Une étude récente réalisée en Angleterre indique que 98% des britanniques scolarisés de plus de 14 ans utilisent Internet contre 22% des personnes à la retraite. Aujourd’hui, la fracture numérique semble donc séparer davantage les générations que les catégories sociales. On pourrait appliquer ce constat à la France sans courir un très grand risque. Cela conduirait à admettre que les élèves qui n’ont pas d’accès à Internet à leur domicile, n’en seraient pas moins, presque tous, des utilisateurs du réseau, dans leur collège ou leur lycée, chez un camarade ou un voisin, dans un cybercafé ou un EPN (Espace Public Numérique). Par ailleurs, la création d’une adresse électronique personnelle étant devenue une opération simple, sans coût, nécessaire lorsque l’on veut faire autre chose sur le réseau que consulter le Web, on devra aussi admettre que la quasi-totalité des professeurs et des élèves de l’enseignement secondaire seraient aujourd’hui en mesure d’envoyer et de recevoir des courriels.
Parmi les questions que cette situation invite à se poser, celles-ci : les professeurs et leurs élèves pourraient-ils échanger entre eux par le moyen du courrier électronique ? qu’est-ce qui justifierait ou, à l’inverse, qu’est-ce qui contre-indiquerait de tels échanges ?
On oppose souvent l’enseignement à distance et l’enseignement scolaire traditionnel pour lequel il a fallu créer l’adjectif présentiel. On pourrait penser : l’échange par Internet entre professeur et élève est utile pour l’enseignement à distance mais il ne l’est pas pour l’enseignement présentiel. Ce serait oublier qu’aucune forme d’enseignement n’est intégralement présentielle. Dans l’enseignement secondaire, élèves et professeurs ne se rencontrent qu’à l’occasion des cours : entre 1 et 5 heures par semaine suivant les disciplines. En dehors de ces courtes périodes, qui ne sont d’ailleurs guère favorables à l’échange individualisé, l’élève et le professeur n’ont pas de possibilité simple de communiquer entre eux. Pourtant, les raisons ne manquent pas : l’élève en difficulté pourrait demander un conseil ou un éclaircissement, le professeur ou l’élève absent pourrait envoyer et recevoir des consignes, les travaux produits sous forme numérique (ils seront forcément de plus en plus nombreux) pourraient être transmis directement. Ce n’est pas tout. La communication simplifiée entre élèves et professeurs pourrait aussi être exploitée pour des échanges avec les parents. Là aussi, les raisons ne manquent pas.
Les professeurs auxquels cette hypothèse est soumise font souvent cette objection : ma boîte sera bombardée, elle sera envahie de courriers inopportuns. Cette inquiétude est-elle fondée ? Pour le savoir, il suffit de demander aux collègues qui ont franchi le pas. Que leur est-il arrivé ? Le plus souvent ceci : ceux qui donnent leur adresse avec la consigne de ne l’utiliser qu’en cas de besoin impératif ne reçoivent en un an que quelques messages d’élèves et aucun de parents… Les raisons de ce peu d’empressement sont simples : Internet et le courrier électronique n’ont pas le pouvoir de faire naître chez les élèves une passion pour les tâches scolaires ni de modifier la nature des relations plutôt distantes entre les enseignants et les parents.
Mais alors, s’il n’y a pas d’échanges, pourquoi se poser la question ?
Il y a plusieurs raisons. En voici quelques-unes.
Le travail d’un enseignant comporte deux moments : l’un d’enseignement proprement dit, en classe devant les élèves, l’autre de préparation des cours, de formation, de correction des devoirs et de suivi individuel des élèves. En France, la tradition veut que les professeurs du secondaire, chaque fois que cela est possible, effectuent cette part personnelle de leur travail chez eux. Dans beaucoup d’autres pays, en Angleterre en particulier mais également dans les pays du Nord de l’Europe, ils l’accomplissent en grande partie dans l’établissement où ils disposent de salles de travail, de téléphones et d’ordinateurs. Il ne s’agit pas ici de discuter ces pratiques et de trouver à l’une une supériorité sur l’autre. Admettons qu’elles aient des avantages et des inconvénients qui s’équilibrent. Le défaut de la solution française tient à ce qu’elle rend difficile la relation personnelle entre un élève et son professeur. C’est une faiblesse que le recours au courriel pourrait atténuer et c’est pour cette raison que nous devrions nous y intéresser. Le même raisonnement pourrait s’étendre aux parents : la procédure permettant à un parent de rencontrer un enseignant (inscrire une demande dans le carnet de correspondance, choisir l’une des dates proposées, se rendre au collège ou au lycée uniquement pour cela) est lourde et contraignante pour tout le monde. Il est vrai que certains sujets ne peuvent être discutés qu’en face à face, mais ce n’est pas le cas des petits tracas et des petites difficultés du quotidien pour lesquels un échange de courriel ferait l’affaire.
Les ENT (Espace numériques de travail) dont on prépare le déploiement dans certaines régions se placent dans la perspective d’une généralisation et d’une systématisation des échanges électroniques entre tous les membres d’une communauté éducative d’établissement. Mais avant de vouloir généraliser, il serait sage de réfléchir aux obstacles qui devront être levés pour que ces objectifs ambitieux aient quelque chance d’être atteints. Encourager des pratiques localisées et modestes sans attendre, analyser et diffuser leurs résultats aiderait à préparer le terrain aux ENT. Jackie Pouzin, professeur d’histoire-géographie à Evron s’est donné la peine de témoigner de ses 4 années de pratique du courriel avec ses élèves ( http://www.ac-nantes.fr/peda/disc/histgeo/outice/virtuel.htm): » le service rendu aux élèves est modeste mais précieux » conclut-il.
Serge Pouts-Lajus