« ABCD, Blog d’une maîtresse D ». Pénélope Lanterne, alias Onaya sur le web, est professeure des écoles depuis 2002 et aujourd’hui coordonatrice pédagogique d’un IME/IM-Pro dans les Landes. Son blog, élégant avec ses couleurs pastel, est né en 2012, un peu en catimini, Pénélope ayant souhaité rester complètement anonyme à l’époque, par timidité et modestie. Mais avec sa volonté de partager ses ressources et d’offrir des réponses à toutes les personnes débutant dans l’enseignement spécialisé, le blog est devenu une référence. Pénélope y fait part de ses nombreux projets pédagogiques. Elle offre des ressources utilisables et efficaces basées sur le quotidien des élèves et distille des informations et des réflexions intéressantes sur le thème de l’ASH. Recette d’un succès en ligne…
Des activités et des projets pédagogiques originaux et de qualité
Comme elle nous l’a expliqué en interview, Pénélope est polyvalente dans son IME, à la fois coordonatrice et enseignante. Elle enseigne avec divers groupes d’élèves, adolescents et jeunes adultes, de 12 à 20/21 ans, avec des projets scolaires et des niveaux bien différents. Si cette diversité fait la richesse de l’enseignement spécialisé, elle peut également s’avérer compliquée à gérer pour les enseignants débutants dans l’ASH. C’est par le projet pédagogique que Pénélope parvient à fédérer ses élèves. Les idées ne manquent pas ! Des projets autour d’albums, des projets autour du monde, des projets autour d’une année civile, des projets autour de la semaine de la presse ou de la semaine du goût, des projets autour d’un thème comme le chocolat, le Carnaval de Venise ou la police, des projets plus traditionnels autour des festivités qui ponctuent une année, Halloween, Noël, Pâques,… On trouve également de nombreuses ressources dans les différentes disciplines de l’enseignement, mathématiques, anglais, découverte du monde, histoire et géographie, français,… Ces ressources portent notamment sur des ateliers de manipulation et permettent d’aborder les notions de manière très concrète et très progressive. Ces séances d’enseignement sont classées en fonction des cycles. Les activités, pédagogiques, et les projets sont détaillés dans les notes du blog, les supports sont téléchargeables et utilisables clés en mains. Attention, cependant, en ce qui concerne les projets en tant que tels, ils s’adressent davantage à des élèves de niveau cycle 1-cycle 2 qu’à des élèves de cycle 3-cycle 4. Ceux-là ne sont néanmoins pas oubliés par la Maîtresse D qui leur consacre également de nombreuses notes d’informations et idées géniales.
Des ressources ciblées sur les nécessités du spécialisé
Pour les jeunes adultes ou les élèves concernés par le passage de certains examens (CFG, CAP) ou qui nécessitent de travailler sur leur employabilité et leur accès et intégration dans le monde du travail, ce sont d’autres ressources qui sont mises en ligne sur le blog. Nous noterons des dossiers très pratiques sur le passage de l’ASSR (de nombreuses ressources concernant la sécurité routière sont disponibles) ou du B2I par exemple. A noter également : une rubrique sur l’utilisation du cinéma en classe et une rubrique d’art avec des propositions de séances d’« art-thérapie », ressources qui peuvent s’avérer véritablement utiles pour ces publics dont l’histoire, la vie et les émotions sont parfois très compliqués à gérer. Dans le même ordre d’idée, Pénélope donne des ressources de gestion de classe parmi lesquelles on trouve des idées d’activités et des suggestions pour améliorer l’estime de soi de ces jeunes élèves déjà bien malmenés par la vie pour la plupart et qui n’ont absolument plus confiance en eux.
Mais ce qui fait la renommée du blog de Pénélope, ce sont les rubriques qui portent très clairement sur les spécificités de l’ASH : la préparation au diplôme du CFG, les séances de PSE (Prévention Santé Environnement, qui est une matière réservée aux établissements d’enseignement généraux et professionnels adaptés et qui traite de l’hygiène, de la nutrition, de la prévention du tabac et des drogues, du sida, etc.), les dossiers concrets sur la vie quotidienne pour les élèves qui seront amenés à un moment ou un autre à vivre « seuls » ou en autonomie dans un milieu protégé.
En voici quelques exemples : apprendre à remplir un chèque, travailler sur la liste de courses et le rendu de la monnaie, utiliser un lave-linge, apprendre à téléphoner, remplir un formulaire administratif… Ce sont des éléments qu’on ne travaille pas en milieu ordinaire, en présupposant que les parents s’en chargent mais qui sont une priorité en milieu protégé.
