« Ce sera le collège pour tous, mais pas le même collège ». Valérie Pécresse a présenté le 5 février son programme éducation dans le cas où elle gagnerait l’élection présidentielle. S’inspirant des système anglais et suédois, elle prévoit de donner une large autonomie aux établissements pour les programmes et le choix des professeurs dont le recrutement serait local, largement contractualisé, avec des payes variables. Elle dessine un système éducatif fragmenté où le destin scolaire des jeunes serait fixé très tôt, dès la 6ème. Son programme s’inscrit dans une tendance mondiale, en échec dans les pays où elle a démarré, et particulièrement en Suède, mais qui stagne dans les programmes de la droite française depuis une décennie. Une tendance qui conduit au séparatisme social.
Des charters schools en France
« Il faut oser mettre l’éducation au coeur de cette campagne », lance V Pécresse devant un public composé d’acteurs de l’Ecole le 5 février. Deux heures durant , la candidate va préciser son programme qu’elle résume en trois mots : liberté, mérite et autorité.
La liberté c’est en fait l’autonomie des établissements. Elle créera des établissements publics innovants « 100% autonomes ». C’est à dire des établissements publics sous contrat avec l’Etat, comme les établissements privés actuels, amis avec davantage encore d’autonomie. « Dans ces établissements les chefs d’établissements choisissent les professeurs et ont une marge d’adaptation dans le cadre des programmes » Elle évoque aussi un « contrat de confiance avec les parents » c’est à dire un libre recrutement des élèves. « Ces projets de liberté les Suédois et les Britanniques les ont mis en place. Cela a vraiment fonctionné », ajoute-elle. « Plus on donnera de pouvoirs aux établissements pour passer outre aux contraintes bureaucratiques plus on répondra aux vrais besoins des élèves et des familles ».
Quant aux lycées professionnels, V Pécresse les donne aux régions pour un enseignement professionnel « construit dans un bassin d’emploi au contact des métiers ». Elle se déclare en faveur de l’apprentissage, l’alternance devant s’imposer dans les lycées professionnels. Pour cela elle exonèrera de charges sociales les entreprises.
Des enseignants à la carte
Du coté des enseignants, V Pécresse veut un capes régionalisé et « un recrutement beaucoup plus local ». Répondant à une question d’un cadre de l’enseignement catholique, elle précise que les contractuels pourraient avoir une paye dans la continuité de l’emploi précédent. ON aurait donc une individualisation de la paye des enseignants.
« IL faut augmenter les salaires en début de carrière », dit la candidate. « Il faut plus de rémunération pour ceux qui s’impliquent davantage. Ceux qui travaillent dans des territoires ruraux isolés ou ceux qui prennent des missions supplémentaires verront leur rémunération augmenter ». V Pécresse ne parle pas de revalorisation. Il semble que les missions soient en lien avec le contrat d’établissement. Cela donnerait au chef d’établissement le controle sur le recrutement et la paye des enseignants ce qui définit ce que V Pécresse entend par autonomie de l’établissement et liberté. Elle développera une « réserve de l’éducation nationale » avec des retraités et des étudiants pour remplacer les enseignants.
Des filières séparées dès la 6ème
Le mérite c’est « une école de l’exigence ». Avec déjà l’accent mis sur les fondamentaux à l’école primaire. V Pécresse a déjà dit qu’elle augmenterait de 2 heures hebdomadaire le programme de français et d’une heure celui de maths. Elle veut instaurer un examen d’entrée en 6ème pour vérifier les fondamentaux. « Ce sera le collège pour tous mais pas le même collège ». Ceux qui échoueront à l’examen « sont ceux qui vont troubler l’ordre en classe » dit -elle. Il seront donc envoyés en « 6èmes de consolidation », ce qui met fin au collège unique.
Enfin il y a le respect. V Pécresse va trier les élèves selon leur comportement. « On va mettre fin au principe totalement fou qui fait que les poly-exclus sont réinscrits dans un autre établissement. Il faudra des classes relais pour que les plus perturbateurs on ne les retrouve pas dans l’école ».
Que sait-on de la Suède et l’Angleterre ?
Le programme éducatif de Valérie Pécresse s’appuie sur un courant international très bien décrit par A Barrère et B Delvaux dans un numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (n°76). « L’hypothèse sous tendant ce dossier est que des processus de fragmentation déstructurent les systèmes scolaires nationaux les plus solidement établis », écrivaient Anne Barrère et Bernard Delvaux, « La prééminence des systèmes scolaires dans les champs éducatifs tend à s’éroder lentement sous les coups de butoir d’initiatives multiples de familles, d’associations, de communautés, d’entreprises et de fondations privées ». Pour eux ce mouvement international est tellement fort qu’ils n’envisagent que deux scénarios pour le futur de l’école : l’émiettement des systèmes scolaires nationaux qui éclateraient dans une offre variée publique et privée ou l’éclatement géographique avec des systèmes publics maintenus mais sur un territoire géographique local.
C’est l’émiettement entre privé et public que préconise Valérie Pécresse. Ses exemples sont ceux de la Suède et de l’Angleterre. Mais elle parle aussi des « charters schools », un mouvement américain.
