On attendait des propositions de réforme du programme de sciences économiques et sociales (SES). Finalement, au terme d’un débat ondoyant, l’académie des sciences morales et politiques, présidée par Michel Pébereau, a décidé de garder ses préconisations pour la commission mixte constituée par le Conseil supérieur de l’éducation (CSP) et le Conseil national éducation économie (CNEE). La deuxième partie du grand colloque organisé par l’Académie n’a pas trouvé sa conclusion. L’argumentation des professeurs de SES présents n’y est peut-être pas pour rien.
Un remake de 2010
« De mon temps… ». C’est un peu la formule du jour lors de cette seconde partie du colloque organisé par l’académie des sciences morales et politiques (ASMP) sur l’enseignement des SES. La première partie a eu lieu le 30 janvier. Au terme d’une journée de débats fort civils dans une atmosphère ouatée, l’offensive académique a été lancée. Si l’académie veut bien admettre qu’il y a moins de « biais idéologiques » dans les programmes de SES qu’en 2008, on parle quand même trop de Marx ou, pire, de classe sociale. L’enseignement des SES est jugé trop pessimiste. L’académie se propose de réformer les programmes. C’est ce qui devait être fait le 27 février.
Dans tous les esprits il y a l’initiative prise par l’académie au début du quinquennat de N Sarkozy qui aboutit à une réécriture des programmes de SES en 2010. A l’époque l’académie avait dénoncé le caractère idéologique, trop critique et pas assez scientifique de l’enseignement de SES. Un quinquennat plus tard, la section « économie » de l’ASMP, présidée par Michel Pébereau est toujours proche des milieux patronaux. La section est composée de Michel Pébereau, ancien conseiller de V Giscard d’Estaing, ancien président de la commission éducation du Medef et fondateur de l’Institut de l’Entreprise, un thinktank libéral très actif sur le terrain de l’éducation, Yvon Gattaz, ancien président du CNPF (rebaptisé Medef), Denis Kessler, vice président du Medef, Bertrand Collomb, PDG de Lafarge, Marcel Boiteux, dirigeant d’EDF, Jean Claude Casanova, conseiller de Raymond Barre, et Jean Tirole, président d’une association universitaire.
Le marché enjeu symbolique
Très vite dans la matinée du 27 février, la question de la suppression de l’enseignement du marché a été mise sur la table par Michel Pébereau. « La suppression pour tous les enfants français du caractère obligatoire du thème du marché nous est apparue dommageable », explique-t-il. C’est cet allègement du programme de seconde qui a justifié sa démission du CNEE et le démarrage de ce colloque.
Mais des professeurs de SES présents contestent. Alain Beitone, formateur et professeur de SES, remarque que l’analyse du marché est présente dans le programme. »Il faut laisser aux professeurs le soin de déterminer leur démarche pédagogique ». Erwan Le Nader rappelle que tous les manuels mentionnent les courbes d’offre et de demande et donc le marché depuis les années 1960.
« Le marché n’a pas disparu », nous a dit Erwan Le Nader, président de l’Apses, l’association des professeurs de SES, qui est intervenu lors du colloque à plusieurs reprises. « Il est traité en 1ère et terminale et, sous un autre intitulé, reste présent en seconde. Le chapitre sur le marché est devenu facultatif mais les enseignants abordent la formation des prix dans d’autres chapitres et c’est pour cela que l’allègement a porté sur ce point ». Pour lui , soulever cette question est une politique stérile.
Querelles de méthodes
Sans accord sur ce point, le colloque va se porter sur les méthodes d’enseignement avec une succession d’exposés d’universitaires ou d’entrepreneurs, chacun défendant sa marotte.
C’est Martin Hellwig , directeur du prestigieux Max Planck Institut qui ouvre le colloque avec une intervention sur la pensée systémique en économie. « J’ai été frappé par le fait que le ministère élimine le concept de marché des programmes », dit M Hellwig. « Toute idéologie anti marché ou pro marché est problématique. Elle nous prévient de comprendre ce qui se passe ». Suivent plusieurs exemples concrets où M Hellwig montre comment une pensée systémique peut permettre de mieux saisir la réalité économique. La recommandation est évidente : l’enseignement français doit abandonner la pensée linéaire pour penser système. Mais elle est combattue par Pierre André Chiappori, professeur à l’université de Columbia : « c’est une question de licence ou de master », dit-il. « Pour le modèle systémique il faudra attendre que les élèves se spécialisent ». Alain Beitone rappelle que le modèle st aussi présent dans les programmes de 2010.
Léo Guthart, , dirigeant d’un fonds d’investissement, lui succède pour vanter les études de cas tel qu’on les fait à la Harvard Business School. Une proposition qui ravit E Le Nader : « l’enseignement des SES s’est construit sur la méthode de l’étude de cas dans les années 1960. Mais je ne peux pas demander aux élèves de travailler chez eux un cas pendant 8 heures. On a donc un cursus segmenté où il faut d’abord avoir des notions scientifiques ».
C’est le jeu qui est la troisième méthode présentée. Jean Marc Tallon, Ecole d’économie de Paris, présente un jeu de marché facile à réaliser sur une séance de cours d’une heure. Le jeu fait apparaitre les notions de prix d’équilibre, de surplus , d’inégale répartition tout e impliquant les élèves. Alain Beitone remarque que cette approche ne doit pas dispenser d’un retour théorique. « A un moment il faut faire comprendre explicitement à l’élève la démarche. Il faut un temps d’institutionnalisation du savoir ». Jean Yves Mas, professeur de SES, approuve en montrant que les élèves peuvent faire de fausses conclusions au jeu.
Le dernier intervenant, Yan Coatanlem , président du Club Praxis, propose de réduire l’enseignement de l’économie à celui de l’entreprise avec deux objectifs : comprendre la performance de l’entreprise et étudier ce qu’est la valeur de l’entreprise. Pour cela il demande un enseignement pointu de la comptabilité. « On a deux semaines pour traiter le marché. Vous avez exposé un programme de management qui demande deux ans. Je ne comprends pas », rétorque JY Mas.
Conclusion nulle
D’autres intervenants vont à leur tour défendre leur méthode. Yvon Gattaz veut qu’on enseigne « l’économie de la ménagère ». Un cadre de banque défend le jeu et veut annexer à l’économie les autres disciplines.
Au final, George de Ménil clôt le colloque sur un match nul. « On ne peut pas changer les programme sans changer le bac. Il est difficile de ne pas conclure qu’il est souhaitable d’améliorer l’enseignement de l’économie dans le cadre des SES ».
Des préconisations plus précises seront elles portées devant la commission mixte constituée par le Conseil supérieur de l’éducation (CSP) et le Conseil national éducation économie (CNEE) ? C’est probable. Celle ci ne devrait pas remettre d’avis avant avril. Autrement dit une autre époque.
François Jarraud