Comment faire éprouver aux élèves le caractère vivant de la langue française ? C’est le beau défi d’un remarquable projet mené par les 6èmes de Caroline Gerber, au collège Le Caousou de Toulouse, et les 6èmes de Christelle Lacroix, au collège La Malassise dans les Hauts-de-France. Elles ont amené leurs élèves à réaliser un « dictionnaire vivant de la langue française » : un dictionnaire numérique et interactif, dans lequel les mots deviennent des personnages à part entière, qui parlent et agissent à travers de courtes vidéos. Le travail de la langue emprunte alors les voies de l’appropriation, de la créativité et de l’imaginaire. Pour la plus grande fierté des enseignantes : « Cela fait réellement plaisir pour nous adultes de voir ces jeunes faire vivre et transmettre autour d’eux la langue française. » Avec assurément une conviction renforcée chez les élèves : oui « le français est à nous » !
Qu’est-ce que « Le dictionnaire vivant de la langue française » ?
C.L – « Le dictionnaire vivant de la langue française », est un dictionnaire numérique et interactif réalisé par deux collèges : les sixièmes du collège Le Caousou de Toulouse et leur professeure Caroline Gerber, et mes élèves de sixième de La Malassise dans les hauts de France. Deux thématiques sont actuellement abordées : le vocabulaire des sentiments, et le vocabulaire de la prévention. (On pourrait imaginer que d’autres écoles augmentent ce dictionnaire de leurs créations avec d’autres thématiques).
Comment le projet est-il né ?
C.L – Ce projet de création d’un dictionnaire vivant de la langue française est venu dans l’optique de préparer la représentation de la pièce « Complot dans le Dico » à laquelle les élèves des deux collèges allaient assister à un moment différent de l’année (janvier pour Le Caousou à Toulouse, Mars pour la Malassise à Roubaix).
Qu’est-ce que « Complot dans le dico ? »
C.L – « Complot dans le dico » est une pièce de théâtre en tournée nationale depuis deux ans, offerte par l’association Prévention MAIF, aux élèves pour les faire réfléchir aux risques quotidiens de façon positive. Dans cette pièce, les personnages sont les mots de la langue française. L’action se déroule dans le dictionnaire, où Accident et Catastrophe complotent avec Routine (qui rêve de devenir la souveraine du dictionnaire) pour enlever Risque. Après ce kidnapping, le pire arrive, puisque, sans connaissance de Risque, plus personne n’est capable d’évaluer les situations.
Ce dictionnaire est qualifié de « vivant » : pourquoi ce terme ? pourquoi ce souci de rendre « vivant » l’apprentissage du vocabulaire ?
C.G – Ce dictionnaire est vivant car il contient des mots « vivants », à l’image de ce qui a été écrit et mis en scène dans la pièce Complots dans le dico que nous sommes allés voir. En effet, les mots sont des personnages à part entière, ils parlent, ils agissent, comme le montrent les petites vidéos du dico. L’objectif est de faire toucher du doigt aux élèves le caractère vivant de la langue française. Les mots naissent, certains disparaissent. C’est un thème que l’on exploite depuis le début de l’année à l’occasion des différentes séquences pédagogiques. Ex. La poésie en début d’année où on a vu le mot dans son aspect graphique, musical et polysémique. Les élèves sont devenus membres de la SPM, société protectrice des mots.
Comment avez-vous amené les élèves à travailler sur le dictionnaire ?
C.L – Nous avons, dans nos classes respectives, abordé l’article de dictionnaire, afin de comprendre à quoi il servait et comment il était rédigé. Suite à cela, chaque élève a réécrit, en suivant la technique d’écriture d’un article, un mot du dictionnaire : au Caousou, sur le thème des sentiments ; à La Malassise sur le thème de la prévention, thématique abordée en parallèle en sciences où les élèves avaient d’ailleurs réalisé des affiches de prévention. Les élèves ont ensuite imaginé un visage et une voix pour que leur mot, redéfini avec leur sensibilité, comme les personnages du spectacle, puissent se définir eux-mêmes pour les élèves de la Malassise et, pour ceux du Caousou, réaliser un casting pour entrer dans la suite de la pièce « Complot dans le dico » Des enregistrements ont été réalisés avec des applications diverses (Animate anything, Chatterpix), déposés par les élèves sur un padlet et collés par les professeurs dans le dictionnaire (sur Genially). Le jour du spectacle, chaque élève portait un badge avec le mot et sa définition réécrite, comme s’ils étaient eux-mêmes les mots du dico, des personnages potentiels de la pièce.
Comment les mots ont-ils été choisis ?
C.G. – En ce qui concerne les élèves du Caousou, nous avons travaillé sur les sentiments, à l’occasion de notre séquence sur le théâtre. Les élèves ont donc choisi un sentiment et ont rédigé la carte d’identité de leur mot (autrement dit, l’article de dictionnaire). Ils ont apporté leur carte d’identité lors de la sortie au théâtre et ont pu s’exprimer lors du bord de scène avec les acteurs qui ont découvert que des mots-sentiments faisaient partie des spectateurs !
Quel bilan tirez-vous de ce travail ?
C.G. – Les élèves ont pris beaucoup de plaisir à incarner un mot, en particulier un sentiment. Nous avions déjà travaillé à plusieurs reprises sur la mise en voix et ils ont pu se « lâcher » lors de la vidéo (allez écouter « rage » par exemple). Ils ont aussi beaucoup aimé découvrir le travail des 6e de La Malassise et savoir qu’ils partageaient leurs productions dans une seule et même création.
En ce qui me concerne, c’est toujours très stimulant de travailler avec ma twitt-collègue Christelle, toujours pleine d’idées ! En l’occurrence, je n’aurais jamais réalisé un si beau dico sans sa maitrise de Genially ! Du coup, je m’y mets aussi. C’est là que le numérique trouve tout son sens : cela rapproche, encourage, ouvre à de nouvelles aventures créatives !
Et vous Christelle, quel bilan dressez-vous ?
C.L – Ces activités ont permis d’aborder les outils de la langue par le biais de l’imaginaire. Ainsi intégrées dans un projet d’expression et de création mobilisant des compétences d’écrit et d’oral, les apprentissages de la langue prennent sens. Au delà de cela, c’est une réflexion positive sur les risques domestiques, numériques et routiers qui s’est engagée pour que l’imaginaire soit un vecteur de signification du réel. Ce projet interdisciplinaire, interclasse et même intercollège, collaboratif montre que la construction des savoirs entre pairs est possible. Les élèves ont pu découvrir les mots de leurs camarades, en découvrant des façons de travailler différentes (dispositif numérique différent d’un établissement à l’autre), des modalités de productions différentes, suscitant ainsi l’intérêt et la curiosité de tous. Enfin cela fait réellement plaisir pour nous adultes de voir ces jeunes faire vivre et transmettre autour d’eux la langue française.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Les photos/vidéos de la sortie de La Malassise
Le padlet Retour sur le spectacle par les élèves