Recadré par un avis du Conseil d’Etat, le projet de loi contre le séparatisme, devenu « loi confortant les principes républicains » est présenté le 9 décembre devant le Conseil des ministres. Plusieurs articles concernent l’Ecole. Le texte revient en partie sur l’interdiction de l’instruction en famille. Il envisage de supprimer la liberté fondamentale du libre choix de l’instruction de ses enfants en soumettant l’instruction en famille à une autorisation administrative. Parallèlement il ne prévoit toujours rien pour la scolarisation effective des dizaines de milliers d’enfants très pauvres qui en sont exclus aujourd’hui. Enfin le texte encadre plus étroitement les écoles privées.
Le projet de loi et les libertés fondamentales
« Décidément cette majorité a beaucoup de mal avec le respect des libertés fondamentales ! Depuis plusieurs semaines et en dépit de nos mises en garde, vous cherchez à passer en force pour imposer des restrictions à l’exercice des libertés publiques et individuelles ». C’est en ces termes que Xavier Breton, député LR, peu suspect d’islamisme, interpelle le Premier ministre le 8 décembre devant l’Assemblée. Il dénonce le projet de loi confortant les principes républicains « qui vise notamment à restreindre très fortement la liberté d’instruction en famille… Dans l’avis qu’il vient de rédiger, le Conseil d’État indique que la réforme prévue par le Gouvernement soulève de délicates questions de conformité à la Constitution ».
C’est JM Blanquer qui lui répond. « Le Gouvernement cible certaines pratiques inacceptables, sans pour autant porter atteinte aux libertés fondamentales…Il va de soi que nous avons prévu un régime d’exception pour tous les cas légitimes et bien connus liés à la santé, aux pratiques sportives et artistiques, ou encore à des projets pédagogiques particuliers ».
C’est que sous la pression d’un avis du Conseil d’Etat qui agite le risque d’inconstitutionnalité du projet de loi, le gouvernement a du revoir son texte et revenir sur l’interdiction de l’instruction en famille.
La nouvelle rédaction du projet de loi
Selon l’entourage du ministre, la nouvelle rédaction du projet de loi met en place un régime d’autorisation par l’autorité administrative (les académies) de l’instruction en famille (IEF). Il prévoit des dérogations à l’interdiction pour raison de santé, de handicap, de pratique artistique ou sportive et enfin « pour des situations particulières sous réserve que les personnes en charge de l’enfant puissent justifier de leur capacité à assurer l’instruction dans le respect des intérêts de l’enfant ».
Evidemment c’est sur cette dernière dérogation que le débat va avoir lieu. Puisque le motif de la loi est la lutte contre le « séparatisme », le ministère précise que les convictions religieuses ou politiques des parents ne pourront justifier du choix de l’IEF.
Comment l’administration va -t-elle juger de la capacité des parents à assurer l’éducation de leurs enfants ? Le risque d’arbitraire est bien réel. Au ministère on indique que les parents pourront invoquer leurs diplômes sans qu’un diplôme soit exigible. Déjà on pointe les pédagogies alternatives : « une personne qui dit « j’ai ma pédagogie » je crains que ce soit un peu court comme motivation », dit-on dans l’entourage du ministre.
Qui sont les parents de l’IEF ?
Mais cette loi est-elle justifiée ? Le Conseil d’Etat, d’après les propos de X Breton, dit que » la limitation de la liberté des parents n’est appuyée dans l’étude d’impact par aucun élément fiable ni documenté ». Le ministère affirme que quand il a fermé des écoles clandestines, la moitié des enfants trouvés sur place étaient déclarés en IEF. Et il avance des images d’enfants séparés selon leur sexe et ânonnant le Coran dans un hangar au lieu de recevoir une instruction solide.
Officiellement elle concerne 62 000 enfants dont 17 000 suivent les cours du Cned. Leur nombre est infime mais en croissance très rapide.
