Le 15 octobre, les enseignants rendront hommage à leur collègue assassiné, Samuel Paty. Ils le feront avec leurs élèves. Et ce ne sera pas une journée facile. Certains envisagent de ne rien faire. D’autres de faire un cours sur la liberté d’expression. La plupart essaie de trouver la bonne formule avec leurs collègues. Ne nous y trompons pas. Derrière ces différentes postures c’est la même émotion. Nous avons demandé à deux professeurs d’histoire-géographie, Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’APHG (l’association des professeurs d’histoire-géographie) et Johann Nallet, professeur au collège de Gémozac (17) de partager leur vision de ce moment si intense.
La lettre de JM Blanquer
Dans un courrier envoyé aux recteurs le 6 octobre, JM Blanquer « souhaite que dans chaque école et chaque établissement scolaire, un hommage soit rendu à Samuel Paty à la fois par les personnels et les élèves. Les écoles et établissements pourront organiser un temps de recueillement en mémoire de S Paty et consacrer une heure de cours du vendredi 15 octobre à un temps d’échange dont le contenu sera laissé au choix des équipes… Ce temps pourra notamment prendre la forme à partir du cycle 3 d’une séquence sur la construction de l’esprit critique ainsi que sur le métier de professeur ». Dans la forme, cette lettre laisse donc une totale liberté aux enseignants et aux équipes pour organiser l’hommage à S Paty comme ils le souhaitent.
En discuter avant entre enseignants
« Il est important qu’il y ait eu une discussion collective en amont pour que les professeurs voient ce qu’ils ont envie de faire », nous dit C Guimonnet. L’APHG regrette l’annonce un peu tardive de l’hommage. Cette coordination est indispensable si l’on veut que les élèves n’aient pas plusieurs fois dans la journée à échanger sur l’hommage à S Paty.
« L’année dernière cela ne s’est pas passé comme on aurait voulu », rappelle C Guimonnet. En 2020 le ministre avait annulé au dernier moment les deux d’échanges que les professeurs avaient obtenu pour préparer le premier hommage. « Il y a plein de modalités possibles. Pour cela il faut se parler et anticiper. Les enseignants vont devoir s’adapter selon l’âge des élèves ».
« Personnellement je vais commencer à 8h30 par une discussion avec mes élèves. Je vais demander à mes terminales leur souvenir de l’hommage de l’an dernier, ce qu’il symbolisait et comment ils voient les choses maintenant. A partir de cet échange je vais m’adapter. J’ai déjà des indices car je les ai fait travailler en début d’année sur l’esprit critique ».
Un débat mouvant en classe
« On a réfléchi avec les collègues et on s’est mis d’accord pour diffuser une vidéo sur l’assassinat de S Paty qui rappelle les faits. Ensuite chacun sera libre d’engager un débat sur le blasphème, la caricature, la liberté d’expression ou une autre valeur », nous dit Johann Nallet. Il enseigne l’histoire, la géographie et l’EMC au collège de Gémozac (17), un petit établissement rural.
« Personnellement j’ai davantage l’habitude du débat que beaucoup de collègues du fait des disciplines que j’enseigne. Je demanderai aux élèves de construire un nuage de mots selon leur ressenti de l’événement. Il s’affichera au tableau anonymement ».
Ensuite il organisera un « débat mouvant ». C’est une technique où on demande aux élèves de changer de place dans la salle de classe selon leur avis sur des affirmations proposées par le professeur. Chaque groupe qui s’est constitué doit trouver ses arguments et cela amène un débat intéressant car chaque élève prend position dans l’espace de la classe et peut changer de camp.
Retour sur les valeurs
« Les affirmations que j’ai prévues servent à clarifier les valeurs. Cela permet un débat vivant où chacun peut s’impliquer. Et au final c’est l’enseignant qui rappelle ce que sont vraiment les valeurs de la République.
J Nallet n’a pas peur d’éventuels commentaires désobligeants à l’abri de cet anonymat. « Je préfère que ce soit débattu plutôt que censuré ».
Même si la lettre parle d’un moment de recueillement précédent l’explication en classe, aussi bien pour C Guimonnet que pour J Nallet le temps d’échange précédera le moment de recueillement. « C’est nécessaire pour savoir sur quoi on se recueille ».
Propos recueillis par François Jarraud