Comment une séance d’arts plastiques peut-elle être un vecteur de communication pour des élèves allophones ? Quels projets culturels peut-on développer avec des élèves nouvellement arrivés en France ? Diplômée d’un master en socio-didactique, Albane Buriel intervient aux lycées Victor et Hélène Basch et au lycée professionnel Jean Jaurès de Rennes (35) auprès d’élèves allophones et non scolarisés antérieurement. Son but est « d’amener les lycéens à une démarche créative ». Rencontre avec cette enseignante engagée et mobilisée sur le terrain de Calais, en Inde, à Djibouti et même à la frontière syrienne.
Comment se déroule cours d’arts plastiques avec des élèves allophones ?
Les objectifs de mes cours s’articulent entre l’acquisition du français (Français Langue Seconde) et l’apport des arts plastiques, que ce soit dans les apports interculturels que les arts plastiques proposent que dans le processus de création plastique qu’ils suscitent. Ma démarche a été différente dans les deux classes, le nombre d’heures et le public n’étant pas le même. L’idée est d’adapter et de proposer un contenu coconstruit, à travers des thématiques et des séquences liées aux notions d’inter culturalité : les identités, les cultures, les langues, les environnements, l’expression des pluralités.
Les séances ne constituent pas un modèle en soi mais l’idée est d’amener la démarche créative par un questionnement préliminaire, qui se développe en plusieurs séances en y incluant la pratique comme processus individuel ou collectif. Nous travaillons actuellement dans les deux classes, sur un projet autour de la bande-dessinée, en suscitant l’acquisition de codes spécifiques liés à la lecture (cases, bulles, dialogues, légendes, onomatopées etc.) mais aussi à la narration mise en lien avec les techniques de création plastique que les élèves s’approprient pour créer.
Quelles productions attendez-vous des lycéens ? Quelles méthodes utilisez-vous pour communiquer ?
Il n’y a pas de réelles attentes à proprement parlé, concernant les productions, bien qu’il soit nécessaire quelques fois de proposer une consigne claire et quelque peu « cadrée » qui correspond à des besoins de mise en sécurité pour ces élèves, qui me semble-t-il, demandent à être particulièrement guidés et accompagnés, au-delà de la compréhension de la langue. En général, ils mettent beaucoup de sens dans la production, qui est autrement selon eux, un accomplissement concret de leurs capacités.
Les méthodes de communication, point fondamental dans nos classes puisqu’elles constituent un enjeu majeur, est justement de favoriser cette communication en français. De plus, dans nos classes « spécialisées » où l’apprentissage du français se veut intensif et où les niveaux et les parcours socio-éducatifs sont d’une extrême hétérogénéité, les méthodes de communication en français sont des questionnements permanents que je sollicite au quotidien.
A l’appui de la reformulation, du mime, de l’explicitation ou de la mise en écrit, s’ajoute la sollicitation du plurilinguisme par la coopération entres pairs qui est généralement très utile aux diverses compréhensions. Il ne s’agit en aucun cas d’oublier les apports et les compétences linguistiques des élèves eux-mêmes qui sont autant de clés que d’ouverture d’esprit, pour mettre les langues sur un même pied d’égalité. Apprendre le français, bien sûr, nier sa langue première, hors de question. Aujourd’hui, le plurilinguisme est de plus en plus reconnu comme une méthode d’apprentissage à part entière et j’en suis ravie.
Mes cours d’arts plastiques font partie de leur formation, puisqu’il s’agit, grâce aux rapports aux images, aux œuvres, aux témoignages artistiques et aux productions réalisées sur lesquelles nous travaillons également a posteriori, d’acquérir des compétences d’une autre manière, avec des supports différents permettant de mobiliser de nouvelles compétences. S’appuyer sur des supports construits par nous-mêmes, amène souvent un rapport différent aux explicitations et à l’intérêt des élèves créateurs mais aussi des réceptions dans la classe.
Vous menez un projet avec Céline Diais, photographe professionnelle. De quoi s’agit-il ? Comment réagissent vos élèves ?
Nous avons décidé de travailler sur les environnements avec Céline Diais, en mobilisant la classe sur le projet « Voir la mer ». Cette exposition, d’une vingtaine de photographies, propose un regard sur les plages urbaines type Paris Plage en France. Après une visite de Céline Diais dans la classe, qui s’est présentée et nous a fait découvrir son travail, nous avons étudié quelques clichés en profondeur, nous permettant de décoder les images, d’acquérir du vocabulaire lié à la lecture de l’image mais aussi aux environnements urbains et estivaux.
Chaque élève a travaillé sur une photographie différente en l’intégrant à sa production. Il s’agissait de dépasser les limites de la photographie et de proposer l’au-delà de celle-ci. Nous avons ensuite visité cette exposition à la Péniche Spectacle à Rennes et grâce à une médiatrice, continué à travailler sur cette exposition in situ. Les élèves ont pu également afficher les productions aux côtés des photos exposées. Ce premier projet dans la classe, a nettement contribué à leur compréhension de cette discipline qu’ils découvraient. Nous avons dépassé les aprioris concernant un aspect ludique d’un « enseignement différent » à une prise de conscience des enjeux d’une telle discipline, au-delà d’une considération forte et une valorisation de leur production qui a participé certainement à l’envie d’aller plus loin.
