Par François Jarraud
17 mai : V. Peillon annonce la semaine de classe de 5 jours au primaire en 2013. 18 mai : il est recadré fermement par le premier ministre. L’incident pose une bonne question. Où est le pouvoir politique en matière éducative ? La nature a horreur du vide. Le pouvoir également. L’incident concernant les rythmes scolaires illustre les hésitations d’un nouveau partage des tâches.
Sur France Inter le 17 mai, Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, annonce son intention de revenir à la semaine de 5 jours de classe au primaire en 2013. Heureusement c’est loin. Parce que toute modification des rythmes scolaires a tellement de conséquences sur la société dans son ensemble que son prédécesseur avait décidé d’attendre… Mais V Peillon a des raisons bien à lui pour pousser ce dossier. « Ce n’est pas le plus simple mais nous le ferons » déclare le tout nouveau ministre de l’éducation nationale le 17 mai sur France Inter. Il laissera aux collectivités locales la possibilité de choisir entre le samedi matin et le mercredi matin
Vincent Peillon suit ainsi une recommandation du Comité de pilotage sur la réforme des rythmes scolaires réuni par Luc Chatel. Dans son rapport remis le 10 juillet 2011, le comité préconise 9 demi-journées de cours par semaine avec un « bouclier scolaire » d’un maximum de 23 heures de cours par semaine. Ce rapport s’appuie sur les recommandations des chronobiologistes. Ils recommandent des journées moins chargées mais 5 journées de travail par semaine et des semaines mieux réparties, une alternance de 2 semaines de vacances toutes les 7 semaines travaillées.
Mais changer les rythmes scolaires est difficile. Tout changement impacte directement les budgets des collectivités locales qui sont déjà dans l’embarras. Augmenter d’une demi journée la semaine au primaire veut dire créer une journée de transports scolaires et d’entretien de l’école en plus. S’il faut généraliser l’accompagnement éducatif c’est aussi des heures à payer au personnel communal. Le ministre doit donc s’attendre à des résistances de ce coté. L’étude menée récemment à Issy-les-Mx par Georges Fotinos montre que le débat est très vif sur cette queston.
Toutes les variables n’ont pas été retenues par les rapporteurs. Focalisés sur les objectifs de santé, ils n’ont pas osé toucher aux paradigmes de départ. Car la position de la France est tout à fait spécifique en Europe. C’est le pays qui a le plus d’heures de cours par jour en Europe. On peut évidemment en déduire qu’il faut augmenter le nombre de jours de cours et pour cela à la fois la semaine d’école (passer à 9 demi-journées) et le nombre de semaines (38 au lieu de 36). Mais le comité pouvait aussi jouer sur le nombre d’heures. Avec 864 heures de cours au primaire, la France fait partie des pays européens qui ont le plus d’heures annuelles d’enseignement, avec l’Espagne (875), l’Italie (891) ou le Portugal (900). L’Europe protestante se satisfait avec moins : 798 en Angleterre, 564 en Allemagne, 569 en Finlande. Cette piste est écartée d’emblée alors que l’efficacité scolaire des temps français n’est pas démontrée.
Pourtant changer les rythmes scolaires semble incontournable. En effet ce changement est aussi l’occasion d’évoquer l’évolution du métier d’enseignant et la revalorisation salariale des enseignants. Repenser le nombre des heures de cours peut permettre de faciliter le travail en équipe des enseignants et donc l’exercice du métier par exemple en dédiant des heures au travail en équipe. C’est aussi un facteur d’évolution des rémunérations des enseignants. Si l’on augmente leur temps de travail il est légitime d’accorder une revalorisation salariale aux enseignants. On comprend alors que l’évolution de ce dossier est délicate, à moins que l’Etat consente un effort important.
