Par François Jarraud
Chargée de rendre en avril un rapport sur l’intégration des Tice dans le système éducatif, la mission E-educ a été confiée au Syntec, un organisme patronal qui fédère les sociétés de service informatique, les constructeurs et les grands éditeurs. Le patronat peut-il réussir là où l’éducation nationale a échoué ?
« L’École doit donner à tous les élèves les instruments intellectuels et sociaux de la maîtrise des usages de ces outils, incluant un rapport critique nécessaire vis-à-vis de la multiplicité des informations qu’ils véhiculent. Elle doit devenir le lieu d’appropriation des usages des TIC comme instruments d’information, de communication et d’accès à la connaissance dans le cadre de tous les enseignements, en prenant appui sur les nouveaux modes de gestion des relations entre les acteurs de l’École et sur son ouverture vers le monde professionnel ». Xavier Darcos a installé le 23 janvier la mission E-educ.
Celle-ci est chargée de rendre en avril un « rapport martyr » , c’est-à-dire un texte destiné à être débattu, sur l’intégration des tice dans l’Ecole française. La mission aura à charge 4 problématiques : la définition et le développement d’une offre logicielle adaptée; la mise en oeuvre de partenariats-publics-privés (P.P.P.) dans le cadre du déploiement généralisé d’environnements numériques de travail (E.N.T.) dans le premier comme dans le second degré; l’accompagnement du changement; la promotion des carrières et des études du domaine informatique, en particulier auprès des filles.
Cette mission a deux particularités. Elle est composée quasi exclusivement de membres du Syntec informatique, c’est-à-dire de représentants des grandes entreprises du secteur. Ce sont ces industriels, encadrés par l’inspecteur général Alain Séré, qui doivent résoudre les difficultés d’intégration des tice. Ils doivent de surcroît apporter des réponses réalistes et rapides (d’ici fin avril). Mission impossible ? D’une part le Syntec pourra s’inspirer du rapport qu’il vient de co-signer avec le Medef (voir L’Expresso du 21). D’autre part la mission sollicite les avis des enseignants et des familles sur l’utilisation des tice sur un forum spécial ouvert par le gouvernement.
La mission E-educ
http://www.education.gouv.fr/cid20835/installation-de-la-mission-e-educ-par-xavier-darcos.html
Le forum
http://forum.gouv.fr/article.php3?id_article=291
Surle Café, L’Expresso du 21
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/01/21012008Accueil.aspx
Avant E-educ :le rapport du Medef avec déjà le Syntec
Pour faire de la France un leader dans le domaine du numérique,il faut améliorer (entre autres) la formation. Le Medef et le Syntec (qui réunit les entreprises du secteur informatique) ont rendu public un rapport où l’Ecole n’est pas oubliée.
Le Medef souhaite à la fois « renforcer la formation dans les Tic et développer la formation par les Tic ». L’équilibre n’est pas toujours évident. Ainsi le rapport estime que « apprendre à utiliser les TIC doit devenir une compétence transversale de tout jeune ayant fréquenté le système éducatif en France » et pour cela il faut renforcer le B2i : « A l’instar du brevet d’initiation à l’internet (B2i) collège qui sera exigé pour la délivrance du diplôme national du brevet à partir de l’année 2008, le B2i lycée devra être généralisé et indispensable à l’obtention des différents baccalauréats ». Et pour cela la formation des enseignants devra être améliorée.
Parallèlement le Medef estime qu’il « convient désormais d’innerver toutes les disciplines avec les TICE, dont il est démontré que l’application peut concerner aussi bien les arts plastiques et le développement de l’infographie, les disciplines littéraires avec des ateliers d’écriture collaboratifs, des processus pédagogiques ludiques ou des exercices d’entraînement. La recherche dans ces domaines mérite d’être largement encouragée ».
Le raisonnement suivant est d’autant plus curieux qui introduit une dimension purement bureaucratique. « Pour susciter et repérer des vocations d’ingénieurs informaticiens, il est souhaitable d’intégrer dans les programmes de technologie ou de mathématiques une première approche de programmation simple soit au collège, soit dans les filières scientifiques et techniques. Cela implique de créer un CAPET et d’une agrégation TIC qui n’existent pas actuellement ». Le Medef reprend là une demande ancienne des lobbys attachés à un enseignement de l’informatique pure. Cet enseignement a existé dans le passé. Le risque c’est évidemment qu’on réserve les tic à une catégorie de professeurs et qu’elles disparaissent ailleurs. On peut douter qu’on arrive à concilier « la compétence transversale » et la création de profs d’informatique.
Le rapport invite pourtant à « favoriser le travail collaboratif et le dialogue inter-classes et inter établissements, sur le territoire national comme au sein de l’Europe : la maîtrise du travail collaboratif, compétence de plus en plus recherchée par les entreprises, est considérablement facilité par les TIC. Le développement du travail par les TIC pourrait notamment permettre de décloisonner les classes et les enseignements… Généraliser certaines innovations pédagogiques, au premier rang desquelles le cartable numérique ». On rejoint là un autre souci ministériel.