Au lycée professionnel, vous avez un groupe de lycéen dits NSA « non scolarisés antérieurement ». Quels sont vos objectifs pendant les séances ?
Effectivement, nous avons décidé avec le coordinateur pédagogique, pendant les 10h de cours qui me sont alloués dans ce lycée, de regrouper deux classes : la classe pour élèves allophones et la classe pour élèves Non Scolarisés Antérieurement. Ce que j’ai particulièrement constaté, c’est un vif besoin d’être guidé. Cela se ressent en permanence par exemple dans le fait de demander aux élèves de mettre leurs affaires et leur matériel sur la table ou devoir cadrer les interactions et éventuelles traductions dans les langues premières des élèves. Beaucoup d’automatismes que l’on trouve dans des classes « ordinaires » sont ici, à accompagner. L’autonomie des élèves est fortement sollicitée dans leur quotidien, bien qu’ils soient en général accompagnés par des services sociaux.
Pour beaucoup d’entre eux, ce sont des Mineurs Isolés Etrangers, qui sont encore dans un processus instable puisqu’ils viennent d’arriver en France. Leur rapport à la classe et aux apprentissages suggérés du français dans ces classes, marquent des besoins de sécurisation en tout genre. Ces élèves ont envie d’apprendre et sont en général pleins de bonne volonté. Ils souhaitent s’exprimer ! Ils ont envie d’avancer ! Ils ont envie de trouver de la stabilité et de se sentir légitimé dans la société française qu’ils découvrent. Alors que certains élèves tendent à valider un niveau A2, d’autres ont encore des difficultés liées à l’alphabétisation.
La scolarisation des élèves allophones est régit notamment par les CASNAV « centres académiques pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs ». Quels liens avez-vous avec l’institution ?
Malheureusement, je n’en ai pas puisque l’académie de Rennes ne possède pas encore de CASNAV. Elle me permettrait probablement de me nourrir davantage de formations et de ressources liées aux problématiques spécifiques liées aux besoins de ces élèves. Elle me permettrait aussi d’avoir, au-delà de mes collègues et coordinateurs, un réseau d’enseignants et de professionnels avec lesquels une mise en relation serait constructive.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que le système actuel est flou et peu mobilisateur. Les problématiques inhérentes aux classes d’accueil dans les collèges et lycées et à la scolarisation des enfants migrants semblent être rendues invisibles. Quant aux évaluations, la répartition et les suivis des familles des élèves migrants impactant des scolarités, et des orientations de ces jeunes m’interrogent encore. Même si j’arrive à piocher des ressources et des réflexions de-ci de-là et que je peux m’informer auprès de mes coordinateurs, je ne me sens pas réellement dans un dispositif global, au niveau de l’académie qui me nourrirait et répondrait à mes interrogations et à mes besoins.
Parallèlement, vous avez fondé une association « Les ateliers du rêve » qui a pour but de faciliter l’expression par le dessin. Les artistes sont alors les enfants des rues de Kolkata en Inde ou des enfants du centre d’accueil des demandeurs d’asile de Rennes. Quelles actions mettez-vous en œuvre ?
Les Ateliers du Rêve est une association qui a pour objet de mobiliser les expressions des identités individuelle et collective, culturelles et linguistiques à travers les matériaux artistiques et leurs pratiques, à travers la notion de rêve.
Nous avons mené durant 3 ans, « La Fabrique à Rêve » qui étaient des ateliers artistiques destinés aux enfants de familles en demandes d’asile, logées au Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile de Rennes. Nous avons beaucoup travaillé sur des thématiques liées à l’interculturalité et à l’expression des diversités et des collectifs. Nous répondions à un besoin de ces enfants de profiter de temps informels, de liberté et de ressourcement face à l’insouciance dont ils ne peuvent jouir suffisamment. Nous construisions ensemble des ateliers où nous avons expérimenté de nombreux supports. Nous avons participé, nous semble t-il, à redonner une part de d’enfance à des enfants qui sont amenés à être dans l’instabilité de fait, notamment émotionnelle.
