« De nombreux dispositifs et aides spécialisées ont vu le jour, avec des résultats, semble-t-il, globalement décevants. Sans compter l’observation d’un certain nombre d’effets pervers : stigmatisation des élèves inscrits dans un dispositif d’aide, empiètement sur le temps scolaire, externalisation de l’aide posant la question de la cohérence pédagogique avec ce qui est fait en classe ». Dans une Note réalisée pour la FCPE, Céline Piquée (université de haute Bretagne) dresse un bilan très global et négatif sur les dispositifs d’aide. Pour elle seule l’aide en classe peut être positive. Une conclusion qui conforte la réduction de la taille des classes.
Que sait-on des dispositifs d’aide ?
Que sait-on des dispositifs d’aide aux élèves en difficulté ? En réalité pas grand chose et , parfois, des choses fausses. Dans sa Note rédigée pour la FCPE, Céline Piquée remarque que « pris un à un, chacun (des dispositifs) fait l’objet de peu d’évaluations, voire d’aucune. En outre, lorsqu’elles existent, les évaluations sont partielles, elles concernent les acquisitions des élèves d’un niveau de classe particulier, dans une ou deux disciplines. Il est donc risqué d’apporter un verdict définitif sur un dispositif ». Certains sont supprimés avant toute évaluation, on se rappelle par exemple que ce fut le cas des maitres surnuméraires. D’autres sont renouvelés d’année en année sans évaluation sérieuse.
La liste des dispositifs est longue puisque C Piquée prend le terme dans sa dimension large. » Depuis ces quatre dernières décennies, de nombreux dispositifs et aides spécialisées à l’attention des élèves en difficulté ont vu le jour. D’abord le redoublement, puis les Groupements d’aide psychopédagogique (désormais réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), l’éducation prioritaire, les politiques de scolarisation précoce (maternelle à deux ans), les aides personnalisées / individualisées (l’aide personnalisée aujourd’hui activités pédagogiques complémentaires pour les élèves de primaire, les programmes personnalisés de réussite éducative,l’accompagnement personnalisé pour les élèves de collège et de lycée… ), l’accompagnement à la scolarité (« devoirs faits » et accompagnement éducatif au collège, aide aux devoirs hors école, stages de réussite pendant les vacances), les orthophonistes, les CP à 12 élèves, les maîtres surnuméraires ».
Pourquoi cette aide ?
Revenons aux raisons de cette aide. C Piquée explique que « En France, on estime à l’heure actuelle à près de 15 % le nombre d’élèves éprouvant des difficultés de lecture importantes à l’issue de l’école primaire : ils sont capables de prélever des informations dans un texte court si elles sont explicites, mais ils sont en difficulté face à des tâches plus complexes. Plus tard, lors des évaluations pratiquées lors des journées défense et citoyenneté auprès de jeunes de 16 à 25 ans, la proportion est équivalente. Le constat est aussi celui d’une baisse régulière des acquis des élèves les plus fragiles au cours de ces quinze à vingt dernières années. Enfin, on estime à environ 15 % les élèves sortant du système éducatif sans diplôme ».
En fait au niveau de PISA, à 15 ans, on se situe plutôt à 20%. 15% est justement l’objectif que l’union européenne s’est fixé pour ces élèves. Le taux d’échec français nous situe dans la moitié la moins bonne des systèmes éducatifs européens. Deux pays européens seulement sont en dessous des 15% en 2015.
Des effets négatifs ?
» Ne nous voilons pas la face, l’ensemble des évaluations produit des résultats plutôt décevants. Dans de rares cas tels que la réduction de la taille des classes en début d’école primaire ou la maternelle à deux ans par exemple, on observe des effets positifs. Mais le plus souvent, les effets sont nuls, voire négatifs. Certes les élèves ne régressent pas lorsqu’ils participent à un dispositif censé les aider, mais il est fréquent d’observer qu’ils progressent de la même manière, voire moins, que des élèves comparables (en termes d’âge, de sexe, d’origine sociale, de niveau de difficulté initiale) qui n’ont pas « bénéficié » d’une aide », écrit C Piquée.
Elle y voit plusieurs raisons. D’abord l’effet Pygmalion qui joue en défaveur des élèves. Ensuite le fait que certains dispositifs se substituent au temps d’enseignement, diminuant d’autant celui-ci. Aussi le fait que le temps d’aide soit insuffisant : moins de la moitié des élèves les plus faibles en CP reçoivent plus de 15 heures d’aide. Mais la raison qui lui semble la plus importante c’est « la logique d’externalisation du traitement des difficultés des élèves. Se posent alors des questions de coordination, de continuité et de cohérence pédagogique entre les apprentissages en classe, hors classe ou hors école. En matière d’externalisation, certains chercheurs posent également l’hypothèse d’une baisse du sentiment de responsabilité que peuvent avoir les enseignants des classes ordinaires dans la réussite de leurs élèves les plus en difficulté qui suivent ces aides ».
Les dédoublements seule aide efficace ?
C Piqué en tire une conclusion logique : » la comparaison des résultats tend à montrer que les progrès des élèves en difficulté sont plus sensibles à l’aide qu’ils reçoivent en classe, avec leur enseignant, qu’à une aide plus externalisée ». Pour elle, logiquement, » C’est sans doute dans la classe, au plus près des besoins des élèves, que cette lutte pour réduire les inégalités de réussite est la plus susceptible de produire des effets. Concernant les mesures actuelles, on peut alors raisonnablement attendre des effets positifs de la réduction de la taille des classes dans les CP de l’éducation prioritaire. L’opération « devoirs faits » appelle davantage de prudence ».