Quel poids peut avoir ce rapport ? Il est publié alors que l’agenda ministériel annonce mercredi 23 le lancement d’une « mission sur les nouvelles technologies de l’information dans l’éducation nationale confiée à Jean Mounet, président du Syntec ».
Le rapport du Medef (pdf)
http://www.syntec-informatique.fr/import/20080117_VF_Rapport_Croissance_TIC.pdf
TICE : La double fracture française
« Près des trois quarts des élèves de 12 – 17 ans utilisent Internet à l’école (74% exactement, + 4 points en un an), mais l’usage au quotidien y reste très marginal. 34% des élèves en font une utilisation hebdomadaire (- 2 points) et 38% en ont un usage exceptionnel (+ 8 points) ». L’enquête réalisée par le Crédoc pour le Conseil général des technologies de l’information, confirme la minceur des usages des tic dans le système éducatif français. Il nous apprend même que ces usages régressent, ce qui est sans doute unique en Europe.
C’est cette évolution qui symbolise la double fracture. « Seuls 17% des élèves et 40% des étudiants ne disposent pas d’accès à Internet sur leur lieu d’études, alors que 56% des actifs ne sont pas équipés » souligne le Crédoc. « L’utilisation quotidienne semble, pour le moment, réservée aux actifs alors que pour les élèves et les étudiants, l’utilisation au sein des établissements scolaires demeure ponctuelle ».
On a là bien entendu une situation paradoxale qui n’est pas pour autant ignorée mais qui interroge le système éducatif sur ses résistances..
L’étude (pdf)
http://www.art-telecom.fr/uploads/tx_gspublication/etude-credoc-2007.pdf
Un retard rattrapable ?
Censée remettre un rapport dans 3 mois, la mission E-educ que vient de lancer Xavier Darcos est sous l’injonction de trouver une réponse rapide à un vieux problème : la difficulté à intégrer les tice dans la classe. L’obligation ne fait d’ailleurs pas peur aux industriels du Syntec, habitués à des réussites professionnelles rapides. Cette aspiration est-elle réaliste ?
Il faut d’abord rappeler que la France a un sérieux retard en matière d’usages des tice. Ainsi l’enquête Pisa 2000 classait le pays au dernier rang pour les usages en classe, alors que le niveau d’équipement était supérieur à la moyenne européenne. Plus récemment, une étude du Credoc montre que les usages en classe restent faibles et diminuent. C’est finalement au primaire, là où l’équipement est le moins bon que les usages en classe sont les plus nombreux.
C’est dire que la tentation de chercher le « bon logiciel » ou « le bon matériel » capables de changer les pratiques de classe risque de se fracasser sur une réalité plus complexe.
L’exemple du primaire montre que l’économie de l’Ecole entre en jeu pour faciliter l’intégration des tice. C’est peut-être parce que l’enseignant y est seul et unique que les tice pénètrent mieux. Intégrer les tice c’est bousculer une machine éducative qui sait trouver au mieux un équilibre entre un programme, un horaire et un lieu. C’est peut-être aussi altérer le rapport à l’enseignant.
Finalement la réussite de la mission pourrait dépendre de sa capacité à changer l’Ecole. Un chantier qui dépasse sans doute la durée envisagée.
A quoi sert le forum Tice du ministère ?
Ouvert depuis 24 heures, le forum mis en place par le ministère pour accompagner la mission E-educ (voir L’Expresso du 24 janvier) propose des thèmes de discussion : « En quoi l’usage des ordinateurs, d’Internet et des outils multimédias dans l’enseignement peut-il faire évoluer la pédagogie et l’organisation de la classe ? Pensez-vous que les technologies de la communication et de l’information sont utilisables dans toutes les matières ? A votre avis, leur apprentissage doit-il être intégré à chaque matière enseignée ou faire l’objet d’un enseignement spécifique ? Pourquoi ? Que pensez-vous de l’idée, pour les enseignants, de mettre leurs cours en ligne pour qu’ils puissent être utilisés par d’autres enseignants ou par d’autres élèves ? » etc.
Evidemment, les réponses sont tout autres. C’est dans la nature d’un forum que d’attirer les militants les plus doctrinaires et on sait que l’informatique est propice aux guerres de religion… C’est le lieu idéal pour ressasser les échecs passés (l’option informatique, IPT, le nanoréseau etc.). Puisque c’est un site officiel, c’est aussi l’endroit pour se plaindre du manque de moyens même si, en ce domaine, ils dépendent souvent d’autres structures que le ministère.
N’empêche, pour peu que le forum reste un lieu ouvert d’expression, bien d’autres questions vont forcément y trouver place. Trichons un peu et soufflons en quelques unes. Il y a d’abord le « comment font-ils ? » Comment expliquer que les Tice pénètrent massivement en classe en Grande-Bretagne quand elles ont tant de mal à trouver preneur en France ? Quels leviers ont-ils fait agir ? Comment s’appuyer sur le savoir faire et les modes de pensée des digital natives que sont nos élèves ? Quelle forme pourrait prendre la classe informatisée du 21ème siècle ? Si vous pensez, comme le Café, que les Tice sont un excellent levier pour changer l’Ecole, invitez vous sur ce forum !
Le forum
http://forum.gouv.fr/article.php3?id_article=291