Deux cent enseignants, un cinquantaine d’intervenants, 40 ateliers du primaire au supérieur durant deux journées, la bénédiction de Catherine Becchetti Bizot, Directrice du numérique éducatif au ministère de l’Éducation nationale, le 1er congrès de la classe inversée, organisé par l’association Inversons la classe, a vu naitre une communauté enseignante qui a le vent en poupe. Durant deux journées, les 3 et 4 juillet, le congrès a montré une belle variété de pratiques et affiché une belle volonté : pas moins que « révolutionner l’école ».
Une révolution pédagogique ?
« La révolution est en marche faite par ses acteurs dans les classes ». En ouvrant le 1er congrès de la classe inversée, Héloïse Dufour, présidente de l’association Inversons la classe, met la barre haut. Mais elle est à l’image de la communauté d’enseignants réunie pour ce congrès. Le congrès est le rendez vous de professeurs dynamiques, en recherche de solution face à une situation scolaire qui ne leur convient pas.
Pour H. Dufour, la classe inversée permet d’augmenter l’autonomie des élèves, leur motivation et leurs résultats. C’est un moyen de lutter contre les inégalités scolaires. Elle va « révolutionner l’école en profondeur car très diffusable ». Enfin elle a un impact positif sur le plaisir au travail des enseignants. Dans l’enthousiasme de la fin du congrès, la classe inversée devient même une pédagogie qui, selon elle, se réclame de Freinet.
« L’aboutissement des pédagogies actives »
Catherine Becchetti Bizot, Directrice du numérique éducatif au ministère de l’Éducation nationale, est venue porter la communauté naissante sur les fonts baptismaux. Elle salue « une communauté d’enseignants qui innovent , qui inventent de nouvelles pédagogies au bénéfice de leurs élèves ». Elle salue ceux « qui savent s’interroger sur la façon dont les nouveaux outils qui sont le quotidien de leurs élèves changent la donne et modifient la façon d’apprendre et de vivre ensemble. Elle souligne aussi « une dynamique qui rompt avec la morosité du corps enseignant ».
Pour Catherine Becchetti Bizot, le numérique permet une nouvelle organisation de la classe et du temps scolaire, un élargissement virtuel de ses murs, une diversification des contenus et des contextes d’apprentissage. Mais tout cela nécessite « des scénarios pédagogiques bien construits ». Pour elle, la classe inversée « n’est pas un engouement passager importé des Etats-Unis mais l’aboutissement d’un mouvement ancien, celui des pédagogies actives ».
Elle annonce la mise en place du « comité des partenaires du numérique éducatif » comprenant les collectivités locales (AMF et autres associations de maires, ADF, ARF, RFVE), les ministères de l’éducation nationale et de l’économie et la Caisse des dépôts. Elle promet aussi l’inscription au plan de formation dans chaque académie d’une formation de 3 jours au numérique.
La fin du cours traditionnel
Durant deux journées, 40 ateliers réunissent un nombre toujours aussi important de congressistes malgré la canicule parisienne, écrasante. L’enthousiasme ne se dément pas durant deux journées. C’est qu’il y a mille et une façon de pratiquer la classe inversée. Si le schéma reste identique, un temps de préparation à la maison avec une capsule vidéo, un temps de travail et de reformulation en classe, tout change dans le contenu de la capsule, l’organisation du travail en classe, les objectifs poursuivis.
Le point commun à tous les enseignants présents au congrès, dont certains sont juste venus s’informer ou piquer des idées, c’est la fin du cours traditionnel. Cela se fait parfois dans la souffrance, telle cette professeure de lettres-histoire qui dénonce la violence des classes de 35 élèves en professionnel tertiaire. Pour d’autres c’est l’ennui ou l’inefficacité du cours traditionnel. « J’ai repris des secondes et j’ai rencontré de grosses difficultés », explique, par exemple, Bernard Rouy, professeur d’électrotechnique en lycée professionnel. « J’ai rencontré de gros problèmes pour qu’ils apprennent leurs leçons, Les devoirs à la maison n’étaient jamais faits ». Cette remise en question est un point commun, bien au-delà de l’enseignement professionnel. Le numérique apparait à tous comme l’outil qui va permettre de débloquer des situations pédagogiques insupportables, une sorte de « ruse » pédagogique capable de se réconcilier avec son métier.
Et tous témoignent que ça marche. Evidemment la classe inversée est chronophage. Il faut réaliser les fameuses capsules vidéos. Le congrès sert aussi à se passer les bonnes adresses et à communiquer sur les bons outils. Il y a débat sur le contenu des capsules qui peut aller d’un documentaire complet à une « mise en bouche » de 2 minutes. L’exploitation en classe change aussi, mais le travail de groupe est un autre point commun. Mais tous sont convaincus des bienfaits de « leur » classe inversée. On salue les progrès des élèves. Le souci de faire progresser les meilleurs est une constante des ateliers.
