Par Rémi Boyer
Pour illustrer ce mois-ci les témoignages très riches de Jean-Luc Codaccioni et de Nicole Marquis, l’association AIDOPROFS tient à s’exprimer sur l’un des axes prioritaires de son action, afin, justement, de changer cet état d’esprit : changer de métier, c’est suivre son instinct, ses envies, son désir d’une nouvelle aventure personnelle et professionnelle, et ce que l’on attend des autres, c’est d’y être aidé, accompagné, soutenu, pas d’être culpabilisé… Vouloir quitter l’enseignement, ce n’est pas « faire acte de traîtrise », mais avoir envie de suivre un autre chemin…et après la vie de professeur, non, il n’y a pas que le métier d’inspecteur ou de chef d’établissement, même si ce sont les voies professionnelles privilégiées qui leur sont conseillées, et qui permettront au professeur de conserver sa sécurité de l’emploi, sa progression indiciaire, et d’accéder à d’autres responsabilités administratives qui l’éloigneront lui aussi, comme il le souhaite, de l’enseignement « pur et dur ».
Le 21 février, Anne Barrère a livré un témoignage intéressant sur le métier de chef d’établissement au rédacteur en chef du Café Pédagogique, François Jarraud. Si plus de 25% des chefs d’établissement dépriment…n’est-ce pas le reflet d’un engagement dans une voie professionnelle qu’on leur a désignée comme « seule issue » au métier d’enseignant ? Georges Fotinos, ancien Inspecteur Général de l’Education Nationale, a remis en mars 2008 une étude pour la Mutuelle Générale de l’Education Nationale sur le « moral » des directeurs d’établissements scolaires. Sur 1900 interrogés, 18% n’éprouvent aucun intérêt pour leur travail et une grande solitude, et près de la moitié déclare que son moral se dégrade…Pour AIDOPROFS, cela signifie que peu à peu, un malaise s’installe à tous les niveaux au sein de l’Education nationale : enseignants, chefs d’établissements… Touche-t-il aussi les services administratifs chargés de gérer les professeurs ? N’est-il pas venu ce temps de gérer de manière personnalisée les parcours de carrière, sous forme de coaching individuel, en valorisant les compétences de la personne, en anticipant ses besoins, en étant à l’écoute de son projet et en l’encourageant quel qu’il soit, afin qu’elle puisse ainsi maintenir le cap de sa motivation intrinsèque (et par conséquent celle de ses élèves) plutôt que de conserver le même mode de fonctionnement depuis des décennies, qui maintient l’enseignant au contact d’élèves, que ce soit comme transmetteur de savoirs ou comme gestionnaire d’équipes et de projets ? N’est-il pas temps, de nouveau, de se poser la question de favoriser la pluralité des formations d’origine des chefs d’établissement, en ouvrant « encore plus grand » la porte à des professionnels du secteur privé, qui dirigeront leurs collèges et leurs lycées comme des entreprises, avec un nouveau regard, alors qu’actuellement, une partie n’ont choisi ce métier que parce qu’il leur permettait de « quitter la classe » (titre d’une thèse très intéressante de François Quinson), mais pas les élèves, avec des facteurs de stress supplémentaires : profs, parents, sécurité des locaux et des personnes, application des nombreuses réformes ?
Aussi, AIDOPROFS se pose cette question : « comment motiver des équipes pédagogiques lorsque l’on ne ressent pas en soi de motivation intrinsèque pour son métier ? » La question de la motivation est similaire pour le professeur qui ne croit plus en sa mission : « pourquoi persister dans un métier que l’on ne supporte plus, au risque de démotiver ou de dégoûter ses élèves de sa discipline d’enseignement ? ». La démotivation des uns ne serait-elle pas indirectement liée aux problèmes de discipline rencontrés ? Y a-t-il eu des études universitaires sur la liaison entre problèmes de discipline et découragement de l’individu pour l’acte d’enseigner ? Qu’attend-on pour généraliser dans les IUFM des cours de coaching comme cela se pratique de manière trop minoritaire, comme si ça n’était que des « expériences pilotes », afin d’enseigner aux jeunes professeurs les techniques d’auto-motivation, bien utiles face à des classes agitées ? Les écrits sur la motivation ne manquent pas, les occasions de les étudier non plus, comme la pyramide des besoins de MASLOW, les motivations intrinsèque et extrinsèque de DECI et RYAN.
Le projet de loi sur la mobilité des fonctionnaires qu’Eric Woerth, Ministre du Budget, des Comptes Publics et de la Fonction Publique, vient de déposer, avec une possible application dès la fin juin 2008, nous paraît être la meilleure solution à cet état de fait, comme il le dit lui-même : « Ce texte n’est qu’une boîte à outils visant à développer la mobilité des fonctionnaires et à leur offrir la liberté de mener leur carrière en exprimant mieux leurs talents. Pas plus, pas moins ». Faire sauter « les verrous » de la mobilité professionnelle pour tous les fonctionnaires, Y COMPRIS les enseignants, souvent les oubliés – dans la pratique – des lois et décrets précédents, nous semble essentiel pour lever les blocages multiples qui entravent leurs carrières.