En 2018, dans la Revue française de pédagogie (n°205), Philippe Bongrand et Dominique Glasman ont proposé une « exploration sociologique » de l’instruction en famille, présentée comme un « phénomène émergent ». Leur analyse interroge l’amalgame fait avec la radicalisation. Selon P Bongrand et D Glasman, sur les 30 000 jeunes en IEF à l’époque deleur enquête, 16 000 relèvent de motifs reconnus impératifs par l’Education nationale : maladie, sportifs de haut niveau, enfants de parents itinérants etc. Et 14 000 ont fait vraiment le choix de l’instruction en famille. L’étude montre comment le discours officiel sur ces enfants s’est durci depuis 1999 avec le soupçon de radicalisation. » Ces profils de familles existent, comme nos enquêtes en cours auprès de parents ou d’agents chargés de leur contrôle permettent de le documenter », disent Bongrand et Glasman. « Mais les connaissances actuelles ne permettent en rien d’affirmer qu’elles seraient prépondérantes parmi les familles qui instruisent hors établissement… Le risque existe d’accorder moins d’attention au cas, beaucoup plus fréquent et banal, des parents qui déscolarisent leur enfant faute de pouvoir scolariser dans un établissement qui réponde à leurs attentes ». C’est le cas par exemple d’enfants victimes de harcèlement à l’école ou dont les parents veulent éviter l’établissement du secteur. Aussi pour les deux auteurs, l’étude de ces familles « permet de mieux saisir les réalités de l’éducation nationale. «
Nous avons interrogé Claudia Renau, ancienne professeure agrégée et relais parisien de l’association « Les enfants d’abord », une des associations qui réunissent les parents ayant fait le choix de l’IEF. « On ne voit pas le rapport avec le séparatisme », nous dit-elle. « Aucun terroriste radicalisé n’est passé par l’IEF. Les familles qui pratiquent l’IEF ont l’impression de contribuer au lien social en redonnant confiance à leurs enfants parfois abimés par l’Ecole. De cete façon elles contribuent à la République ». Pour elle, parmi les familles qui ont fait le choix de l’IEF, la moitié ont eu des enfants en souffrance à l’école et l’autre moitié veulent que leur enfant apprenne selon une autre façon que la forme scolaire. « Elles refusent les valeurs de compétition de l’Ecole ».
Un enjeu social qui n’intéresse pas le gouvernement
Le projet de loi rendant la scolarisation obligatoire a aussi un autre enjeu : la scolarisation des dizaines de milliers d’enfants des rues qui ne vont pas à l’école. L’association Ecole pour tous avance le chiffre de 100 000. Ces enfants très pauvres, vivant en squat, en bidonville ou dans la rue, voient leur demande de scolarisation rejetée par les maires. L aloi aurait pu permettre le respect de leur droit à l’instruction. Pour cela il faut contraindre les maires à appliquer le recensement des enfants vivant sur leur commune, tâche qu’ils n’accomplissent que partiellement. La meilleure façon de faire c’est de rendre l’identifiant unique réellement obligatoire. Plusieurs députés ont déposé des amendements en ce sens depuis 2017. Ils ont été rejetés par la majorité. Ce défi de la scolarisation effective des enfants de la grande pauvreté ne sera pas relevé par le projet de loi. Quant à l’application du numéro unique « le sujet n’st pas prêt » dit-on au ministère.
Le projet de loi comporte aussi des obligations nouvelles pour les écoles privées. Le financement des écoles hors contrat sera vérifié ainsi que la liste des intervenants régulièrement. L’autorité administrative pourra décider de fermer une école hors contrat, disposition qui risque aussi de poser problème si la fermeture ne peut pas être suspendue le temps que la justice tranche. La nature de l’enseignement donné dans les écoles privées en contrat d’association ou sous contrat simple sera précisé par la loi.
Le projet de loi définitif est dévoilé le 9 décembre. Il n’échappera pas à un vrai débat au Parlement. Il est clair que l’enjeu social de la scolarisation obligatoire n’est pas l’objectif du texte. Le projet de loi apporte il des armes nécessaires pour lutter contre des écoles radicalisées ou saisit-il une opportunité pour supprimer une liberté fondamentale ?
François Jarraud