Certains élèves ne passeront peut-être jamais de diplôme et seront encadrés et reconnus comme travailleur handicapé au sein de leur future activité professionnelle (encadrement en ESAT par exemple), mais ont besoin d’apprendre à se débrouiller dans la vie quotidienne. C’est a priori le seul blog enseignant qui propose des ressources aussi détaillées dans ce domaine-là sur le web (même si bien sûr d’autres blogs enseignants sont consacrés au spécialisé, mais il reste davantage sur du « scolaire »).
A noter également, la rubrique des petites « trouvailles » et celle des petites « ressources pour enseigner », qui sont des petites astuces de gestion de classe bien intéressantes pour mettre les élèves au travail ou les rendre plus autonomes ou des notes sur des outils pratiques comme le pointeur, les briques de construction ou la montre magique…
Par ailleurs, Pénélope a développé également toute une rubrique sur la découverte du monde professionnel et le travail sur l’employabilité des jeunes : on y trouve en vrac des fiches métiers, des listes de livres sur les métiers, des interviews et vidéos sur les métiers, des textes pour découvrir le monde du travail, des informations sur les risques professionnels et la sécurité, des informations sur la formation professionnelle et les organismes de formation, des informations sur l’ESAT et sur la façon de faire un rapport de stage, un listing du vocabulaire de la cuisine pour les élèves qui se dirigent vers cette voie… Bref, celle liste conséquente et non exhaustive témoigne d’un véritable travail de fourmi, dense et riche, qui peut véritablement aider et orienter les collègues débutant dans le spécialisé.
Une réflexion poussée sur l’ASH
Pénélope a aussi le rôle de coordonatrice pédagogique dans son établissement. A ce titre, elle exerce une véritable mission de « direction » auprès des familles et des collègues et se doit de connaître les textes et les rouages du spécialisé sur le bout des doigts. C’est également une expérience qu’elle met au service de ses lecteurs sur le web en proposant plusieurs rubriques qui valorisent sa réflexion et ses recherches dans le domaine : ainsi, elle poste régulièrement des informations sur les élèves à besoins particuliers, sur l’autisme, sur la dyslexie… qui se révèlent de véritables perles pour mieux connaître et guider les élèves en difficultés.
Une rubrique « L’ABC de l’ASH » est également très utile pour les débutants. Elle permet de clarifier le lexique et les signes de l’ASH ainsi que son fonctionnement général. Cela donne un état des lieux clair et précis de l’enseignement spécialisé avec des liens et des bibliographies complètes. Pénélope donne aussi des indications non négligeables pour la rédaction d’un mémoire du CAPA-SH, qui peuvent aider notamment les personnes qui souhaitent le passer en candidat libre et qui n’ont aucune formation dans ce domaine. Elle met également à disposition des lecteurs du blog des documents plus précis sur le dossier scolaire et les relations aux familles en IME ainsi sur la coordination pédagogique, qui est une fonction assez vaste, peu définie.
Ainsi, c’est le goût du partage qui a incité cette instit des plus discrètes à proposer ses ressources pour l’ASH sur le web. Elle qui est bénévole et animatrice de la rubrique ASH sur le Forum Enseignants du Primaire depuis longtemps et qui répond à de nombreux enseignants débutants ou non dans le spécialisé a transformé l’essai en sachant transmettre sa passion qui l’anime et l’amour de son métier à travers les rubriques de son blog. Aujourd’hui, elle a en plus gagné l’admiration et la reconnaissance de ses pairs sur la toile et elle est énormément sollicitée, de quoi la combler de joie, comme elle nous le raconte dans l’entretien qu’elle a accepté d’accorder au Café Pédagogique.
Portrait de Pénélope, instit blogueuse…
Pénélope Lanterne, 37 ans, habite à Saint-Martin de Seignanx, à côté de Bayonne, et elle enseigne à l’IME-IM-Pro de Dax. Ses responsabilités au sein de l’établissement sont importantes : elle est coordonatrice pédagogique des trois classes et essaie constamment d’impulser des idées et des actions nouvelles, même si tout est toujours très long à mettre en place dans l’ASH. A côté, elle enseigne dans le service des « petits » IMP (les 6-14 ans), dans le service des plus grands IM-Pro, qui apprennent également des gestes professionnels au sein d’ateliers professionnels (cuisine, services, espaces verts,…) et dans l’unité spécifique de l’institut médico-occupationnel, ce qui fait qu’elle est amenée à côtoyer chaque semaine une trentaine de jeunes et à réaliser des co-interventions avec tous les ateliers, en fonction des projets spécifiques de ses élèves. Elle nous a fait part de sa vocation de maîtresse et de sa passion pour son métier.
Pourquoi être devenue maîtresse ?
Depuis toute petite, j’ai envie d’être maîtresse. C’est une véritable vocation. Au collège, je voulais faire du second degré et puis au fil des années, ma priorité est devenue celle du premier degré. J’ai d’abord été AVS en UPI puis en 2002, j’ai obtenu mon concours de professeure des écoles.
