A l’initiative de l’Observatoire des inégalités, Marie Duru-Bellat et Eric Charbonnier intervenaient jeudi 28 janvier à Paris sur les inégalités scolaires. Que sait-on des inégalités à l’école ? Nos voisins font-ils mieux que nous ? Existe-il une école juste ?
Le mérite peut-il nous réconcilier avec l’Ecole ? C’est une vigoureuse charge contre la méritocratie et l’égalité des chances que Marie Duru-Bellat a mené. Elle vient de publier un ouvrage, « Le mérite contre la justice », qui analyse la place du mérite dans le discours et la réalité de l’Ecole. « Psychologiquement, on a besoin du mérite », souligne-t-elle, « pour réconcilier le principe d’égalité et la réalité des inégalités ». Elle lui reconnaît une fonction idéologique qui lui donne beaucoup de séduction. Or la réalité de l’Ecole c’est qu’il y a un lien très fort entre origine sociale et réussite scolaire. De plus ces inégalités sont cumulatives du primaire au lycée.
La discrimination positive répond-elle à l’exigence de justice scolaire ? La réponse apportée le plus souvent à ces frustrations psychologiques, c’est de renforcer l’égalité des chances par la discrimination positive. « Ce faisant, on postule implicitement que, au départ, tous les élèves sont également capables et désireux de réussir scolairement. Or ce postulat est invraisemblable », affirme Marie Duru-Bellat. « Tous les élèves ne sont pas également capables : l’environnement social est très inégal. Et tous ne désirent pas la même chose ». Les vrais injustices se situent au départ, dès le berceau. Les dispositifs de discrimination positive style grandes écoles, « sont sympathiques mais ne touchent l’école q’à la marge ».
« Un régime de pur mérite serait-il viable ? », s’interroge M Duru-Bellat. « Sans doute , non » répond-elle. Car le mérite entraînerait une perversion des missions de l’Ecole. « Une école du mérite abandonnerait des pans de sa mission » au bénéfice des fonctions de sélection et aux dépens de la mission d’éducation.
« Alors peut-on se passer du mérite ? » Ce n’est pas sur. Il ne faut pas le rejeter mais lui faire perdre son caractère hégémonique. Car la notion d’école juste n’est pas neutre socialement. Les meilleurs élèves privilégient le mérite. Les plus faibles s’attachent au socle commun. Le consensus autour de l’égalité des chances est conservateur. « Il est même dangereux : il enterre la question des inégalités ».
L’école française est-elle particulièrement injuste ? Analyste de l’OCDE, Eric Charbonnier a travaillé longuement sur PISA. « Les inégalités du système éducatif français sont structurelles » explique-il. Ainsi le budget est réparti de façon inégalitaire : il y a en France plus d’argent que la moyenne OCDE dans le secondaire et dans les grandes écoles et nettement moins dans le primaire et les universités. Une autre particularité c’est la peur des maths. Elle se traduit par une anxiété sourde bien repérée par PISA : à 15 ans, les élèves français sont les plus anxieux du monde. Une autre inégalité du système français c’est les inégalités entre établissements , par exemple le fait que 73% des élèves de zep ont des parents ouvriers ou inactifs, contre 23% ailleurs.En France un élève venant d’une famille défavorisée a 4 fois plus de chances de ne pas réussir, ce qui est au dessus e la moyenne OCDE (3 fois).
Que peut-on faire pour réduire les inégalités ?
Pour Eric Charbonnier , l’OCDE a repéré des remèdes. Il faut orienter le plus tardivement possible. Il faut garder le plus longtemps possible les élèves ensemble, ne pas orienter précocement. Il faut aussi avoir une politique d’intégration des immigrés, comme ce qui se pratique en Suède (tous les nouveaux arrivants passent prendre des cours de suédois à l’école) ou au Québec (les manuels intègrent toutes les communautés).
L’autonomie des établissements semble aussi une réponse : aux Pays-Bas le chef d’établissement utilise son budget pour recruter des enseignants, définir sa politique d’éducation, faire du soutien scolaire, s’ajuster localement. La cohésion des équipes pédagogiques, comme en Finlande, est un autre élément important.
L’organisation pédagogique a aussi de l’importance : en France on a beaucoup d’heures de cours, des programmes nationaux et des manuels. Ailleurs il y a moins d’heures de cours, des programmes plus réduits. « Il faut penser différemment l’enseignement », insiste E Charbonnier. « En Nouvelle Zélande les élèves travaillent en petits groupes ». Or les réformes françaises sont inégales. On réduit les heures de cours au primaire : c’est bien. Mais comme on supprime le samedi on reste avec trop d’heures par jour et des élèves trop fatigués pour que le soutien mis en place soit efficace.
La salle se demandait si les enseignants pourraient faire plus longtemps l’économie d’une remise en cause de ses pratiques. Certains soulignaient la raideur des relations humaines dans les établissements. Pour Eric Charbonnier, les enseignants sont prets à changer. C’est le système avec ses manuels qui freine les adaptations. La formation des enseignants aussi qui reste trop éloignée de la pratique. Pour Marie Duru-Bellat la vraie question c’est de savoir ce qui peut motiver les enseignants à changer. Des évaluations externes peuvent-elles stimuler l’Ecole ?
Autant d’éléments qui posent la question du pilotage de l’Ecole. Personne n’a osé demander qu’on change les pilotes…
François Jarraud
Le site de l’Observatoire des inégalités
Dernier livre de M Duru-Bellat :
Marie Duru-Bellat, Le mérite contre la justice, Presses de Sciences-Po, Paris, 2009