Mais qu’en dit la recherche ?
Toute innovation mérite évaluation et c’est Eric Bruillart (directeur du laboratoire Sciences Techniques Éducation Formation, E.N.S. Cachan) qui est chargé de donner le point de vue de la recherche sur la classe inversée. Il cite l’étude de Vincent Feuillet. Dans deux classes de lycée en physique chimie, « la leçon était distribuée aux élèves sous format littéral (feuillets polycopiés), parfois des ressources numériques (sites internet, animations et vidéogrammes en ligne) pouvaient être proposées en fonction des sujets abordés afin de compléter la leçon. A l’issue de cette phase d’acquisition hors du temps scolaire, le cours inscrit à l’emploi du temps des élèves était consacré à la résolution d’exercices d’application dans l’esprit de l’instruction par les pairs ou peer instruction… Des exercices sous format de questions à choix multiples étaient vidéo-projetés et les élèves répondaient anonymement avec un boitier de vote. Les résultats du vote étaient affichés (sans indication de la réponse correcte) et s’en suivait une discussion en groupe entre proposants et opposants avant que l’enseignant ne corrige l’exercice. Chaque cours commençait par un rapide contrôle ».
Les résultats de V Feuillet sont surprenants. » une tendance pour les élèves de bon niveau en classe traditionnelle à être généralement moins performants en classe inversée et une tendance pour les élèves de faible niveau en classe traditionnelle à être plus performants en classe inversée ».
Pour les « bons élèves », cela s’explique pour V Feuillet par le fait que » l’élève performant, dans le système traditionnel, est un élève adapté aux modalités de la pédagogie transmissive. Nous avons vu qu’il devait écouter, être attentif et suivre. On pourrait rajouter qu’il sait interagir avec le professeur lors de la prise de note », note V Feuillet. » J’écoute beaucoup en cours et en règle générale je comprends bien donc après quand je rentre chez moi j’ai moins de travail », explique une élève. Avec la classe inversée, ces bons élèves doivent s’adapter et s’approprier une autre façon de travailler. Souvent ils y sont hostiles. Plusieurs intervenants vont souligner dans les ateliers la pression des parents de ces bons élèves. » Nombre d’élèves de bon niveau peinent à travailler leurs leçons à la maison dans les conditions de la classe inversée », note V Feuillet. » Positionner la phase d’acquisition hors du temps scolaire peut dérouter les élèves que le système transmissif a valorisés et sélectionnés tout au long de leur scolarité pour leur qualité d’écoute, de prise de note et d’interaction avec l’enseignant au moment de la leçon », indique-t-il.
Mais comment les élèves faibles expliquent-ils leur progression? » En inversé ça nous oblige à travailler parce qu’on sait qu’en cours on va pas le faire et qu’on doit le faire à la maison », indique un élève, interrogé par V Feuillet. » C’est automatique quand il y a un contrôle après ben ça donne envie d’apprendre le cours et d’avoir une note facile et après au gros contrôle c’est comme on a retenu le cours ben on sait des choses », dit un autre. Autrement dit la vertu de la classe inversée tient à la multiplication des contrôle et à leur évaluation. Les élèves travaillent plus parce qu’ils sont plus contrôlés. V Feuillet souligne aussi le faut qu’il y ait deux temps d’apprentissage ( à la maison puis en cours) au lieu d’un. Ce dont témoigneront aussi les enseignants lors du congrès c’est que la capsule vidéo incite les élèves à faire un travail à la maison jugé plus agréable et moins long que le travail traditionnel. Le travail d egroupe doit aussi avoir son importance, mais V Feuillet constate que les élèves ne le mentionnent jamais.
Prochain congrès le 30 juin
Vincent Feuillet conclue » nous pensons que la classe inversée, dans les conditions de cette étude, est un outil de remédiation performant pour redonner ponctuellement de l’allant à certains élèves du lycée dépassés par un système trop souvent transmissif et pas assez permissif. Cela étant, nous ne saurions recommander, en l’état, un usage extensif de cette méthode qui n’est pas une panacée éducative ».
De toutes façons, pour Eric Bruillart, la légitimité d’une innovation pédagogique n’est pas à chercher dans la recherche. Elle appartient aux acteurs eux-mêmes. C’était aussi le but du congrès de faire émerger dans une communauté de pratiques cette légitimité de la classe inversée. Le prochain congrès est d’ores et déjà fixé du 30 juin au 2 juillet à Paris. Du 25 au 29 janvier, l’association lance une « semaine de la classe inversée ».
François Jarraud
P Bihouée : POurquoi la classe inversée ?