Quel a été ton parcours ?
J’ai passé un Bac L puis j’ai suivi des études d’histoire. J’ai obtenu mon concours en 2002. Puis, j’ai commencé ma carrière en EREA (Etablissement Régional d’Enseignement Adapté) par choix. J’étais déjà attirée par le spécialisé. J’ai passé cinq ans en EREA avec le titre d’ « éducatrice » (dans ces établissements, des professeurs des écoles ont le titre d’éducateur en internat : ils s’occupent des repas, font de l’aide aux devoirs,…) J’y ai monté un projet autour de la danse contemporaine. Pendant deux ans, j’ai donc été éducatrice d’internat ; puis, comme il n’y avait pas de CPE et comme j’avais un logement de fonction sur place, j’ai « joué » la fonction de CPE pendant trois ans : je faisais le lien avec les familles, je travaillais en partenariat avec le pôle protection de l’enfance. Je n’étais pas préparée à faire ça avec le concours, j’ai appris sur le tas, grâce au chef d’établissement qui m’a fait confiance et m’a donné ma chance.
C’est là que j’ai vu que je ne m’étais pas trompée pour le spécialisé. Il me fallait des responsabilités, et j’étais servie, mais le lien avec les élèves étaient également très importants. Aussi, à Dax, quand on m’a proposé le poste de coordonatrice en IME, j’ai accepté : ça ressemblait à ce que j’avais déjà fait en EREA. J’ai obtenu mon départ en formation en CAPA-SH. Je l’ai réussi en 2012.
Pourquoi avoir choisi de travailler dans le spécialisé ?
J’ai toujours été dans le spécialisé, même avant d’être enseignante puisque j’étais AVS.Je savais déjà très bien ce qu’était le handicap : ma maman était « nounou » et s’occupait d’enfants handicapés, je me suis toujours sentie proche de ce public là. Quand j’étais étudiante, j’ai gardé une enfant trisomique, j’ai toujours eu ce contact.
Pourquoi as-tu créé ce blog ? Quelles ont été tes motivations ?
Mon blog a été monté un peu en catimini en 2012… Je ne l’ai jamais dit à mes collègues et je n’ai pas mis ma hiérarchie au courant. J’appartenais depuis un moment à l’équipe d’animation du Forum EDP (Enseignants du primaire) et on me posait vraiment beaucoup de questions, j’avais été désignée animatrice de la partie ASH. J’ai eu l’idée de faire mon blog comme Charivari ou Dame Dubois dont j’appréciais déjà le travail, elles m’ont vraiment donné envie de faire pareil. Je les ai contactées pour avoir des conseils, pour savoir sur quelle plate-forme aller,… Et puis, sur le net, il y avait vraiment très peu de ressources sur le spécialisé.
A côté de cette présence sur le web, mon Inspecteur ASH et ma Conseillères Pédagogique me sollicitent, je suis MFA (maîtresse formatrice assistante), j’accompagne des stagiaires : j’ai été démasquée dans une des formations dernièrement… Mon contact avec les enseignants débutants m’a confortée dans le besoin de créer ce blog. Après, je suis assez altruiste comme personne : on me pose beaucoup de questions, je me suis dit« peut-être que ça servira à d’autres personnes, le fait de tout partager ». Dans l’ASH, j’ai entendu beaucoup de réflexions du style « ben nous on est tout seuls face à une équipe ASH, on ne sait pas comment s’y prendre ! » Sur le Forum EDP, nous avons des échanges riches, c’est comme une salle des maîtres géantes. J’ai vraiment eu envie d’apporter ma pierre à l’édifice.
Je vois de plus en plus de sites et blogs, notamment anglais, où les gens veulent faire payer leur site et moi je ne suis pas du tout là-dedans, je suis vraiment pour la mutualisation !
Tu fais partie du Forum EDP et de la Communauté des Profs Blogueurs. Peux-tu nous en dire plus ?
Le Forum EDP, j’y étais depuis l’EREA, lorsque j’étais dans mon petit logement de fonction. J’étais simplement animatrice depuis 2-3 ans. Avec mon blog, je suis rentrée très vite dans la Communauté des Profs Blogueurs, ça s’est fait rapidement. Ca me permet d’échanger notamment avec des instits du Québec, de Belgique, des quatre coins de la France. Chaque année, il y a le Salon du Livre à Montreuil : on est toujours une quinzaine de professeurs des écoles blogueurs à s’y retrouver. Cette Communauté et le Forum EDP permettent une émulation des instits de Belgique, de France et du Québec, ça pétille de vie et d’idées.
Combien de temps passes-tu chaque semaine sur ton blog et sur les forums?
