Depuis la Finlande, où il est en voyage d’étude, le sociologue François Dubet analyse les chances de réussite de l’Ecole sous F. Hollande. Pour réduire l’échec scolaire et remonter le niveau il appelle à investir sur le primaire et la formation des enseignants.
François Hollande propose de créer 60 000 postes et de mettre l’accent sur le primaire. Cela vous semble-t-il à la hauteur des enjeux éducatifs comme la résorption de l’échec scolaire ?
La priorité c’est bien de rapprocher l’école et le collège. Il faut décrocher le collège du modèle lycée pour le rapprocher du primaire. Maintenant que sera-t-il possible de faire dans la situation économique actuelle ? Les 60 000 postes ? Ce ne sera peut-être pas possible. Les moyens mobilisés seront-ils utilisés pour élever le niveau de qualification des enseignants ou seront-ils simplement saupoudrés ? Ce qui est certain c’est que Peillon et Hollande connaissent le problème. Il n’y a pas de raison d’être défiant.
Si la formation des enseignants est une clé, elle nécessite des moyens par exemple pour dégager une année de stage. Comment faire ?
Je conseillerais de ne pas mettre des moyens partout mais de prendre la résolution de recruter les enseignants à bac plus 3 et de leur donner une vraie formation de deux années. Ce serait un progrès décisif. Financièrement c’est un problème mais ils pourraient travailler et ce serait plus malin que d’aller chercher des postes pour le plaisir. Et puis si l’on veut changer demain quelque chose au statut des enseignants on ne peut le faire qu’avec les nouveaux recrutés.
C’est indispensable de modifier le statut des enseignants ?
Si on veut augmenter les heures de présence dans les établissements, le travail en équipe, si l’on veut toucher au mode d’affectation dans les établissements, on imagine mal de le faire sans ça. De toutes façons ce sera long, ces changements vont demander des mois. Ce ne sera pas pour septembre… Il n’y aura pas de réforme miraculeuse. Tout changement éducatif nécessite un accord et c’est long.
Le gros défi de l’Ecole c’est l’échec scolaire. Améliorer la formation des enseignants est-ce suffisant pour y répondre ?
Evidemment non. Mais on est à un enfant sur quatre qui sort de CM2 en ne maitrisant pas vraiment la lecture et l’écriture. Les 150 000 sorties sans qualification sont le résultat de ce déficit en début de 6ème. On ne peut pas continuer comme cela. Le seul progrès qu’on ait fait c’est qu’on ne nie plus le problème. On le reconnait. Ce consensus sur le mauvais état de l’école est ce qui me rend optimiste. Le ministre sera jugé sur la fermeté et les effets à long terme des réformes.
Pour améliorer le niveau en lecture est-ce la formation des enseignants qui est prioritaire ? Peut-on se passer d’une politique sociale plus efficace ?
Je crois que la formation des enseignants est la priorité. Je vois des pays avec les mêmes inégalités sociales que nous et qui s’en sortent mieux parce que leurs enseignants sont mieux formés sur le plan professionnel. Les enseignants français ont un niveau de formation pédagogique faible. Et ils ne sont aidés par personne. D’autre part, l’échec est tel que la solution n’est pas dans une politique de la ville plus active. Quand on a un enfant sur quatre qui sort avec un niveau faible, cela veut dire que ces jeunes se trouvent partout et pas seulement dans les quartiers. C’est bien la qualité de l’Ecole qu’il faut améliorer. Evidemment si le chômage diminue, si la situation économique s’améliore ça ira mieux. Mais en attendant il faut faire face au problème.
Il vaut mieux améliorer la qualité des enseignants que leur nombre ?
On peut augmenter le nombre des enseignants à condition que cela affecte la qualité de leur travail. Si on ne le fait que pour alléger leur travail cela n’a aucune utilité. On peut avoir deux instituteurs par classe ou un volant de professeurs disponibles à condition que ces enseignants travaillent ensemble et soient formés. S’ils travaillent comme aujourd’hui je ne vois pas où serait le bénéfice. Il faut lier les moyens à l’amélioration de la qualité de l’enseignement.
Dans le secondaire peut-on faire l’impasse d’une redéfinition des champs disciplinaires ?
Quand un enfant sur quatre ne sait pas lire et écrire et qu’il fait face à 8 ou 9 enseignants comment le récupérer ? C’est impossible car aucun de ses enseignants ne se sent responsable de la classe. C’est le problème du recrutement des professeurs du secondaire qui repose trop sur leurs seules qualités académiques. Il faut sortir de cette situation. Mais faire cela c’est la bagarre assurée…
Pourquoi n’y a-t-il pas davantage de consensus sur l’éducation en France ?
Parce qu’il y a en France une telle image de l’Ecole idéale que l’idée de la changer est perçue comme un sacrifice. L’autre raison c’est que les diplômes sont tellement vitaux pour le destin social des enfants qu’en réalité toutes les familles sont en concurrence. Et les familles de classe moyenne supérieure qui en sont les grands bénéficiaires ne veulent pas que le système change. On vite dans l’hypocrisie.
Vous êtes en Finlande. Quel aspect vous a le plus impressionné ?
C’est la qualité professionnelle des enseignants et leur pragmatisme. Il n’y a pas ici de négation des problèmes. Nous sommes dans une société qui attend que le problème explose pour l’aborder. Ils ont aussi de gros avantages. Les Finlandais ne sont que 5 millions et c’est une société plus homogène que la notre. La comparaison ne peut aller très loin. Pour eux, leur seule richesse c’est l’école. Ils ont une sorte de conscience qui est très émouvante.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur le site du Café
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