Les charters schools se sont installés dans plusieurs états américains grâce aux chèques éducation, un système de financement pas encore évoqué par V Pécresse. En principe il s’agit de permettre même aux plus pauvres d’accéder aux écoles privées recherchées. En réalité, une étude sur La Nouvelle Orléans dans ce même numéro de la Revue de Sèvres le montre, c’est l’inverse qui s’opère. Ce sont les écoles privées qui sélectionnent les élèves, de plus en plus dans les strates supérieures, et les pauvres s’entassent dans des écoles davantages ségréguées. Au passage 7000 professeurs ont été licenciés et remplacés par des étudiants de Teach for America, une association qui est déjà à l’oeuvre en FRance (sous le nom de Choix de l’Ecole) avec le soutien du ministère.
Les cas de l’Angleterre et de la Suède ont fait l’objet d’études. Et elles ne confirment pas les bons résultats mis en avant par V. Pécresse. Ainsi Florence Lefresne et Robert Rakovecic ont travaillé sur ces pays dans un article d’Education et formations. L’OCDE a présenté en 2015 un rapport sur l’échec du modèle suédois. Un autre rapport de l’OCDE, de 2021, revient sur l’évolution des systèmes éducatifs.
La Suède a donc fait l’objet d’études plus poussée. Le pays a connu dans les années 1990 une réforme qui a totalement décentralisé le système éducatif. Les enseignants sont devenus des personnels communaux. Les établissements sont gérés par des chefs d’établissement qui ont une totale liberté de gestion et une large autonomie pédagogique. Vingt ans après la réforme l’OCDE a dressé un triste diagnostic avec le faible niveau des élèves suédois et surtout une baisse régulière et profonde des performances en langue nationale comme en maths aux évaluations Pisa. Enfin , en augmentant les responsabilités des chefs d’établissement, le nouveau système a tari leur recrutement. L’OCDE a demandé en 2015 un abandon de la gestion municipale pour passer à une échelle au dessus et le retour à une formation nationale des enseignants.
Florence Lefresne et Robert Rakovecic ont montré que dans les deux pays, Angleterre et Suède, les mêmes mécanismes ont joué. D’abord les difficultés de recrutement d’enseignants, plus importantes qu’en France, en lien avec des démissions qui sont sans commune mesure avec ce qu’on voit en France. L’Angleterre est avec la France le grand pays européen où les enseignants sont les plus mal payés et où le nombre d’élève s par classe est le plus important. La Suède est juste après la France le pays où les enseignants se sentent les moins valorisés par la société.
En Angleterre aussi des inquiétudes sur le niveau des élèves sont apparues. Quand on regarde l’évolution du niveau des élèves dans Pisa, l’OCDE classe les Etats Unis, l’Angleterre et la France dans la même catégorie où le niveau des élèves a peu varié depuis Pisa 2000.
Un modèle éducatif qui n’a pas fait ses preuves
Le modèle préconisé par Valérie Pécresse est donc bien connu et bien étudié. Le moindre que l’on peut dire c’est qu’il n’a fait ses preuves ni en terme de résultats globaux, ni en terme d’équité sociale. ON a compris qu’avec V Pécresse il y aurait des collèges de relégation, avec les élèves qui ont échoué à l’examen d’entrée en 6ème, et les autres. ON sait que plus on réduit la durée du tronc commun (aujourd’hui de la petite section de maternelle à la 3ème) plus on augmente le tri social. Créer une filière bis dès l’entrée en 6ème c’est revenir aux années 1960, dernières années d’existence dans l’enseignement public d’une filière pour les riches (le lycée commençant en 6ème) et pour les pauvres (les différents types de collèges). Ajoutons que V Pécresse revient sans vergogne sur le droit à l’éducation en annonçant qu’elle d’arrangerait pour que les élèves « perturbateurs » ne puissent plus revenir en établissement. C’est d’ailleurs l’argument selon lequel les élèves faibles en 6ème seront de futurs perturbateurs qui justifie des 6èmes spéciales aux yeux de la candidate.
Voilà des propositions qui aggraveraient grandement les défauts de notre système scolaire, en détruiraient le caractère national et qui nous ramèneraient 60 ans en arrière. Pourtant , avec ou sans Pécresse, elles ont de bonnes chances de passer. D’abord parce que la fragmentation est déjà à l’oeuvre. Elle bénéficie du soutien de puissants organismes internationaux comme l’OCDE. Les idées liberales et élitistes ont le vent en poupe. On le voit dans la multiplication des écoles privées « Montessori » ou des écoles Espérance banlieue. La logique libérale pénètre l’école publique dans ses formes de gestion, l’appel au Choix de l’Ecole, les nouvelles écoles marseillaises voulues par E Macron. Cela rejoint les attentes des régions. Lors de l’élection de 2017 l’association des régions avait demandé de libérer les règles permettant d’expérimenter de nouvelles politiques éducatives et le transfert des LP aux régions. Même une partie de la profession enseignante se déclarerait probablement contre le collège unique et applaudirait à la mise à l’écart des élèves à problèmes. Cette fragmentation de l’Ecole, qui passe par « le nouveau métier enseignant » dessiné au Grenelle de l’Education, est en route. Reconnaissons à la campagne de Valérie Pécresse de mettre au premier plan les questions éthiques sur l’éducation.
François Jarraud
L’inexorable fragmentation de l’éducation
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