Mon mari est commercial, je m’occupe de notre fils après l’école et je me remets au travail un peu plus tard dans la soirée. Je me couche rarement avant minuit/une heure du matin. Je ne sais pas exactement le temps que j’y passe, un peu tous les jours, mais c’est sûr, beaucoup moins qu’au début. Au début, il faut alimenter le blog régulièrement, surtout pour rentrer dans la Communauté des Profs Blogueurs. Au début aussi, il y a beaucoup de choses à partager. Aujourd’hui, je publie moins mais avec plus de qualité, je propose des documents un peu plus travaillés, un peu plus complets. J’essaie d’amener une réflexion derrière et pas un truc tout fait.
A ton avis, quelles sont les qualités, les forces de ton blog ?
Pour commencer bien sûr, c’est un blog ASH ! Des gens viennent pas mal chercher les documents qui concernent le CFG ou concernant des « trucs », des astuces ou les techniques d’impact (petites astuces qui arrivent d’Outre-Atlantique et qui permettent de faire en sorte que l’enfant, en très peu de temps, se remobilise et se sente concerné, s’il a des problèmes de comportement). Les enseignants sont à l’affût des conseils pratiques. On me pose aussi des questions pour des grands « ados » qui ne passeront pas de diplôme. Avec eux, il faut travailler l’autonomie au quotidien (travailler sur les papiers d’identité, le rendu de la monnaie, la lecture du programme TV ou d’un plan de la ville choses, travailler sur la recette, savoir se présenter à l’oral, savoir lire une facture, une fiche de paie, se présenter au téléphone, faire et suivre une liste de course, remplir un chèque,…) c’est-à-dire les faire travailler sur des choses très pratiques, autour de ce qui leur sert au quotidien. Dans mes classes, j’organise même des« challenges » comme réaliser tout seul une recette de A à Z ou aller seul à la bibliothèque emprunter des documents. L’essentiel, c’est de proposer des choses qui ont du sens et de partir du quotidien des jeunes.
Quels sont tes projets à venir ?
Ce qui assez nouveau pour moi, cette année, c’est la fonction de maître formateur : je leur propose une assistance. Je n’ai pas le CAFIPEMPF. Je suis simplement un peu comme un tuteur ou un MAT pour ceux qui passent le CAPA-SH. C’est très intéressant. Quelques fois, je suis aussi appelée à intervenir sur de la formation pour adultes en animation pédagogiques. Ca aussi, c’est intéressant.
Partager de l’expérience, ça me plaît au final : encore une fois j’arrive avec des choses très concrètes du terrain en animations pédagogiques, j’espère que ça pourra continuer, ça me force à réfléchir sur ma pratique, les enseignants qui m’écoutent ont besoin d’un minimum d’éclairage sur le « pourquoi » je fais les choses comme ça et pas autrement.
Tes satisfactions et tes insatisfactions dans le métier ?
Pour les satisfactions, je suis une grande passionnée ; j’ai du mal à ne pas être satisfaite de mon métier, il est clair et évident que je ne me suis pas trompée de voie.
Pour les insatisfactions, je trouve qu’il y a trop peu de reconnaissance des enseignants en ASH. Par exemple, la circulaire en IME pour les obligations date de 1982 ! Sinon, chaque IME a un fonctionnement différent, il n’y a aucune harmonisation. De plus, ma fonction de coordonatrice pédagogique représente une énorme charge de travail : je suis l’interface entre mes collègues et l’IEN, l’interface entre mes collègues et la Direction de l’IME, je dois négocier les budgets, les partenariats,… J’ai trois heures de décharge maximum sur la semaine pour faire ça, c’est un peu dommage. Je ne cours pas après les reconnaissances financières mais je demande au moins un peu de temps pour travailler ! Il y a des semaines où je ne touche pas terre, je suis très fatiguée…
Coordonateur pédagogique, c’est vraiment une mission trop floue dans la circulaire de 2009 sur les Unité d’enseignement .J’argumente beaucoup pour avoir du budget (par exemple, en 2010, on a créé la coopérative scolaire ; pour Noël et Pâques, on vend des chocolats ; pour la Nouvelle Année des calendriers,…). Nos ressources ont fini par tripler mais c’est encore trop peu : on a mutualisé et surtout, depuis cinq ans, les effectifs ont été stabilisés. On manque vraiment de moyens : le système D est nécessaire pour aller se chercher du matos, taper à des portes,…
Que penses-tu de l’Ecole de la République de ce début du XXIème siècle ?
Pauvre Ecole de la République ! Je ne sais pas quoi en penser franchement… Je crois que je vais dire une seule phrase : on a tout le poids du futur sur nos épaules et il faut réhabiliter notre métier ! Entre les enseignants qui passent pour des fainéants et ceux qui ne sont pas respectés, la profession est vraiment mise à mal !
Propos recueillis par Alexandra Mazzilli