Directeur de l’IREDU, Bruno Suchaut connaît admirablement le système éducatif français. Il analyse pour nous les récentes mesures ministérielles sur la maternelle, l’organisation du temps scolaire, l’aide.
La récente et forte mobilisation des enseignants du premier degré contre la politique éducative actuelle interroge sur les objectifs des réformes engagées par le Ministère de l’Education nationale mais aussi plus largement sur leur pertinence. En effet, le mécontentement des enseignants ne porte pas aujourd’hui uniquement sur des aspects budgétaires, mais également sur des dimensions qualitatives associées aux récentes mesures destinées à l’école primaire. En outre, on peut aussi lire à travers l’action revendicative, une réelle inquiétude et une interrogation des enseignants sur la logique de la politique actuelle. Il est alors légitime de se poser une question simple : sur quelle logique effective repose ces réformes ?
Il faut tout d’abord rappeler que l’objectif central de la politique éducative pour l’enseignement primaire est bien d’améliorer la qualité de l’école, via le niveau de compétences général des écoliers, mais surtout par la réduction de la proportion d’élèves en difficulté. C’est donc en référence à cet objectif que doivent se lire les réformes actuelles qui s’enchaînent à un rythme rapide. Toute politique sectorielle, éducative ou autre, est confrontée à des arbitrages classiques ente la maîtrise des coûts et l’amélioration de la qualité des services offerts. Du point de vue économique, il est déjà évident que les réformes actuelles liées à la fonction publique en général touchent fortement l’enseignement public. L’accent est mis nettement sur une gestion rigoureuse des ressources financières, ce qui se traduit dans les faits, par des diminutions de postes et par une optimisation globale des moyens humains, notamment en ce qui concerne les emplois d’enseignants. Une logique économique, que certains qualifient de « comptable » est donc clairement visible dans l’action politique actuelle et il s’agit de savoir si les objectifs d’amélioration de la qualité sont également visés. Il est alors utile d’examiner certaines des mesures récentes sous cet angle d’analyse.
La première mesure concerne la nouvelle organisation du temps scolaire. Si, dans notre pays, le nombre d’heures d’enseignement apparaît trop important (un grand nombre de pays ont un nombre d’heures plus réduit pour les cycles primaire et secondaire), sa diminution ne peut en elle-même avoir un effet mécanique sur la qualité. Les nombreux travaux sur la question ont montré qu’au-delà du volume annuel, c’est davantage la répartition du temps qui n’est pas adaptée aux élèves français. Des journées nettement plus courtes, des congés scolaires mieux répartis sur l’année viseraient à une organisation beaucoup plus efficace au niveau pédagogique. Le choix actuel, qui repose sur la suppression du samedi matin, a au contraire pour effet d’allonger les journées de classe pour la plupart des élèves, ce qui est inadapté aux apprentissages. Bien sûr le cadrage ministériel n’a pas imposé cette organisation hebdomadaire sur quatre jours, mais la rapidité de mise en œuvre de cette mesure a pris de cours les collectivités locales et les équipes pédagogiques pour mettre en place une autre organisation, plus en phase avec les besoins des élèves.
Parallèlement à cette organisation du temps, l’instauration de l’aide personnalisée aux élèves en difficulté à été laissée à l’initiative des écoles. L’idée de confier cette aide spécifique aux enseignants ne repose sur aucune base scientifique ; au contraire, l’externalisation de l’aide avec de petits groupes d’élèves homogènes de niveau faible, peut produire des effets allant à l’encontre de ceux escomptés en accentuant les écarts (de nombreux résultats de recherches vont dans ce sens). Il faut d’ailleurs mettre en perspective cela avec le constat précédent sur le temps scolaire, car d’autres dispositifs sont également proposés aux mêmes élèves (aide aux devoirs, accompagnement à la scolarité …), venant encore allonger la journée de travail des écoliers sans qu’aucune articulation entre ces différentes actions soit réellement réalisée. On voit bien enfin que cette prise en charge de la difficulté scolaire par les enseignants sur un temps spécifique sert aussi, aux yeux du Ministère, de justification à la suppression progressive des postes des maîtres exerçant dans les RASED.