18 mai : Ayrault recadre le débat
« La méthode c’est la concertation » déclare Jean-Marc Ayrault le 18 mai sur France Inter. Il promet « une concertation avec les enseignants, les parents d’élèves, les professionnels, tous ceux qui ont leur mot à dire et puis à la fin de cette concertation, il y aura un arbitrage et je le prendrai ». Le premier ministre entend ainsi que le dossier des rythmes scolaires ne lui échappe pas.
C’est que la question est brûlante. Toucher aux rythme scolaires impacte forcément la vie quotidienne des enseignants et des parents. Mais elle impacte aussi fortement les budgets municipaux. Pour les communes cela veut dire du ramassage scolaire, du nettoyage du chauffage une demi journée de plus. Enfin toute l’industrie du tourisme est aussi concernée. Et tous ces acteurs n’ont pas manqué de réagir aux propos de JM Ayrault. Ainsi le Snuipp, premier syndicat du primaire reconnait le 18 mai que » les défauts de l’organisation scolaire actuelle ont été unanimement pointés. Chacun les connait : journées trop longues et trop chargées (notamment pour les plus fragiles, aux heures de classes desquels peut s’ajouter du temps d’aide personnalisée), année scolaire resserrée, arythmie des temps de classe et de vacances… Il faut donc revoir le calendrier et le contenu de la journée, de la semaine et de l’année ». Mais c’est pour ajouter que ce sera difficile. « Il faut aussi admettre que le chantier est complexe et difficile. Les rythmes de vie des enfants sont loin d’être identiques. Ils varient en fonction des contraintes professionnelles et personnelles des familles, de leurs lieux d’habitation (fréquentation de la restauration scolaire, de l’étude, de la garderie, temps passé dans les transports,…). Les ressources financières et la volonté politique des collectivités locales constitueront également un point crucial si on ne veut pas que les modifications à venir ne génèrent de nouvelles inégalités dans la prise en charge des enfants ».
Justement l’Association des Maires de France a rebondi sur les propos de JM Ayrault en se déclarant favorable au passage à 5 jours mais en posant la question des activités périscolaires. L’AMF souhaite également la réduction des congés d’été de deux semaines. Mais l’industrie du tourisme s’affirme inquiète. Une étude du cabinet spécialisé Protourisme évalue à 3 milliards le manque à gagner pour l’industrie hôtelière du rétablissement des cours le samedi matin. L’Umih est favorable à la semaine de 5 jours à condition que le 5ème soit le mercredi… Quant aux écoliers on ne saura jamais ce qu’ils en pensent..
Modifier les rythmes scolaires
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2011/rentree2011_05.aspx
A Issy-les-Moulineaux, une enquête éclaire les non-dits et les ambiguïtés d’une réforme des rythmes scolaires
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/05/070512-issy.aspx
Revenir à la semaine de 5 jours : Exemple et contre-exemple à Angers et Issy-les-Mx
V. Peillon puis JM Ayrault ont annoncé leur intention de revenir à la semaine de 5 jours de classes au primaire. Une entreprise que peu de communes ont tenté parce qu’elle pose bien des problèmes. Certains ont réussi à le faire comme Angers… D’autres comme à Issy-les Mx ont mis en évidence les blocages.