Nous menons depuis 2011, les projets « Dessinons nos rêves » où nous proposons à différents publics, de prendre la parole à travers le dessin de leur « rêve ultime ». C’est un quelques sortes un moyen de matérialiser des espérances de manière sensible, avec le support plastique. Nous aimons à nous frotter à différents contextes et individus. Nous constatons systématiquement que nous avons tous des rêves et que ceux-ci nous relient bien souvent. Nous avons parcouru les diversités, les langues, les visages et les regards, ici et là. Ce sont des projets passionnants qui donnent à voir combien les enfants mais aussi les adultes, mettent du cœur à rêver et à partager leurs rêves. Nous avons constaté que les différences visibles entre les dessins, n’étaient pas tant culturelles que socioéconomiques. Ces ateliers sont aussi le lieu où, à travers la feuille blanche, les individus s’inscrivent dans des possibles. Nous allons bientôt mener le projet « Dessinons nos rêves » dans des maisons de retraites encouragées par les animateurs de ces centres. Une nouvelle expérience qui sera certainement un fort enrichissement que nous partagerons à travers des expositions.
D’un camp de réfugiés à Djibouti à l’école laïque de la « jungle » de Calais en passant par la frontière syrienne, vous avez pu rencontrer et échanger avec de nombreux enfants. Que retenez-vous de ces expériences ?
J’ai eu effectivement la chance de pouvoir rencontrer des enfants en « situation de déplacement » en trois contextes très différents mais tous liés à l’exil géographique, ce qui sous-entend la fuite de leurs familles de conditions intolérables. Nous souhaitions donner la parole à ses enfants à travers le projet « Dessinons nos rêves en exil ». Au camp de réfugiés d’Ali Adeh à Djibouti, nous sommes allés à la rencontre des enfants par l’intermédiaire de l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR), puis nous avons réalisé l’atelier dans l’école gérée par UNICEF où nous avons rencontré des enfants entre 7 et 8 ans.
En Turquie, à Gaziantep, à la frontière syrienne, nous avons rencontré des enfants déscolarisés, pour certains orphelins, qui sont aidés par un collectif de syrien sur place. Ces enfants sont accompagnés par des bénévoles qui tentent de leur apporter un soutien pédagogique. Quant à Calais, nous avons réalisé un atelier dans l’école laïque du Chemin des Dunes dans le camp de migrants de Calais où là-aussi des bénévoles tentent de palier à la déscolarisation de ces enfants dans l’attente.
La démarche, au-delà de l’interconnaissance et de la compréhension du projet par les acteurs qui nous accueillent et les enfants qui participent, est tout simplement favoriser la rencontre et favoriser l’expression des subjectivités à travers les rêves de ces enfants. Lorsque le temps de découverte primordial pour que chacun se situe dans le moment qui va être partagé, est de laisser libre-court à l’imagination et à la mise en forme sur papier. Ces moments sont souvent très denses et nous sommes fortement sollicités. Ils se passent mille choses dans ces processus de création !
Même si souvent nous sommes contraints de passer moins de temps que nous le souhaitons, nous prenons le temps avec chaque enfant pour qu’à travers son dessin, il puisse nous dire son rêve. Nous lui proposons ensuite de lire son dessin et c’est souvent à ce moment-là que l’on comprend à quoi il ou elle rêve. Certains enfants qui dessinent une grande et belle maison, nous disent par la suite où elle se situe, où sont les différentes pièces et qui y vit. A la simple question, « qui sont les gens que tu as dessiné sur le bateau ? », l’enfant nous raconte alors qu’il s’est lui-même dessiné avec ces parents et son frère, que ce bateau part pour le Royaume-Uni et qu’il fait nuit. On peut y voir un homme qui conduit le bateau et l’enfant et sa famille dans la cale de celui-ci.
Il est difficile de synthétiser mes impressions sur de telles expériences et de telles rencontres extraordinaires. Les enfants que j’ai rencontrés, m’ont énormément appris, notamment sur nos conditions d’adultes. Ce sont des enfants qui dans la plupart des cas, ont besoin d’aide, ils ont absolument besoin d’écoute et de se sentir protégés. Après avoir vécu ces expériences, je ressens le besoin de m’indigner face à des situations géopolitiques qui nuisent à l’équilibre et quelque fois au bien-être des enfants et de leur famille. Le savoir est une chose, mais le regarder de face et constater une réalité et un rêve d’enfant, en est une autre.
Aujourd’hui, je suis davantage menée à contester à mon niveau, des politiques notamment migratoires que les adultes mènent et qui font du mal à beaucoup de monde. Ces expériences m’amènent à vouloir travailler dans l’éducation en situations d’urgence en zone de guerre. Effectivement, je ne peux ignorer les besoins éducatifs et pédagogiques dans ces contextes particulièrement sensibles. Les rêves de ces enfants vont en général à l’« essentiel ». Dans des situations chaotiques, beaucoup d’entre eux, rêvent de l’évasion, de maisons, d’avoir une profession d’enseignant ou d’avocat, mais aussi de nourriture.
L’exposition prochaine de ces dessins et de ces portraits montrera cette réalité. Je souhaite à tous ces enfants de réaliser leurs rêves et que tout au long de leur vie, ils puissent continuer à rêver et toujours percevoir leur horizon, en croyant aux possibles comme moteurs de changement et éventuellement de lutte pour un monde meilleur.
Propos recueillis par Julien Cabioch
Exposition Voir la mer de Céline Diais