Par Marcel Brun
L’Inspection générale juge la réforme de l’Ecole
Après plus d’un an de silence, l’Inspection générale peut à nouveau communiquer ses avis et un des premiers concerne « la mise en œuvre de la réforme de l’enseignement primaire ». Malmenée depuis plusieurs mois par un ministre (X. Darcos) qui avançait à marche forcée, l’Inspection Générale retrouve une place dans le jeu. Et les termes de son rapport sont parfois plus policés que quelques travaux des dernières années qui font référence par leur point de vue équilibré. Qu’on en juge…
D’entrée, le ton est donné : l’inspection générale regrette que ses notes d’alertes à « diffusion restreinte » au sein du Ministère n’aient pas été diffusées aux Inspecteurs d’Académie qui auraient pu s’en emparer. Sur quels sujets ? On peut s’en douter, si on en juge par le ton vif employé par certains inspecteurs généraux dans les regroupements interacadémiques d’inspecteurs qui ont eu lieu en fin d’année dernière. En effet, nombre ont eu l’impression de s’être fait remonter les bretelles pour ne pas avoir assez investi la réforme ministérielle, alors qu’ils avaient le sentiment inverse, même si le rapport écrit leur rend hommage en tapant sur le manque de « régulation académique et départementale ».
Le rapport liste les problèmes « par ordre d’importance » en commençant par la semaine de quatre jours. Elle fatigue élèves et enseignants. Les temps de dialogue avec les parents sont plus difficiles. La réduction du temps d’enseignement fait que le temps manque pour faire le programme. L’histoire, les sciences, l’EPS en payent le prix… Le rapport invite le ministre à agir en installant la classe le mercredi matin. Au passage, le rapport égratigne les « grignotages de temps » que constituent les sorties scolaires qui « déconcentrent les élèves ».
Pour les 60 heures d’aide personnalisée, « le bilan est positif « , mais… les effets sur la réussite des élèves ne se voient pas franchement. Les directeurs, les enseignants et les parents sont contents (« sauf quelques centaines d’opposants déclarés »). L’aide est « vécue comme un privilège », mais « l’apport pédagogique de l’encadrement n’a certainement pas été à la hauteur des attentes ». Pan sur le bec des IEN. Deuxième indice. » Les enseignants se débrouillent, cherchent sur Internet des exercices et des jeux », confondent parfois aide et soutien, et posent la question des outils. Et surtout, déclarent que l’aide personnalisée ne permet d’infléchir que les difficultés légères. Cependant, l’inspection générale maintient une ligne très ferme pour demander de supprimer le temps « d’organisation de l’aide » (travail des enseignants sur les 60h hors présence élèves) qui a fait l’objet de « réclamations polémiques » l’an passé. Et elle demande aux IA d’être fermes sur les prix.
Sur les évaluations CM2 et CE1, l’IG concède que l’opposition syndicale et associative a rencontré un « écho indéniable » auprès des enseignants. Mais grâce à l’investissement des IEN (et malgré les « points faibles » de l’application nationale), 70% des résultats sont remontés pour les CM2, 85% pour les CE1. Grâce aux outils informatiques mis en place, la notion de « résultat attendu » fait son apparition dans le dialogue entre écoles et IEN, avec parfois des objectifs chiffrés d’amélioration des résultats, déjà présents dans le dialogue de gestion entre le ministère et les rectorats lors de la négociation budgétaire. C’est donc « un levier de progrès » pour mieux enseigner tout le programme, « développer le pilotage pédagogique et la culture de l’évaluation « . Les IG proposent donc de reconduire, sans dire un mot du fond des arguments mis en avant par les opposants, notamment aux enseignants de CM2 à qui certains IEN demandent déjà, lors des réunions de rentrée, de « lisser leurs programmations pour avoir fait tout le programme du CM2 en janvier ! »
Les nouveaux programmes ne sont plus remis en cause, dit le rapport. Mais les enseignants ne s’en sont pas encore emparés : les enseignants ne maîtrisent pas les « horaires en modules », ne programment pas assez « rigoureusement » les répartitions.
