Aux Etats-Unis, renforcé par l’actualité du scandale des données Facebook utilisées par Cambridge Analytica durant les élections présidentielles américaines de 2016, on assiste à un retour d’un questionnement d’une utilisation décentralisée du numérique et par exemple des blogs. Il y a là matière à réfléchir sur les compétences à développer en la matière auprès de nos élèves.
Dans un article qui vient de paraître, Alan Jacobs (Tending the Digital Commons: A Small Ethics toward the Future) dresse, de manière qu’il qualifie lui-même d’entreprise moins ambitieuse que l’apprentissage du code souhaitée et préconisée en éducation, une première liste d’habiletés que chaque jeune utilisant régulièrement un ordinateur devrait apprendre et maîtriser. En voici la liste (1) :
– comment choisir un nom de domaine
– comment acheter ce domaine
– comment choisir un bon provider de nom de domaine
– comment choisir un bon hébergeur.
– comment trouver un bon éditeur de texte gratuit
– comment transférer des ficher sur et depuis un serveur
– comment écrire basiquement en html, incluant des liens à des fichiers CSS (Cascading Style Sheet)
– comment trouver de modèles de CSS gratuits
– comment bricoler dans ces modèles pour les adapter à mes besoins
– comment éditer de manière basique des photographies
– comment citer ses sources et les lier aux documents originaux
– comment utiliser les médias sociaux pour partager ce que vous avez créé sur votre propre territoire plutôt que de créer au sein d’une usine fortifiée
Pour Jacobs, il s’agit des compétences rudimentaires que doivent posséder toute personne qui veut être un citoyen responsable du Web ouvert (Open WEb) et pour ne pas être pieds et poings liés aux grandes plate-formes numériques. Il ne s’agit cependant pas, admet-il lui-même d’une indépendance totale :
A person who possesses and uses the skills on my list will still be dependent on organizations like ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) and its subsidiary IANA (Internet Assigned Numbers Authority), and the W3C (World Wide Web Consortium). But these are nonprofit organizations, and are moving toward less entanglement with government. For in-stance, IANA worked for eighteen years under contract with the National Telecommunications and Information Administration, a bureau of the US De-partment of Commerce, but that contract expired in October 2016, and IANA and ICANN are now run completely by an international community of volunteers (2). Similarly, the W3C, which controls the protocols by which computers on the Web communicate with one another and display information to users, is governed by a heterogenous group that included, at the time of writing, not only universities, libraries, and archives from around the world but also For-tune 500 companies—a few of them being among those walled factories I have been warning against (3).
Il met en avant les avantages d’un modèle organisationnel décentralisé, coupler avec un important travail de volontaires. Se référant au film WALL•E (2008), il estime qu’une indépendance saine de l’Internet et du Web
est parmi les plus solides pavois contre la montée d’un Buy-n-Large ou les sociétés transnationales gigantesques qui jouent un rôle majeur dans l’avenir imaginé par Kim Stanley Robinson…
Il soutient les entreprises open-source tels que Mozilla, Automattic (WordPress) et Github nous permettant cette indépendance. Et il adhère aux objectifs du mouvement Domain of One’s Own (DoOO) dont Audrey Watters est l’une des avocates les plus brillantes qu’il lui ait été donné d’observer et qu’il cite :
By providing students and staff with a domain, I think we can start to address this [effort to achieve digital independence]. Students and staff can start to see how digital technologies work—those that underpin the Web and else-where. They can think about how these technologies shape the formation of their understanding of the world—how knowledge is formed and shared; how identity is formed and expressed. They can engage with that original purpose of the Web—sharing information and collaborating on knowledge-building endeavors—by doing meaningful work online, in the public, with other schol-ars. [The goal is that] they have a space of their own online, along with the support and the tools to think about what that can look like (4).
Domain of One’s Own permet ainsi aux étudiants et aux professeurs d’enregistrer un sous-domaine (ou acheter un domaine distinct) et de l’associer à espace web hébergé offert gratuitement par leurs universités. Après avoir quitté l’Université, les utilisateurs ont le choix de télécharger une sauvegarde de leurs fichiers et de leurs données qui peuvent être restaurées en utilisant les services de la plupart des hébergeurs.
Le but de tel projet est d’habiliter les étudiants diplômés à cultiver activement une présence en ligne savante, à développer leurs compétences techniques et à choisir un ensemble d’outils et de solutions pour créer leur propre présence numérique et de maîtriser leur identité en ligne. La démarche est partie des Etats-Unis et de l’initiative de Jim Groom et Tim Owens de l’Université Mary Washington (5). Le début du projet remonte à 2012, cependant des initiatives ont eu lieu dès 2004 et les premiers blogs ont démarré en 2007. En 2016 l’Université Mary Washington comptait 2’422 domaines actifs en la matière (6).
Les axes privilégiés par l’Université Mary Washington sont les suivants :
– l’identité digitale
– la compréhension du Web
– qu’est-ce qu’un domaine
– citoyenneté digitale
– Copyright, Fair Use, Creative Commons
– données propriétaires et usages
– représentation (genre, race, culture, orientation sexuelles)
Pour Jacobs et Watters, ce mouvement va bien au-delà de la simple acquisition de compétences, il est plus radical et porte au-delà de la seule assurance que les étudiants en littérature ou en histoire ou en médecine « apprennent le code ». Il s’agit de reconnaître que le World Wide Web est un lieu, un espace de et pour l’activité savante. Il s’agit de responsabilité les étudiants devant l’avenir (7).
Ces démarches sont complémentaires, enrichiront ou s’enrichissent des dé-marches militantes et existantes autour de la culture du remix (8). Il s’agit également de réfléchir à la manière de décliner ce concept plus largement qu’au niveau de l’enseignement universitaire pour responsabiliser également nos élèves de l’enseignement primaire et secondaire.
Référence : Tending the Digital Commons: A Small Ethics toward the Future | Alan Jacobs.
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
Notes
(1) Ça tombe bien pour moi, ce sont des habiletés que je maîtrise. Et vous ?
(2) “Stewardship of IANA Functions Transitions to Global Internet Community as Contract with U.S. Government Ends,” Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, October 1, 2016, https://www.icann.org/news/announcement-2016-10-01-en
(3) World Wide Web Consortium (WC3), “Current Members,” retrieved November 6, 2017, https://www.w3.org/Consortium/Member/List
(4) Audrey Watters, « Why ‘a Domain of One’s Own’ Matters (for the Future of Knowledge) », Hack Education: The Future of Education Technology (blog), April 4, 2017, http://hackeducation.com/2017/04/04/domains
(5) Le premier projet de ce type en Europe a été initié par l’Université de Coventry. La liste complète des institutions : https://reclaimhosting.com/institutions/
(6) Source : http://umwdtlt.com/a-brief-history-of-domain-of-ones-own-part-two-the-12-days-of-domains/ “Stewardship of IANA Functions Transitions to Global Internet Community as Contract with U.S. Government Ends,” Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, October 1, 2016, https://www.icann.org/news/announcement-2016-10-01-en
(7) In “Their Lonely Betters,” W.H. Auden writes of the plants and animals in his garden: “Not one of them was capable of lying, / There was not one which knew that it was dying, / Or could have, with a rhythm or a rhyme, / Assumed responsibility for time.” Collected Poems, ed. Edward Mendelson (New York, NY: Modern Library, 2007), 581. Poem first published 1951.
(8) A voir également : De la culture du remix à une histoire digitale.