Interview de Stéphane Fouénard
Webmestre du site Multamedia et du site langues anciennes de l’académie de Caen, formateur et chargé de mission langues anciennes.
Le mois dernier, nous interrogions Marjorie Lévêque, professeur de lettres classiques lilloise très active sur Internet. Nous terminerons cette année 2009 en compagnie de Stéphane Fouénard, collègue non moins prolixe sur la toile, comme le prouve son actualité : une refonte récente de son magnifique site personnel Multamedi@ qui propose des ressources pour le français le latin et le grec, et la création et l’administration du nouveau site langues anciennes de l’académie de Caen.
CP – Bonjour Stéphane. Nous vous remercions d’avoir bien voulu répondre aux questions du Café Pédagogique langues anciennes. Pour commencer, pourriez-vous faire votre portrait en quelques phrases ?
SF – Je m’appelle Stéphane Fouénard, j’ai 35 ans et 2 enfants. J’enseigne en collège depuis 1998. Après deux années « d’exil » dans le Pas-de-Calais, je suis revenu en Normandie, ma région d’origine, où j’enseigne au collège Jacques Prévert de St Pierre sur Dives en français, latin, grec et découverte professionnelle. J’y suis, de plus, administrateur du réseau et du site du collège.
J’assure en outre des fonctions de formateur et de conseiller pédagogique, et suis, depuis cette année, chargé de mission Langues anciennes pour l’académie de Caen.
CP – D’où vous est venue l’idée de créer votre propre site web ? / Quels étaient vos objectifs au début de la création du site ?
SF – La « mouture initiale » du site Mult@media avait pour vocation de proposer un espace collaboratif de travail et d’échange en langues anciennes. J’avais très souvent constaté, en formation notamment, l’isolement d’un grand nombre d’enseignants de langues anciennes dans leur établissement et souhaitais proposer un espace de travail sur la toile afin d’amener de l’eau au moulin du travail en « équipe disciplinaire ».
CP – La création d’un site Web tel que le vôtre nécessite-t-elle beaucoup de compétences informatiques ?
SF – Après diverses versions, d’abord en HTML, le site est finalement passé en PHP à travers l’utilisation de SPIP, système libre de publication sur Internet dont la prise en main est aisée, et la stabilité et l’ergonomie particulièrement impressionnantes.
CP – Avez-vous bénéficié de formations informatiques particulières ou vous êtes-vous formé sur le tas ?
SF – J’ai commencé à « toucher » aux TICE sur le tas et me suis ensuite inscrit à différentes formations afin de consolider mes compétences. J’ai, en outre, passé en parallèle de mon travail, un DESS et un DEA en sciences de l’éducation option multimédia en m’intéressant notamment aux nouvelles technologies en éducation et en formation, et tout particulièrement les plateformes collaboratives de formation à distance.
Aujourd’hui, j’assure à mon tour ces formations dans mon académie.
CP – Les séquences que vous proposez sur votre site pour chaque niveau de latin sont vraiment originales. Pouvez-vous nous expliquer les principes de base qui président à leur création ?
SF – Je ne sais pas si ces séquences sont plus originales que ce qu’on peut déjà trouver ailleurs mais vous remercie de ce que je considèrerai comme un compliment.
Pour ce qui est des « principes de base » qui président à leur création, difficile de répondre autrement qu’en vous énumérant les paramètres qui me semblent fondamentaux et que j’estime indispensable de croiser dans la conception des scenarii pédagogiques.
Tout d’abord, intéresser et motiver les élèves en rendant le cours aussi vivant que possible (nous commençons par exemple l’année de 5ème de manière essentiellement orale de façon à amener ensuite les élèves, sur les 3 années de collège, à s’exprimer et à lire des consignes en latin : Salve ! Quod nomen tibi est ? Ut vales ? Ubi tabulae repertae sunt ? Scribite in litteris romanis…)
Je n’utilise aucun manuel avec mes élèves, ce qui ne signifie pas que je ne trouve pas les manuels intéressants, mais simplement que je préfère m’en inspirer et y puiser tantôt dans tel manuel, tantôt dans tel autre, ce qui me paraît intéressant et exploitable.
Ensuite, j’accorde une très grande attention aux supports pédagogiques (cours, diaporamas…) dont la présentation soignée et attractive (polices variées, images,…) me semble fondamentale pour faciliter tant la compréhension que la motivation des élèves.
Enfin, les choix thématiques effectués le sont toujours en accord avec les programmes et avec les aspirations des élèves, en essayant, autant que possible, de toujours lier le travail effectué en langues anciennes avec la réalité des élèves.
Le point de départ d’une séquence est toujours une « lecture » qu’elle soit de texte ou de document iconographique ou sonore. Souvent présentée comme une enquête, cette lecture sert de point de départ à des activités variées, l’étude de la langue devenant ainsi un véritable outil nécessaire à l’élucidation. Loin de moi l’idée de faire de la grammaire une fin en soit, elle doit rester un outil permettant d’accéder au sens, et dans cette perspective, l’enseigner me semble plus aisé.
