Y-a-t-il une différence de nature entre les hommes et les femmes ? La théorie du genre est-elle fondée ? Voilà les questions qu’Eric Guéret et Frédérique Ménant ne se sont pas posées. Avec « Les Insoumises », les auteurs choisissent en effet une démarche frontale : enquêter sur les multiples formes de violence que subissent, encore aujourd’hui, les femmes de par le monde. Avec un parti pris ambitieux : trouver celles qui acceptent de témoigner de leur lutte à visage découvert, face à la caméra. Résultat : un documentaire stupéfiant, révélant des réalités difficiles à supporter, des vérités dures à entendre, à travers les portraits de ‘résistantes’ exemplaires capables d’ébranler les stéréotypes, de vaincre les préjugés et de mobiliser la société civile pour gagner des droits, une dignité, sur le chemin de l’émancipation.
De l’Inde à la France, en passant par le Mali, la Thaïlande et la Turquie, ce film instructif restitue avec intelligence les étapes du combat de femmes ‘insoumises’ et renvoie au magasin des accessoires bien des programmes éducatifs en faveur de l’égalité entre les filles et les garçons.
Les violences faites aux femmes
Avortements forcés, esclavages sexuels, excisions des petites filles, femmes victimes de ‘crimes d’honneur’ ou de violences conjugales…des formes de barbarie toujours pratiquées aujourd’hui. D’emblée, Eric Guéret et Frédérique Ménant égrainent quelques données chiffrées effarantes. En Inde (entre autres pays), chaque année, 500.000 femmes sont contraintes à avorter parce qu’elles attendent un enfant de sexe féminin. Dans de nombreux pays, africains notamment, la pratique de l’excision touche une fille toutes les 15 secondes. De nombreux Etats, en particulier au Moyen-Orient, ne répriment pas ‘les crimes d’honneur’ (5 000 assassinées par an). A travers le monde, un million et demi de femmes sont victimes de trafic sexuel et, en Europe, 3 500 femmes meurent chaque année sous les coups de leur conjoint. Les documentaristes refusent cependant tout misérabilisme. Pour ce faire, ils ont passé deux ans et demi à recueillir leurs informations et à convaincre des femmes de parler de leur expérience de victimes devenues résistantes.
Des portraits bouleversants
En Inde, Ranjana Kumari lutte à la fois contre la tradition et le gouvernement par la mise en place de réseaux locaux d’accueil et d’entraide aux femmes obligées par leurs proches et leur mari à avorter : l’échographie, examen pratiquée à une échelle de masse et détournée de sa fonction première de protection sanitaire, révélant le sexe du fœtus. A travers le travail patient de cette grande figure de l’émancipation, nous suivons les petits progrès des consciences et les avancées juridiques qui marquent un combat de longue haleine. Au Mali, où 89% des filles sont excisées, Kadidia Sidibé mise avant tout sur un lent travail de persuasion portée par son association et les femmes qui en font partie. Dans les différents villages, il s’agit de gagner les cœurs des premières concernées, les mères, afin qu’elles ne perpétuent pas la pratique de l’excision. Les échanges, les discussions prennent plusieurs années, tant sont fortes la méconnaissance en matière d’anatomie féminine et les idées reçues sur les prétendues bénéfices de l’opération. Au bout du compte, il faut encore emporter l’assentiment déterminant du chef de village, seule autorité apte à faire ‘basculer’ la communauté dans l’abandon de l’excision… En Thaïlande, il a fallu 13 ans de procédure civile et pénale à Khun Nee et à son avocate, Siriporn Skrobanek, pour obtenir la condamnation -à 12 ans de prison et des dédommagements matériels- de ‘sa’ proxénète. Une première dans l’histoire juridique de ce pays. Comme beaucoup de victimes de prostitution forcée, la jeune femme a dû se battre à la fois contre l’hostilité de sa famille et de son entourage –lesquels la considérent comme salie et moralement perdue- et contre une société valorisant la réussite par l’argent –l’auteure du crime, ancienne camarade de classe de la victime, étant devenue une femme riche et influente.
Une mobilisation de la société civile
De la même façon, en Turquie, Aïchi, abusée sexuellement par son oncle dans son enfance, rejetée et condamnée à mort par sa famille au nom de l’honneur, ne se résout pas à être une femme traquée, obligée de changer régulièrement de domicile à Istanbul. Elle témoigne au péril de sa vie car, même si la loi a récemment évolué, jusqu’en 2005 le ‘crime d’honneur’ était toléré et reste souvent une ‘circonstance atténuante’ en cas de procès. Nebahat Akkoc, en tant qu’avocate, a initié avec d’autres femmes une quarantaine de centres dans tout le pays pour accueillir et écouter les femmes victimes de toutes sortes de violence, du mariage forcé aux coups et blessures jusqu’aux menaces de mort. Un tel combat, long, difficile, s’appuie essentiellement sur la mobilisation du milieu associatif, de la société civile, des femmes elles-mêmes. Comme le souligne, en effet, une des intervenantes, il n’y a aucun soutien à attendre du pouvoir en place, ‘ni volonté politique’ dans ce domaine : ‘le Premier ministre vous regarde dans les yeux et affirme qu’il ne croit pas à l’égalité entre les hommes et les femmes’.
Nous pourrions penser qu’en France nous n’en sommes plus là. Les situations de détresse auxquelles est confrontée l’association de Gennevilliers ‘L’Escale’, dédiée aux femmes victimes de violences conjugales, montrent tout le chemin encore à parcourir, chez certaines, pour recommencer à vivre sans la peur des coups. Ce remarquable documentaire s’ouvre avec la reprise de l’article 1er de la déclaration universelle : ‘Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits’. Et il met au jour, avec pédagogie, la volonté et le courage déployés par de nombreuses femmes à travers le monde pour que ce principe s’incarne dans la réalité de leur vie quotidienne. Chapeau bas devant « Les Insoumises ».
Samra Bonvoisin
« Les Insoumises », documentaire d’Eric Guéret et Frédérique Ménant- disponible en DVD- édition Blaq Out (accompagné d’un entretien avec les auteurs)