’enseignement général pour résoudre la crise du recrutement ? Corinne Feret (PS) voit dans l’appel à des professeurs associés la volonté de remettre en cause le statut des PLP.
« Vous êtes confrontée à un vrai problème lié aux annonces du président de la République », dit Max Brisson. « Je regrette que vous n’ayez pas répondu aux questions ». Cela aurait pu être la conclusion du débat. Mais la vraie conclusion aura lieu le 17 novembre. Une seconde journée de mobilisation aussi réussie que celle du 18 octobre porterait un coup qui pourrait être fatal à une réforme unanimement rejetée par les enseignants concernés.
François Jarraud