Pour le reste, les idées dépendent aussi fortement de l’actualité, de mon humeur du moment, des projets interdisciplinaires, des sorties ; l’objectif étant que les élèves sachent toujours où nous en sommes et surtout pourquoi !
CP – Nous avons remarqué que vous utilisiez beaucoup l’image et en particulier la BD dans vos cours. Quel intérêt présente-t-elle selon vous pour les élèves ?
SF – Je suis moi-même grand fan de BD et ce « genre littéraire » me semble particulièrement riche pour aborder différents thèmes. D’Astérix à Murena, en passant par Alcibiade Didascaux ou les Aigles de Rome, nombreux sont les ouvrages qui vont permettre « d’accrocher » les élèves et d’illustrer un point d’histoire ou de civilisation.
Je crois qu’il est bien plus motivant d’essayer de comprendre comment Dufaux et Delaby ont lu et interprété Tacite et Suétone, éclairés par Grimal, que d’attaquer le texte classique de but en blanc dans une présentation fruste et parfois décourageante.
Le jeu vidéo peut aussi parfois être un excellent support de travail. J’ai dernièrement travaillé avec mes élèves de 4ème latinistes sur César. Plutôt que de traduire le récit d’Alésia de manière classique, nous avons traduit les consignes stratégiques de César que nous avons ensuite nous-mêmes appliquées à nos troupes dans le jeu de stratégie Rome Total War en vidéo-projection. Il est en effet possible, dans ce jeu, de « refaire » des batailles historiques. En suivant les plans de César, les élèves voyaient les troupes se déplacer en 3D. Le texte était mieux compris, la traduction avait un objectif et l’activité nous amenait à réfléchir ensuite sur les différentes composantes de la légion romaine.
En 3ème, nous travaillons actuellement la poésie catullienne en slamant, de manière à aborder les problèmes de scansion et de rythme du vers de façon concrète.
Je pourrais multiplier les exemples. Je crois qu’en réalité, il est fondamental que notre discipline soit enseignée avec plaisir, tant pour nous que pour nos élèves. Mais attention, je ne confonds pas plaisir et démagogie ! Mes choix sont toujours guidés par des objectifs pédagogiques et des compétences à acquérir, pas par un souci absolu de faire « ludique ». D’ailleurs, je pense que les élèves ne sont pas dupes et qu’il ne faut pas penser que simplement parce qu’on sortira de l’ordinaire en travaillant tel ou tel type d’activité, ils seront entièrement acquis à notre cause !
Maintenant, il m’arrive aussi de me casser le nez… et de réorienter différemment un scénario pédagogique parce que « la mayonnaise ne prend pas ». Ca fait partie du jeu !
CP – Quel regard portez-vous sur les nombreuses limitations légales portant sur l’utilisation de l’image, fixe ou mobile, dans le cadre pédagogique ?
SF – Que vous répondre là-dessus si ce n’est que j’ai le sentiment que les choses se sont quelque peu améliorées même si cela reste parfois compliqué…
CP- Quels sont vos sites web ou blog langues anciennes préférés ? (top 5)
SF – Mon top V des sites de langues anciennes se composeraient de :
1. Hélios sur
2. Latine Loquere sur
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/diois/Latin/
3. Le travail d’Yves Ouvrard et notamment les Crustula proposés sur
http://ww3.ac-poitiers.fr/lettres/lang_anc/index.htm
4. Gratum Studium sur
5. Musagora sur
http://www.musagora.education.fr/
6. Et le site des langues anciennes de l’académie de Caen sur
http://lettres-classiques.discip.ac-caen.fr/
(un tout jeune SPIP que je développe depuis quelques semaines et qui a de grandes ambitions !)
CP – Quel est, selon vous, l’apport des TIC à l’apprentissage des langues anciennes ?
SF – Vaste question ! qui pourrait faire l’objet d’un vrai travail de recherche.
Selon moi, et pour faire vite, les TIC ont une double utilité. Elles sont à la fois outil et ressources, pour nous comme pour nos élèves d’ailleurs.
Les logiciels libres sont pléthores et permettent aujourd’hui de réaliser des activités intéressantes. Du diaporama à la page web, tout en passant par les exerciseurs (Hot Potatoes, Webquestions, Mots Entrecroisés…), elles offrent la possibilité de multiplier les supports et de varier, de fait, les approches et les modes d’apprentissage.
Quant aux ressources, les TIC offrent une bibliothèque de documents inépuisable (textes, images, cartes…) et accessible à presque tous.
J’ai, par exemple, déposé sur le site académique des langues anciennes de Caen un document permettant d’accéder à l’intégralité des textes préconisés par les nouveaux programmes de latin en 5ème sur le Net.
Alors je suis d’accord pour dire que rien ne remplacera un livre et l’odeur du vieux papier, le bruit des pages… – c’est un argument que l’on m’oppose assez souvent – , mais accéder de chez soi en quelques secondes à tous ces textes était impossible il y encore quelques années. Le meilleur moyen, à mon sens, de préserver la culture classique n’est pas de l’opposer aux technologies, mais bien de montrer comment elles se nourrissent.