Sans aucun argument scientifiquement valide, c’est l’accueil des jeunes enfants dans les écoles maternelles qui fait aussi l’objet d’une réflexion au plus haut niveau. Selon certains discours et écrits, l’école maternelle ne serait pas adaptée aux jeunes enfants et des structures nouvelles «les jardins d’accueil » pourraient être mises en place dans un avenir proche. C’est aussi passer sur les résultats de plusieurs recherches qui montrent les effets positifs de la fréquentation de l’école maternelle en termes d’efficacité et d’équité. Sur cette dimension également, on voit que la logique économique domine par un désengagement de l’Etat dans la prise en charge de la petite enfance dans un cadre éducatif et scolaire.
Les modalités de recrutement et de formation des enseignants font également l’objet d’une réforme avec un concours qui concernera les étudiants de deuxième année de Master. On sait aussi, selon de nombreuses études, que la formation académique (du moins au-delà d’un certain seuil) n’a en elle-même aucun effet sur l’efficacité pédagogique ultérieure de l’enseignant. En revanche, on peut s’interroger sur le profil de ces futurs enseignants qui augmentera sans doute la distance sociale avec certaines populations d’élèves. Par ailleurs, la formation professionnelle actuelle des enseignants est plus que menacée sans que les modalités concrètes d’une proposition alternative soient clairement précisées et détaillées. Sur ce point aussi, nombre de travaux ont mis en évidence la complexité du métier (son analyse fait l’objet de nombreux travaux en France et à l’étranger) qui requiert des compétences multiples mobilisées dans des situations fluctuantes. Il est évident que les compétences professionnelles des enseignants ne s’acquièrent pas de manière automatique et spontanée et qu’une véritable réflexion sur une formation porteuse d’efficacité (et de son évaluation), est préférable à sa pure suppression.
Il serait possible de compléter les illustrations du courant de réformes en cours par d’autres exemples (le statut des écoles primaires avec le projet des EPEP notamment), mais ceux énoncés suffisent à déjà à mettre en doute l’impact attendu de ces réformes sur la qualité de l’école, alors que les effets au niveau budgétaire sont aisément envisageables. Plus largement, on peut avoir le sentiment que l’objectif réel du Ministère est une transformation en profondeur du fonctionnement et des missions de l’école publique. Si l’histoire récente nous rappelle qu’il y a bien une nécessité à faire évoluer notre système éducatif pour que les transformations qualitatives puissent bénéficier d’un accompagnement et d’un pilotage efficace au niveau pédagogique, on ne voit pas bien non plus comment les réformes actuelles vont y parvenir.
On pourrait même avoir le sentiment, à travers certaines mesures, que la confusion et l’ambiguïté sont entretenues pour masquer les finalités globales de la politique actuelle et la rendre peu visible par les acteurs. A titre d’illustration, que peut-on dire des modalités de diffusion des résultats des futures évaluations nationales (au CE1 et au CM2) pour lesquelles, d’une part, il est annoncé que les résultats des écoles ne seront pas publics et qu’ils resteront internes à l’Éducation nationale, et, d’autre part, que les parents auront accès aux résultats de leur enfant et de l’école de leur enfant par la communication orale et papier que leur en fera le maître ou le directeur. On voit aisément quelles interprétations erronées pourront être déduites de ces informations et à quels comportement elles donneront lieu, ces comportements étant renforcés par la suppression progressive de la carte scolaire.
La logique des réformes actuelles ne repose donc pas non plus sur une recherche de l’équité scolaire (réduction des écarts d’acquisitions entre les élèves) et sociale (accès à l’école maternelle pour les plus défavorisés, ségrégation scolaire limitée).
Bruno Suchaut
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