Pour les stages de remise à niveau, les enseignants « prennent conscience de l’intérêt financier et pédagogique » de ce dispositif, même si certains se comportent en « mercenaires ». Mais l’IG confesse qu’aucun bilan qualitatif ni quantitatif n’est disponible, sauf quelques « bilans déclaratifs ». « Il conviendrait donc d’évaluer l’effet de ces stages »…
L’accompagnement éducatif en Education Prioritaire est « apparemment satisfaisant », mais les enseignants sont peu disponibles, les dispositifs sont en concurrence les uns avec les autres (soutien, activités municipales ou associatives…) et la réflexion globale entre les acteurs « ne progresse pas »…
Le paragraphe sur les « relations entre IEN et enseignants » est instructif : les circonscriptions étant fortement incitées à aller au contact des enseignants pour la mise en œuvre de la réforme ou pour « contrer les opposants », la « relation hiérarchique s’est renforcée » et « le succès des réformes a apaisé les tensions » : « des réformes à vocation pédagogique ont eu des effets sur la modernisation de l’enseignement primaire » : individualisation des la gestion des enseignants, développement de postes « à profil », modification des règles de mouvement, malgré la « désinformation » des élus du personnel hostiles « par principe » aux réformes…
Une réforme pédagogique… ou une réforme pour changer l’Ecole ?
La seconde partie du rapport entend faire le point sur les évolutions transversales. Pour les auteurs, les « utilisations pédagogiques des évaluations » sont trop faibles : les équipes ont été trop « désorientées » pour savoir à quoi s’attaquer en priorité, l’observation de l’aide individualisée a été « décevante », et on appelle au renforcement de l’accompagnement par les inspecteurs et les formateurs.
Enfin, le rapport pointe la plus grande confusion dans l’articulation entre les différentes aides : aide individualisée, prise en charge par les RASED désormais « recentrés », autres dispositifs subsistant (PPRE, accompagnement éducatif, réussite éducative…). Les RASED ne jouent pas assez « le rôle de conseil auprès des enseignants attendu d’eux ». Le rapport rappelle donc que le PPRE doit être davantage une « référence du projet d’aide global » qu’un dispositif spécifique et supplémentaire.
Les EPEP
Le rapport va jusqu’au bout de sa logique : pour redonner du souffle à des équipes d’IEN qui croulent sous les tâches administratives (renforcées par la mise en place du Service Minimum d’Accueil) et les injonctions, il recommande de « déconcentrer » une partie de leurs tâches sur les écoles, en modifiant leur statut pour leur donner une existence juridique d’établissement (les EPEP). En renforçant le statut hiérarchique du directeur d’école pour lui permettre d’arbitrer les conflits et de jouer un rôle plus grand dans la « mise en œuvre de la politique de l’Etat », les IG souhaitent que les IEN se recentrent sur leurs missions de contrôle et d’animation pédagogique, dans le cadre d’une circonscription où ses conseillers seraient mieux reconnus par une « évolution de leur cadre réglementaire » et de leurs indemnités.
Un bilan tout en subtilité. Bref, une « année très positive » qui engage l’enseignement primaire vers la « modernisation ». Avec seulement trois lignes de bémol pour conclure. « Il ne faut toutefois pas exclure de répondre aux besoins de mise en cohérence des réformes et aux interrogations des personnels sur les perspectives d’avenir en précisant le cap de cette « cascade de réformes » qui modifient en profondeur le fonctionnement de l’école »». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites. Le métier d’inspecteur général est décidément, lui aussi, un sport de combat quand il cherche à retrouver une place dans le pilotage de la technostructure.
Le rapport
Pour le Se-Unsa la note de l’IG sur la réforme relève de la méthode Coué
« Coué enseigne que toute idée qui se grave dans notre esprit tend à devenir une réalité dans l’ordre du possible… C’est bien la méthode qu’ont adoptée les deux inspecteurs généraux rédacteurs de cette note de synthèse. Celle-ci semble avoir pour objectif essentiel d’affirmer, de façon récurrente, le bien fondé des réformes ». Pour le Se-Unsa , « ce postulat idéologique compromet d’emblée l’intérêt qu’on aurait pu porter à une première évaluation très attendue ».
Ainsi sur l’aide personnalisée, le syndicat estime que la suggestion de l’Inspection de supprimer tout temps d’organisation inclus dans les 60 heures est inacceptable. « On ne peut pas d’un côté souligner le manque d’outils disponibles, appeler à la créativité pédagogique et de l’autre, refuser aux enseignants ce temps d’élaboration d’outils, d’échange collectif indispensable ». Le syndicat récuse aussi la vision des évaluations de Ce1 – Cm2. Il demande la mise en place d’un groupe de travail sur les dispositifs d’évaluation.
Mais les inquiétudes du Se-Unsa se portent surtout sur la réforme du statut des enseignants. « La note affirme que toutes ces réformes « comportent en elles-mêmes de profondes modifications dans la définition du service des enseignants », l’individualisation du service, la différenciation des activités du service obligatoire, la possibilité de faire des heures supplémentaires… Pour le SE-UNSA, que des réformes « éducatives » servent d’alibi à des modifications fonctionnelles n’est pas acceptable. La gestion des personnels doit faire l’objet d’une concertation spécifique et ne peut pas s’imposer comme un simple corollaire. »