Comment porter connaissance au plus grand nombre de la loi Egalim ? Catherine Jacquot, professeur-documentaliste au lycée agricole de Nancy-Pixérécourt, en Meurthe-et-Moselle a mis en place le jeu Enigm’Alim pour décrypter cette loi alimentation promulguée en 2018. Les deux objectifs de la loi sont « d’équilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire » et de « favoriser une alimentation saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuse du bien-être animal ». Animée par des « maîtres du jeu », la partie de 40 minutes nécessite une phase de débriefing pour que « chaque joueur puisse découvrir l’intégralité de la loi ».
Comment s’organise votre jeu autour de la loi Alimentation ?
Construit sous formes d’énigmes à résoudre, ce jeu pédagogique s’adresse à tous dès 15 ans, sans connaissances préalables. Il vise, non seulement, à porter à la connaissance du plus grand nombre, les axes principaux de la loi Egalim (Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaires et pour une alimentation saine, durable et accessible à tous, promulguée le 1er novembre 2018) mais aussi à inviter les joueurs à s’interroger sur leurs pratiques d’achat et habitudes alimentaires afin de les rendre acteurs de leur alimentation. Le jeu est animé par une classe d’étudiants, formés à être les Maîtres du jeu.
Enigm’Alim se joue avec quatre équipes de joueurs, chaque équipe étant constituée de 2 à 5 joueurs. La partie se déroule en deux phases de jeu de 20 minutes chacune, qui se terminent chacune par un débriefing. Enigm’Alim est ainsi constitué de cinq jeux :
• Le jeu n°1, auquel toutes les équipes jouent, et qui permet d’aborder les cinq acteurs qui ont participé aux Etats Généraux de l’Alimentation en 2017. On retrouve ces acteurs, et leur interdépendance, dans les jeux suivants.
• Quatre jeux thématiques, qui reprennent les thèmes principaux de la Loi :
◦ Jeu Orange : permettre aux agriculteurs d’avoir un revenu digne en répartissant mieux la valeur ajoutée
◦ Jeu Vert : améliorer les conditions sanitaires et environnementales de production
◦ Jeu Rouge : renforcer le bien-être animal
◦ Jeu Jaune et Bleu : favoriser une alimentation saine, sûre et durable pour tous ; réduire l’utilisation du plastique dans le domaine alimentaire.
Chaque équipe ne joue qu’à un seul jeu thématique. Par contre, il y a un temps de débriefing collectif afin que tous les joueurs puissent découvrir l’intégralité de la loi à partir de ce qu’en dira chaque équipe.
Les cinq jeux ont été conçus sur la même forme : il y a tout d’abord une News qui donne le contexte et une question à laquelle il faudra « répondre » à la fin du jeu, au moment du débriefing. Puis, il y a les cartes de jeu qui fonctionnent à minima par binôme : une carte Rouge pour l’énigme et une, ou plusieurs, carte Bleue qui va donner des indices ou des clés de déchiffrage.
Quel est le rôle des maîtres du jeu ?
Le format du jeu oblige à avoir une équipe de Maîtres du jeu d’au moins 8 étudiants, afin qu’ils soient en binôme pour animer les 4 équipes de joueurs.
Pendant les phases de jeu, les Maîtres du jeu sont dans une posture d’écoute et d’accompagnement des joueurs. Il s’agit de faire en sorte que les joueurs résolvent l’ensemble des énigmes … sans jamais leur donner les solutions ! … et ceci dans la limite des 20 minutes. Il leur faut donc être à l’écoute des joueurs et de leurs difficultés pour les amener petit à petit à finir le jeu. Pendant la phase de débriefing en équipe, ils doivent amener les joueurs à identifier, à partir de la résolution des énigmes, les éléments de la loi.
Puis, pendant le débriefing collectif, ils aident les joueurs à restituer aux autres équipes le contenu de la loi qu’ils ont pu découvrir. Pour cela, ils doivent être un peu experts de la loi Egalim. C’est pourquoi, en amont du jeu, nous passons quelques heures à les former. Dans un premier temps, nous les faisons jouer au jeu. Puis, il y a plusieurs séances pour revenir sur les documents de débriefings afin qu’ils se les approprient. Nous les mettons ensuite en position de Maître du jeu entre eux, puis en leur faisant animer le jeu auprès d’une classe.
Au sein des trois classes que nous avons formées successivement pour être Maîtres du jeu, l’adhésion des étudiants a été rapide. En effet, la posture de Maître du jeu est valorisante et les a amenés à prendre de l’assurance puisqu’ils sont responsables du bon déroulé du jeu pour leur équipe.
Quels sont les contenus de la loi à connaître pour les élèves ?
Actuellement, on entend beaucoup de critiques sur l’agriculture qui traduisent, souvent, des inquiétudes par rapport à l’environnement ou la santé. Mais ces critiques sont aussi, souvent, liées à une méconnaissance de la réalité du monde agricole et des agriculteurs.
