Les organisateurs du grand débat sur l’éducation se félicitent de son succès, quantitatif pour l’instant disent-ils mais le qualitatif viendra au printemps. Au même moment, les sceptiques de la première heure et d’autres, dans la presse notamment, qui ne l’étaient pas toujours au départ, estiment la participation et la teneur des échanges faibles et décevantes. Lendemain d’élections, lendemains de manifestations, lendemains de débats : toujours les mêmes cris de victoire et la même auto-satisfaction dans les camps adverses. Le pire, c’est peut-être cela : l’impression que la réalité des choses, une fois de plus, n’aura simplement pas été regardée ni reconnue.
En septembre, dans notre éditorial de rentrée titré » avant le débat « , nous nous demandions quelle place y occuperait Internet. Nous sommes bien placés pour savoir que le réseau électronique est parfois le théâtre d’intéressantes et surprenantes innovations sociales. Le Café pédagogique lui-même en est un bon exemple : c’est l’un des multiples lieux nouveaux imaginés par des professeurs et des pédagogues ingénieux pour rapprocher les enseignants, en nombre de plus en plus grand, et les aider à partager idées, questions, solutions et doutes.
Le débat sur l’école était une belle occasion d’imaginer et d’inventer quelque chose de nouveau dans la manière de débattre. Qu’en a-t-il été ? Un site a été créé comprenant des forums, autant que de questions proposées par la commission chargée de l’organisation du débat, des chats périodiques avec des membres de la commission, des documents d’information consultables en ligne et téléchargeables. Le site a reçu des centaines de milliers de visiteurs et 40 000 messages ont été postés sur les forums. Les organisateurs sont contents.
Le pire, là encore, c’est l’absence de surprise. Le site est exactement comment n’importe quel internaute aurait pu l’imaginer avant qu’il n’existe. A quoi cela sert-il de débarquer sur Internet si c’est sans imagination et sans la sensibilité du lieu ? Les forums, une fois pleins, contiennent exactement ce que l’on pouvait s’attendre à y trouver lorsqu’ils ont été ouverts et qui est d’ailleurs exactement ce que l’on a entendu dans les 15 000 autres débats qui se sont tenus en même temps dans les établissements scolaires : les mêmes phrases et les mêmes oppositions.
En septembre, en même temps que nous annoncions sur le site du Café pédagogique le lancement du débat national sur l’avenir de l’école, nous observions qu’aux Etats-Unis, Howard Dean, candidat démocrate aux élections présidentielles, réussissait à multiplier le nombre de ses partisans et de ses soutiens financiers en utilisant d’une façon très créative les réseaux électroniques et notamment le site meetup.com. Pendant que notre débat national s’enlisait dans les marécages du prévisible, de l’autre côté de l’Atlantique, un étonnant renversement se faisait jour dans la vie politique : ce n’était plus un homme politique cherchant à conquérir l’électorat mais un groupe décidé à pousser Howard Dean en avant et à grossir jusqu’à le faire gagner. Du coup, les analyses de cette candidature inattendue s’intéressaient bien davantage aux partisans de Dean et à leurs méthodes qu’à Dean lui-même. Un espoir peut-être pour la représentation politique, bien mal en point là-bas comme ici. Certes, les partisans de Howard Dean auront un jour rendez-vous avec leur candidat. Ils verront alors et nous verrons avec eux s’ils ont eu raison de lui faire confiance et si l’imagination dont ils ont jusqu’à présent fait preuve collectivement leur fera trouver les formes nouvelles d’un dialogue démocratique continu avec le représentant qu’ils se seront choisis.
De notre côté, nous verrons dans quelques mois ce que les contenus du débat, distillés avec le concours dit-on d’ordinateurs et de logiciels synthétiseurs de textes, inspireront aux sages de la commission. Il est vrai, et c’est un peu triste de l’avouer, que nous attendons ces résultats-là avec moins d’impatience et de curiosité que ceux des primaires et des élections américaines.
Serge Pouts-Lajus