« En euros constants, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25 % de rémunération au cours des 20 dernières années ». Des salaires en chute de près de 20% en 20 ans, devenus nettement plus faibles que les salaires du privé. Un temps d’enseignement nettement supérieur à celui des pays voisins pour des salaires nettement plus bas. Des conditions de travail parmi les plus dégradées de tous les pays de l’OCDE. Tout cela est connu. Mais ce réquisitoire sans appel ne vient pas d’un syndicat enseignant. Il est tiré du rapport du Sénat sur le budget de l’Education nationale. Budget malgré tout adopté sans modification par la commission des Finances du Sénat…
20% de perte de pouvoir d’achat en 20 ans
Il est rare de voir le Sénat, majoritairement à droite, aller dans un sens favorable aux enseignants. On se rappelle du rapport Longuet (2016) qui avait calculé au plus mesquin les économies qu’on pouvait faire sur le dos des professeurs. Mais le rapport de Jean-François Husson (LR) sur le budget 2022 de l’Education nationale apporte un éclairage particulièrement net sur ce qu’il faut bien nommer la dévalorisation matérielle mais aussi morale du métier enseignant.
Comment évaluer un corps de métier ? Le rapport el fait par l’évolution de ses rémunérations en comparaison avec celles du privé. Il le fait aussi par comparaison avec les autres pays. Enfin il introduit des éléments liés à la durée et aux conditions de travail.
« En euros constants, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25 % de rémunération au cours des 20 dernières années », établit le rapport en se basant sur un document de la Depp. Le rapport donne des exemples précis. Ainsi au bout de 15 ans d’ancienneté, en euros constants, le salaire d’un professeur des écoles de 2020 est inférieur de 22% à celui qu’il aurait eu en 2000. Pour un certifié la baisse est de 23%. C’ets en fin de carrière que l’écart est le plus élevé , ce qui va peser sur la retraite. Dans les deux cas on a 25% de perte.
Par rapport aux salaires du privé le décrochage est tout autant important. » Les salaires effectifs des enseignants français sont donc en deçà du revenu du travail des actifs ayant atteint au moins le niveau licence. Plus précisément, les salaires des professeurs sont inférieurs à celui des actifs du privé de 21 % dans le préélémentaire, 23 % dans l’élémentaire et 12 % au collège ». Rappelons que les enseignants ont un diplôme de master soit deux ‘études de plus que la licence. Le rapport souligne que « ce n’est pas le cas dans d’autres pays européens et en particulier en Allemagne ou en Belgique pour lesquels les rémunérations des enseignants sont supérieures à celle de l’ensemble des actifs ».
Plus de travail pour des salaires plus bas qu’ailleurs en Europe
Justement restons dans la comparaison internationale. « Le salaire effectif brut moyen des enseignants est plus faible en France qu’en Allemagne et dans la plupart des pays du nord de l’Europe, mais aussi qu’en Angleterre et au Portugal. Dans le premier cycle du second degré, il se situe en dessous de ceux pratiqués en Allemagne et dans la plupart des pays d’Europe du Nord (Finlande, Danemark, Pays-Bas) », note le rapport. Autour de 15 ans de carrière l’écart entre les salaires versés aux enseignants français et ceux de leurs collègues européens est d’environ 10 000 $ par an. Enfin cet écart ne cesse de se creuser. Alors qu’entre 2014 et 2019 les salaire des enseignants en début de carrière ont augmenté de 2 à 3% pour les professeurs français, la hausse a été de 7% en Allemagne, de 20% dans les pays nordiques.
Et si on parlait conditions de travail ? » Le temps d’enseignement réglementaire dans l’élémentaire est de 900 heures par an en France, 738 heures en moyenne dans l’UE et 691 heures en Allemagne. Au collège, il est de 720 heures en France, 660 heures dans l’UE et 641 heures en Allemagne ; au lycée, le temps d’enseignement est de 720 heures en France, 629 heures en moyenne UE-23 et 610 heures en Allemagne ». Quel que soit le niveau, les enseignants français travaillent davantage que leurs collègues européens pour un salaire inférieur. On entend dire que dans de nombreux pays européens les enseignants sont astreints à rester dans l’établissement un certain nombre d’heures. En réalité cela dépend des pays. Cela n’excède jamais 35 heures par semaine alors même que des enquêtes en France arrivent toutes à 40 à 44 h de travail hebdomadaires. De toutes façons, si les professeurs devaient être astreints à rester dans l’établissement en France, on se demande bien où ils pourraient aller. Les locaux ne sont absolument pas prévus pour cela.
Des conditions de travail dégradées
Il y a d’autres éléments qui jouent sur la qualité du travail auxquelles le rapport a été sensible. A commencer par le degré de satisfaction des enseignants. » Près d’un quart des enseignants (24 % des professeurs des écoles et 25 % des enseignants en collège) se demandent s’ils n’auraient pas dû prendre une autre voie professionnelle. Environ 40 % des enseignants du second degré aimeraient travailler dans un autre établissement que le leur », note le rapport. Seulement 7% des enseignants français jugent leur métier valorisé par la société contre 17% en Europe. Seulement 8% pensent qu’ils peuvent influer sur les politiques éducatives contre 19% en moyenne en Europe.
Si les enseignants se déclarent satisfaits des relations avec les élèves, la vie de classe est plus pénible en France qu’ailleurs. » L’Argentine et le Brésil sont les seuls pays (de l’OCDE) où l’indice du climat de discipline est inférieur à la moyenne observée en France. Un élève français sur deux déclare qu’il y a du bruit et du désordre dans la plupart ou dans tous les cours, contre un sur trois en moyenne dans l’OCDE ».
Cela a peut-être à voir avec le taux d’encadrement. » Dans le premier degré, la France présente le taux le plus fort au sein de l’Union européenne avec plus de 19 élèves par enseignant dans l’élémentaire et plus de 23 élèves par enseignant dans le préélémentaire », note le rapport. Dans le second degré on est à 14 élèves par enseignant contre 12 en moyenne en Europe, 9 en Belgique, 11 en Italie, en Suède, en Espagne. Enfin le nombre d’élèves par classe a fortement augmenté dans le second degré depuis les suppressions de postes de N Sarkozy. Et cela continue sauf dans l’enseignement professionnel.
Face à cette situation, la « revalorisation » annoncée par JM Blanquer parait lilliputienne. 245 millions, répartis sur la moitié des enseignants, justement pas celle qui a connu la plus forte chute de pouvoir d’achat. Une revalorisation nettement inférieure aux accords PPCR, stoppés nets dans leur élan par le nouveau président. Les accords PPCR sont évalués par le même rapport à 1 milliards d’euros dont 26 millions en 2021 et 17 en 2022. La revalorisation « inédite » de JM Blanquer ne peut pas prétendre rendre le métier enseignant plus attractif dans ces conditions.
François Jarraud