Ecrire à quatre mains le parcours d’un élève. C’est typique de » Parce que chaque élève compte » (éditions de l’Atelier). Fabien Pontagnier, professeur d’histoire-géographie au collège de Stains (Seine-Saint-Denis) et son ancien élève Cheik Sidibe signent ensemble un chapitre de l’ouvrage. Une contribution qui revient sur le parcours scolaire « chaotique » de Cheik, comme il se plait à la décrire et sur une rencontre élève-enseignant qui a changé la vie de cet ancien élève. Le Café pédagogique offre ce livre à tous les adhérents à son association.
Pour Fabien Pontagnier qui a participé au premier livre du collectif « Les territoires vivants de la République », « participer aux Territoires vivants n’est pas un acte militant, mais répondait à ce besoin partagé par nombre d’entre nous de rétablir certaines vérités, de diffuser un message plus positif et nuancé surtout ». Il reconnaît que ses débuts d’enseignant en Seine-Saint-Denis n’ont pas été évidents. « Je me suis surpris à projeter un imaginaire négatif sur ces écoles et ces lieux de vie. Il m’a fallu apprendre à connaitre mon espace professionnel, ce département, ces villes et ses habitants ».
Pour Cheik, ce chapitre dans un livre où les auteurs sont majoritairement profs ou encore chercheurs et chercheuses, c’est « bien plus qu’un pied de nez, c’est une consécration. C’est un majeur levé pour tous ceux qui me disaient » tu es voué à tenir les murs. Tu es un bon à rien, ta place est en prison ». Mais plus que ça, écrire dans ce livre est pour moi un acte politique et militant fort, car c’est l’occasion de mettre en relief ce qui ne fonctionne pas dans le système éducatif actuel. Je trouve que nous ne sommes pas assez écoutés alors que nous avons un tas de choses à dire, à critiquer, mais aussi à complimenter ». Autre pied de nez au destin : étudiant en L2 science de l’éducation, il est aussi assistant d’éducation dans le collège dont il a été exclu définitivement en quatrième et responsable dans une structure jeunesse associative – « dans laquelle j’aide les enfants à s’émanciper à travers des séjours à la montagne ou des sorties culturelles » ajoute-t-il.
Cheik, vous évoquez un « parcours scolaire chaotique », qu’est-ce que cela signifie ?
En effet, je parle d’un parcours scolaire « jugé comme chaotique ». Ça avait pourtant bien commencé. À l’école maternelle, je suis repéré comme un élève avec une certaine aisance tant à l’oral qu’à l’écrit – je savais déjà lire et écrire en moyenne section, ce qui m’a valu une proposition de saut de classe pour aller directement en école primaire, proposition qui a été tout de suite refusée par ma mère, qui ne voyait pas cela d’un bon œil. Jusqu’à la classe de CE1 je suis une scolarité d’un élève qui a des facilités et qui est plutôt apprécié des professeurs. En CE2, mes nombreuses agitations commencent, je suis constamment en conflit face à l’autorité des adultes, je vais jusqu’à me faire renvoyer de l’école primaire quelques jours afin que l’équipe éducative puisse souffler. Ces agitations continuent jusqu’à la fin de ma scolarité en école primaire.
Et puis le collège arrive, je suis d’abord scolarisé au collège Pablo Neruda de Stains, j’arrive avec l’étiquette de l’élève perturbateur, mais très intelligent. Je suis donc mis à l’écart de tous mes amis, et me retrouve dans une classe sans aucune connaissance. Durant mon année de sixième, je fais face à de nombreuses exclusions temporaires à la suite nombreux conflits avec des adultes, mais aussi à des bagarres… En cinquième, la situation est identique, j’intègre un dispositif » La classe » qui consiste à mettre dans une même classe des élèves perturbateurs, aménager leur emploi du temps et proposer des cours plus ludiques avec des professeurs formés à cet effet. Je m’y plais bien, car je suis le plus jeune du groupe. La même année je vois un psy qui vient me voir de manière hebdomadaire au collège, et lui conclut qu’il était possible que je sois un élève précoce. Pourtant, en quatrième, je fais encore plus de bêtises. Je frappe un professeur et je suis exclu définitivement de Pablo Neruda. J’arrive donc à Joliot Curie à Stains, je suis dans un état d’esprit très sombre, je veux tout détruire, je suis en colère contre l' »école « . Dans mon immaturité, j’estimais ne pas mériter cette exclusion. Je suis ensuite envoyé en « classe relais » à Épinay-sur-Seine (ndlr : dispositif visant à rassembler des élèves en rupture avec le système scolaire, en essayant de les raccrocher à travers des cours ludiques, de la danse, beaucoup de sorties culturelles, du sport, pratique d’instrument…). Je n’y fais pas long feu, car au bout d’un mois seulement, je suis renvoyé définitivement à la suite d’un acte de violence commis à l’encontre d’un adulte qui encadrait cette classe.