Ce mois-ci, AIDOPROFS engage un contact avec ce Ministre moderniste et innovant, afin de le rencontrer pour exposer nos constats et nos propositions en matière de développement des « secondes carrières » pour les professeurs, mis à l’écart pour l’instant de la « mobilité interministérielle » pourtant décrétée par les textes depuis de nombreuses années.
AIDOPROFS se bat aussi, au travers de ses interviews menées pour le Café Pédagogique, pour que l’enseignant puisse quitter son métier d’enseignant en cours d’année scolaire, moyennant par exemple un préavis d’un à deux mois –pourquoi pas corrélé aux différentes périodes de congés scolaires qui égrennent l’année-, afin de pouvoir accéder à un emploi en détachement, en mise à disposition d’une autre administration, ou de pouvoir prendre une disponibilité ou de résilier son contrat pour pouvoir occuper un emploi en CDD ou en CDI sur lequel il aurait eu l’opportunité d’être recruté pour ses compétences affirmées.
En effet, ce qui est réalisé actuellement pour les professeurs Titulaires d’une zone de remplacement (TZR) ou pour les remplacements de professeurs en congé de maladie ordinaire (CMO) de courte durée ne l’est pas pour ceux qui aspirent tout simplement à changer de voie, même temporairement. Ce « ballon d’oxygène » manque cruellement à notre profession et permettrait d’y établir une « mobilité choisie », sans que nous en soyons culpabilisés, du fait d’un tabou qui tarde à quitter les mentalités, en introduisant une véritable « flexibilité », vecteur de remotivation, puisque l’enseignant qui souhaiterait changer de métier pour se donner de nouveaux objectifs pourrait alors expérimenter d’autres pistes, et revenir, pourquoi pas, dans l’enseignement, à tout moment de l’année, pour ré-enseigner, sa « comparaison » une fois réalisée, s’il le souhaite.
Or, actuellement, le système qui perdure en France ne le permet pas. Il faut s’y prendre bien à l’avance (avant janvier de l’année en cours) pour demander une disponibilité pour la rentrée suivante, alors qu’il est relativement difficile de savoir exactement si le projet que l’on souhaite mener sera ou non réalisable à cette date, ni si l’on sera accepté dans la formation que l’on souhaite entreprendre, ce qui freine de très nombreux projets individuels… De plus, des collègues recrutés en détachement par un organisme se voient refuser cette mobilité car leur matière est « déficitaire ». Est-ce motivant de refuser à un individu la réalisation de ses objectifs ? Cela contribue-t-il à donner une bonne image de notre profession auprès des jeunes tentés par ce métier ? Faut-il par avance accepter ce risque de décourager l’individu entreprenant ? Notre pays a-t-il vocation à devenir une nation d’entrepreneurs ou de perdurer dans ses rigidités administratives ? Le XXIe siècle peut-il, au niveau du fonctionnement de nos administrations, avoir un goût de « front pionnier », pour inventer « un autre système », puisque l’actuel ne donne pas assez de satisfactions à l’individu ? Ce qui est possible actuellement au niveau d’un TZR pour l’administration ne l’est pas pour tous les enseignants. Il est plus facile « d’entrer », mais pas de « sortir ». Comme s’il existait de la part du « mammouth » une peur intérieure que notre métier n’attire plus, alors que c’est l’un des plus attirants de part la diversité des tâches que l’on peut y réaliser durant une vie et des publics auxquels on peut s’adresser. Un actif sur 24 est enseignant…et un français sur cinq est concerné par notre système éducatif : n’est-ce pas deux bonnes raisons d’agir, pour que chaque élève devienne un adulte motivé par des acteurs qui n’auront plus d’excuse – « que faire d’autre et comment s’y prendre ? » – pour ne pas l’être eux-mêmes ?
Aussi nous émettons le vœu, aujourd’hui et dans les années à venir, puisque AIDOPROFS continuera de tracer son sillon, que ce projet de loi sur la mobilité voit le jour et permette de modifier la conception du métier de professeur : ce métier n’a pas vocation à être figé, puisque, pour enseigner à ses élèves qu’il leur faudra « être mobile s’ils veulent trouver du travail », le mieux est que chaque professeur, s’il en éprouve un jour le besoin, puisse aussi s’appliquer ce conseil à lui-même. Non, « Flexiprof » ne nous semble pas une mauvaise idée, dès lors que la possibilité de revenir enseigner, même en ayant perdu son poste fixe comme cela est la règle pour la disponibilité ou le détachement, est assurée par une organisation administrative adaptée et optimisée à cette modernisation de la « gestion des richesses humaines » et du potentiel de chacun dont peut se doter notre pays, ne serait-ce que pour anticiper un peu mieux le papy-boom, qui a « démarré » en 2006 et va nous concerner au moins jusqu’en 2030, en renouvelant près de la moitié des actifs dans de nombreuses professions.
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