A Angers, si la municipalité a réussi à faire revenir une partie des écoles à la semaine de 5 jours, c’est en investissant dans le périscolaire. Comme le précise Luc Belot, adjoint à l’éducation, « la Ville a joué son rôle en lançant, dès novembre 2008, lors de la Conférence des parents organisée à Angers, une concertation qui a été élargie au 1er semestre 2009 à l’ensemble de la communauté éducative ». Après concertation avec les parents de janvier à mars 2009, grâce à des petits déjeuners et des tables rondes avec les différents acteurs de l’école, d’avril à juin ont eu lieu des réunions avec les enseignants. Au bout de cette phase, 53% des écoles ont manifesté le regret de la suppression du samedi matin, 57% jugent la journée de 6h trop longue, mais seulement 37% demandent la semaine de 9 demi-journées incluant le mercredi matin. Au final un groupe scolaire, celui de l’Isoret, expérimentera à partir de la rentrée 2010, la semaine de 9 demi-journées. « Par rapport à l’Isoret, les parents et enseignants ont souhaité dès le départ tester ce nouveau rythme. Le conseil municipal a donné en mars un avis favorable à l’expérimentation et la Ville prépare aujourd’hui avec les acteurs impliqués – services municipaux, écoles, partenaires du quartier – les meilleures conditions d’une rentrée sur 4 jours et demi », souligne M Belot. Dominique Bruneau, directeur de l’Isoret, présente ainsi le nouvel emploi du temps. » Parce que les enseignants savent que les temps d’enseignement du matin sont plus favorables aux apprentissages, il a été choisi de raccourcir le temps de scolarité de l’après-midi et de mettre une matinée supplémentaire le mercredi matin. Dès lors les matières fondamentales : maths et français seront placées le matin prioritairement. Il s’agit aussi sur les temps périscolaires d’amener un plus culturel, éducatif, sportif aux enfants notamment sur le temps de CEL. À nous de rendre les activités suffisamment attractives et d’inscrire un maximum d’enfants, ce afin d’éviter le phénomène des orphelins de 16h. Il a été choisi sur les temps périscolaires de privilégier les partenaires du quartier pour les associer à notre projet : clubs sportifs, centre de loisirs, maisons de quartier, associations locales et oeuvres complémentaires de l’école, conservatoire régional de musique ». Pour la ville d’Angers, le nouvel emploi du temps implique la prise en charge du temps périscolaire de 15h30 à 18h30 4 jours par semaine, de 11h30 à 12h30 le mercredi. A Issy-les-Moulineaux (92), l’enquête sur les rythmes scolaires réalisée entre novembre 2011 et mai 2012 par Georges Fotinos auprès des parents, des enseignants, des médecins et d’un panel citoyen d’Issy-les-Moulineaux (92) éclaire les difficultés de leur réforme. Si une large majorité se fait sur le principe du bien être des enfants, sa déclinaison concrète est nettement plus délicate. Grâce au soutien de la municipalité, G Fotinos a pu enquêter auprès de 1289 parents d’élèves des écoles primaires de la ville, soit 35% des parents, et 159 enseignants, soit 71%. A ces deux enquêtes se sont ajoutées un questionnaire rempli par la moitié des médecins et un sondage auprès des habitants.
Quelles questions font consensus ? Il y a un accord massif de ces 4 catégories de population pour dire que le temps d’enseignement doit être adapté à l’âge, que l’attention des enfants est variable selon les heures et les jours, que la pause de midi ne peut être inférieure à 90 minutes et que le temps de sommeil de l’enfant est important. Autrement dit, il y a une certaine reconnaissance générale de l’importance des rythmes biologiques de l’enfant. Passé ce constat, la limite apparait bien vite. Il ne faut pas que ces rythmes viennent en contradiction avec les intérêts ou les croyances des catégories. Certes il y a un accord majoritaire sur la limite de 5 heures de cours par jour au primaire, sur 23 heures de cours par semaine. Mais tout le monde est favorable à l’accompagnement éducatif et à passer à 38 semaines de cours par an … sauf les enseignants. L’étalement de la semaine sur 9 demi journées est minoritaire chez les parents et les enseignants. Parents et médecins sont soucieux du bien être des enfants mais n’entendent pas remettre en cause les devoirs à la maison…
Ces deux exemples montrent qu’il est possible de faire revenir les écoles au rythme de 9 demi-journées à condition de poser la question des relations entre Etat et communes. Il faut aussi que les enseignants soient convaincus que cela améliorera la situation scolaire des enfants. Or cela passe par un investissement budgétaire des communes. Elles ont du mal à le faire en cette période. Si l’on se plait à mettre en avant les résistances des enseignants, on voit qu’il faut aussi poser cette question : est-ce possible sans un transfert budgétaire de l’Etat vers les communes ?
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