Les aides en débats
La question de l’efficacité de l’aide est très légitime au regard des attentes des familles et des sommes investies. Ainsi les dédoublements et réductions d’effectifs ont déjà absorbé environ 12 000 emplois dans le premier degré et 10 000 autres devraient lui être attribués d’ici la fin du quinquennat. Cela représentera plus d’un milliard investis dans cette seule forme d’aide.
Pour autant, et C Piquée le dit, l’évaluation des dispositifs est absente et surtout difficile. Elle explique par exemple qu’un fort pourcentage des élèves cumulent différents types d’aide ce qui rend impossible l’identification des effets de chacune.
Les évaluations, quand elles ont lieu, font l’objet de contestations. Car la question de l’aide et de son évaluation est devenue une question très politique. C’est sur la promesse du « 100% de réussite » sur les fondamentaux que JM Blanquer a fait campagne pour les dédoublements, avant d’avouer maintenant qu’il faudra du temps pour les résultats…
Ainsi l’efficacité des Rased est mise en question régulièrement, selon un cycle politique. Ce fut le cas récemment par l’IREDU. L’Institut pointe un effet de stigmatisation et dénonce des effets nuls sur les résultats scolaires. Mais les associations des maitres des Rased jugent l’évaluation faussée déjà par le fait que les Rased ne s’adressent pas forcément à des élèves ayant des résultats faibles. « Sans le Rased ces enfants auraient été réorientés en classe spécialisée », estime par exemple F Apfeldorfer (Fnaren). Et l’étude ne prend pas en compte la réalité des classes « avec des élèves qui vont mal et qui mettent à mal l’équilibre des classes », comme en témoigne R Schneider, une responsable syndicale.
L’éducation prioritaire a fait l’objet des mêmes attaques régulières. Récemment c’est la Cour des comptes qui a publié un rapport remettant en question la labellisation éducation prioritaire. Les arguments de la Cour ont été contestés par l’OZP qui travaille à sa propre évaluation de l’éducation prioritaire. Le ministre devrait s’exprimer prochainement à ce sujet. Il semble qu’on s’oriente vers l’abandon du label Rep au bénéfice d’une politique plus territoriale que sociale.
Les résultats décevants des dédoublements
C’est probablement la politique de dédoublement qui a fait l’objet des plus sérieuses évaluations. Le paradoxe , par rapport à la Note Fcpe, c’est que les résultats établis sont très décevants. On peut toujours espérer qu’ils soient meilleurs. Mais on peut dire qu’ils sont très en dessous des promesses. D’ailleurs après avoir communiqué sur des résultats « excellents », le ministère a fait machine arrière. JM Blanquer dit maintenant qu’il faudra du temps pour avoir des résultats…
Selon une étude de la Depp (division des études du ministère) publiée en janvier 2019, on constate une baisse de la proportion d’élèves en très grande difficulté dans les classes de rep+ dédoublées. « Le dispositif permet une baisse de cette proportion d’élèves de 7.8% pour le français et de 12.5% en maths », déclare l’étude. Autrement dit, sur 60 000 élèves de Rep+, 24 000 auraient du être en grande difficulté. Avec le dispositif il y a 2000 élèves de moins en très grande difficulté en français et 3000 en maths. Il en reste quand même 22 000 et 21 000 en grand difficulté.
Or une étude de A Bouguen, J Grenet et M Gurgand, publiée à la rentrée 2017, avait conclu à l’efficacité des dédoublements de CP. » Le dédoublement de la taille des classes (de 24 à 12 élèves par classe) conduirait, d’après les études recensées dans cette note, à une amélioration des performances scolaires comprise entre 20 % et 30 % d’un écart-type », disait-elle. Selon l’étude de la Depp publiée le 23 janvier on est très en dessous des résultats attendus. Sans compter que l’étude ne donne pas de résultats à long terme.
Une étude danoise récente sur l’effet des maitres surnuméraires , montre des résultats au moins aussi bons. » « Les effets des interventions des co-enseignants et des assistants sont très positifs en lecture », affirme l’étude. Les élèves qui bénéficient d’un co-enseignant augmentent leurs résultats au test de lecture de 8.6% en comparaison avec un groupe témoin. Ceux avec un assistant de 13.1%. En maths les résultats sont moins bons. Un suivi sur 30 mois montre que l’effet positif est durable jusqu’à au moins 30 mois ». Or cette politique est au moins 5 fois moins couteuse. Surtout l’appel aux maitres surnuméraires met l’aide dans la classe. Et elle entraine les équipes enseignantes dans des dispositifs d’aide et de formation.
La question plus globale de l’écoute des besoins des enseignants et de la société
Car si ces dispositifs d’aide externe prolifèrent c’est aussi parce que l’institution éducative est incapable de former les enseignants. L’enquête Talis (OCDE) a pu montrer que les enseignants français se déclarent parmi les moins bien formés et ceux dont les formations correspondent le moins à leurs besoins.
S’il est décidément très difficile de dire quel type d’aide est réellement efficace dans la multitude de dispositifs, il est évident que la question a à voir avec la formation des enseignants, leurs conditions de travail et l’écoute de l’institution par rapport à ces questions. Elle a aussi à voir avec les conditions de vie des enfants qui ne sont pas uniquement des élèves. Les difficultés scolaires accompagnent les difficultés sociales. La précarisation d’un nombre accru de familles n’est pas pour rien dans les difficultés de l’école française. Que peut faire une aide éducative pour un enfant qui est ballotté d’hotel en foyer, de la rue en logement misérable et qui vit l’humiliation de ses parents ? Pour une aide efficace il faudrait aussi écouter les enseignants et apporter des réponses aux difficultés sociales.
François Jarraud
Sur l’évaluation des dédoublements