Le modèle productiviste, mis en place dans les années soixante, a été la réponse de la profession à une commande de l’Etat. En quelques décennies, les attentes initiales furent largement atteintes, puis dépassées. Or, ce modèle de production fragilise les agriculteurs en les rendant dépendants du cours volatil de quelques matières premières agricoles, les endette tous dangereusement, les pousse parfois au suicide, continue de vider les campagnes, favorise un gigantisme des structures qui empêche les jeunes de s’installer, pollue les sols et les eaux, va parfois à l’encontre du bien-être animal, dégrade la santé des écosystèmes et des humains.
Il s’agit donc de replacer le contexte de la question agricole, alimentaire et environnementale afin que la loi Egalim soit considérée, par la profession agricole et par tous les autres acteurs de la filière, comme un accompagnement pour répondre aux nouvelles attentes de la société et maintenir une planète viable pour les générations futures.
On trouve deux objectifs dans la loi : équilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et favoriser une alimentation saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuse du bien-être animal. Le jeu permet d’amorcer cette prise de conscience.
Pourquoi qualifiez-vous cette production d’exigeante ?
Ce fût exigeant parce que nous étions contraints par le temps. En effet, le projet a débuté le 1er mars et, en deux mois, il a fallu concevoir les 5 jeux et les tester avant de pouvoir les animer le 2 Mai, lors de l’Agroécologie Tour. Cette journée regroupe les élèves, les apprentis et les stagiaires de la formation adulte autour de l’exploitation agricole de l’établissement. Le thème de l’édition 2019 était « Systèmes alimentaires durables et territoires » et c’est pour proposer un atelier lors de cette journée que nous avons créé Enigm’Alim.
La conception du jeu s’est faite par un collectif avec une collègue de Génie industriel en agroalimentaire, Claudine Elbisser ; un enseignant d’économie, Dominique Babut ; Fabrice Colson du Service Régional à l’Agriculture et à l’Alimentation Grand-Est et Yves Leroux, enseignant à l’ENSAIA, Ecole nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires de Nancy. Le fait de travailler à 4 ou 5 fait que nous avons tous énormément appris les uns des autres.
Puis, dans la phase de déploiement du jeu, le temps de formation des Maîtres du jeu n’est pas négligeable non plus, notamment pour que les étudiants aient une certaine maîtrise des éléments de débriefings à transmettre. Ce fut donc un projet exigeant mais enthousiasmant, pour lequel les retours ont toujours été positifs.
Quel bilan dressez-vous de ce projet ?
C’est un projet qui nous a tous emmenés plus loin que nous ne l’avions imaginé. Tout d’abord, nous avons beaucoup appris sur le champ de connaissance de nos collègues, et sur le contenu de la loi. Cela a entraîné des prises de conscience sur nos habitudes d’achat, de consommation … C’est ce que nous essayons de transmettre à travers le jeu. A tort, nous pensions que le jeu se périmerait assez vite. Or, en quelques mois ce sont près de 300 personnes qui ont déjà joué à ce jeu (élèves de l’établissement, professionnels de la restauration collective et grand public lors de la Semaine de l’alimentation durable au Conseil départemental 54, agriculteurs). Nos collègues d’autres disciplines nous sollicitent aussi parce que cela trouve un écho avec leur programme d’enseignement. C’est pourquoi nous en sommes à la troisième classe d’étudiants à former à être Maîtres du jeu afin de pouvoir répondre aux différentes demandes. On ne pensait pas que ce projet prendrait une telle ampleur.
Lors des séances de jeu, lorsque deux classes sont réunies avec 3 à 5 enseignants, cela crée un esprit collectif. Les moments de débriefing sont alors très intéressants, il y a une écoute de chacun, une réflexion commune qui se construit. Je l’ai ressenti à chaque fois, quelque soit le public et leurs connaissances préalables ou non sur la loi. Bien souvent, la cloche a sonné, comme on dit, avant de se séparer, mais personne n’y trouve à redire parce que c’était un moment particulier, que tout le monde a apprécié. Par la suite, on se salue différemment quand on se croise dans les couloirs.
Il y a aussi ce que je vois chez certains jeunes : le chemin qu’ils parcourent dans leur réflexion. Nous sommes intervenus dans des classes dans lesquelles certains pouvaient avoir un a-priori négatif sur la Loi. Mais, petit à petit, par les ressorts du jeu et par les temps de débriefing ils ont pu entendre un certain nombre de questions, d’éléments de réflexion qui les amènent doucement à faire bouger leur position.
Mais, surtout, ce que je retiens de ce projet, c’est ce qui se joue avec les Maîtres du jeu, l’esprit de groupe qui se construit à chaque fois avec ces étudiants. On passe alors au-delà du pédagogique pour entrer dans l’éducatif. Des liens se tissent, entre eux et entre eux et nous. Cela amène à travailler des compétences transverses comme la prise de parole, l’écoute, l’accompagnement. Cela les amène aussi à endosser cette posture face à un public qui pourrait sembler plus qualifié qu’eux comme, par exemple, quand des étudiants de 2e année de BTS animent le jeu avec des professionnels ou avec des étudiants en Licence Pro : cela leur permet de gagner en estime de soi.
Propos recueillis par Julien Cabioch
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