Et là c’est le retour à la case départ, à votre collège d’origine ?
Oui. Je reviens à Joliot Curie encore plus en colère contre le système, mais j’y rencontre des professeurs extraordinaires que j’aimerais citer – Messieurs Pontagnier, Pierre, Mesdames Leite, Ochs, Charrais, Haddadi… – eux ont cru en moi, en mes chances de m’en sortir. Pourtant, cela ne m’apaise pas. Mes bêtises se poursuivent, de nombreuses altercations avec différents adultes et une bagarre, je me vois exclu définitivement de nouveau. Je suis donc envoyé au collège Fabien à Saint-Denis. Là encore, j’ai beaucoup de chance, je tombe sur une cheffe d’établissement remarquable – Aurélie Journée – qui a compris que je cherchais à être en rupture avec l’école et que je voulais être encore une fois être exclu. Dès mon arrivée, elle m’a dit : « quoi que tu fasses ici, tu ne seras jamais exclu définitivement ». Cette phrase résonne comme un déclic, je me rends compte que j’ai plus à gagner à travailler. Je le fais. J’obtiens donc mon brevet avec la mention bien malgré mes différents changements établissements.
Et le lycée ?
Le lycée fut la plus belle période scolaire de ma vie. J’y ai occupé une place prépondérante, car j’étais un membre très actif du CVL. Et puis, j’avais gardé le lien avec Fabien Pontagnier, mon prof d’histoire géo, qui m’avait pris sous son aile. Il m’avait fait participer au concours du CNRD en m’y donnant une place prépondérante. Il a fait évoluer ma vision de l’école, des adultes, et surtout il m’a donné la passion de l’histoire et m’a transmis cette envie de me dévouer à mon tour aux élèves ou aux enfants de manière plus générale. Il m’a permis de me révéler. Je me suis donc épanoui intellectuellement au lycée. J’ai d’ailleurs obtenu un baccalauréat littéraire mention bien.
Fabien, le témoignage de Cheik montre la place prépondérante que vous prenez dans son parcours. Est-ce que c’est cela pour vous enseigner ?
Enseigner en éducation prioritaire est particulier. J’enseigne dans un espace marqué par des ségrégations socio-culturelles fortes, auprès d’élèves qui souvent ne portent pas un regard bienveillant sur l’école. Ils ont parfois perdu confiance en notre institution, ont besoin de reconnaissance, de soutien et de retrouver le goût de l’école tout simplement. Mon métier est donc particulier, mais il consiste surtout à permettre à ses enfants de « re »-trouver le plaisir de venir apprendre, échanger et comprendre. Développer leur esprit critique est selon moi l’un des points essentiels de notre quotidien, les faire réfléchir, travailler sur l’argumentation, sur la maîtrise de la langue et de l’écrit. L’ouverture artistique et culturelle est également essentielle et devrait être au cœur de toutes nos démarches d’enseignement, car elle révèle les inégalités sociales de notre société. Enseigner en REP+ nécessite des remises en question permanentes, une adaptation constante aux besoins multiples des élèves. Il faut également apprendre à entendre ces enfants, écouter leurs remarques parfois inopportunes, mais qui permettent ensuite d’entamer un échange et d’expliquer scientifiquement des faits. C’est un travail aussi très frustrant, car on aimerait faire plus et aider davantage certains enfants. Il faut, peut-être plus qu’ailleurs, les accompagner tôt dans la construction de leur projet d’orientation. Ce sont des élèves dynamiques, qui, comme de nombreux ados cherchent leur place à ceci près que leur lieu de vie, et donc leur espace d’appartenance, est décrié, déprécié et relégué dans les représentations. Enseigner en Rep+ est un engagement qui mériterait d’être plus justement reconnu.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Kamel Chabane et Benoît Falaize, Parce que chaque élève compte. Enseigner en quartiers populaires. ISBN : 9782708253933
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