Je ne sais pas d’où vient cette idée que, sous prétexte qu’on est un enseignant de langues anciennes, il faudrait, de fait, toujours garder un œil sceptique sur les innovations technologiques. Bien au contraire ! Rendons le latin vivant en innovant aussi dans nos façons de faire !
CP – La création de ce site Internet dédié aux langues anciennes a-t-elle changé quelque chose dans vos rapports avec vos élèves / vos collègues ?
SF – Je ne crois pas que le site ait modifié quoi que ce soit dans mes rapports aux élèves. Ils savent juste qu’en latin et en grec, on utilise les TIC régulièrement et que l’intégralité de ce que nous faisons en classe leur est accessible en ligne, à l’instar de notre cahier de texte numérique.
Je reçois aussi de temps en temps quelques mails de remerciement qui m’encouragent dans ma démarche de mise en ligne et de partage.
CP – Quels logiciels ou outils utilisez-vous pour la création de votre site web ?
SF – Après avoir utilisé Frontpage, puis Iweb (sur Mac), je suis passé à SPIP. C’est du Web 2.0 et cela ne demande donc pas de logiciels particuliers pour publier sur le site.
Après, certains logiciels libres me paraissent indispensables dans la préparation : Photofiltre pour les images, les exerciseurs que j’ai cités plus haut pour les exercices auto-correctifs, PDF Creator pour le passage des fichiers doc en pdf (ce format permet une photocopie numérique du document qui préserve donc sa mise en forme quelle que soit la machine sur laquelle il sera lu), Audacity pour le son… la liste est longue !
CP – Disposez-vous d’une aide pour la mise en ligne de vos créations ou êtes-vous seul à travailler sur le site ?
SF – Je travaille seul sur la mise en ligne de mes activités. Il s’agit d’un site personnel.
CP – Quelles difficultés rencontrez-vous pour la mise en ligne de vos documents ?
SF – Eh bien aucun depuis que je suis passé à SPIP. Pour les polices grecques, le fait d’enregistrer les documents en pdf comme je le disais précédemment, permet de conserver la mise en forme et les polices.
CP- Utilisez-vous également l’informatique en cours de langues anciennes et si oui, pour quels types de travaux ?
SF – J’utilise TRES régulièrement les TIC en langues anciennes, que ce soit pour la lecture, la civilisation ou l’étude de la langue.
Les corrections de devoir sont quasiment tout le temps vidéo-projetées, les exercices de traduction guidés par des diaporamas, les lectures illustrées, les points de langue et les exercices d’acquisition présentés sous forme numérique…
CP – Le cours de langues anciennes est-il pour vous l’occasion de valider les compétences du B2i de vos élèves ? Si oui, pouvez-vous nous donner des exemples d’activités menées avec les élèves pour cette validation de compétences ?
SF – Bien entendu, les cours de langues anciennes permettent de valider des compétences B2i.
La réalisation, par exemple, avec les hellénistes de 3ème d’une « Une numérique » d’un journal antique sur tel ou tel personnage historique a permis de valider des compétences en lien avec l’utilisation du traitement de texte ou encore de la recherche Internet.
Il ne suffit pas de cocher telle ou telle case, mais d’en discuter avec l’élève concerné : « Cette source te semble-t-elle valable ? », « Comment imprimer ce doc au CDI plutôt qu’en salle informatique ? »… et quand ils ne le savent pas, leur expliquer… et reposer la question la fois suivante.
CP – Quels prolongements ou remaniements envisagez-vous d’apporter à votre site ?
SF – Je manque malheureusement de temps (il faudrait des journées de 48 h !) pour faire tout ce que je souhaiterais, mais la prochaine étape va être une refonte graphique du site afin d’en améliorer l’ergonomie et le rendre plus attrayant.
Ensuite, je travaille avec quelques collègues de l’académie qui sont « d’anciens » stagiaires à la réalisation d’un manuel numérique pour les nouveaux programmes. Si tout va bien, les niveaux 5ème et 2nde seront accessibles d’ici juin 2010.
CP – Comment voyez-vous l’avenir des langues anciennes dans les prochaines années et compte tenu de la réforme des lycées à venir ?
SF – Radieux…
Non, sérieusement, je ne me pose pas véritablement la question. Je ne sous-entends pas par là que je n’ai pas de conscience politique, bien au contraire, mais simplement qu’il vaut mieux essayer de travailler à la valorisation de notre discipline autant que faire se peut, se battre, argumenter, défendre, plutôt que de sombrer dans une sorte de lassitude blasée.
Les langues anciennes deviendront ce que nous en faisons ! Cela fait des années que l’on prédit la mort et la disparition des langues anciennes, et, pour ma part, je ne les ai jamais senties aussi vivantes ! Dans mon établissement, petit collège de campagne de 300 élèves dont une grande partie sont issues de CSP défavorisées, je compte une trentaine de latinistes par niveau et une section de grec ancien en 3ème a ouvert il y a maintenant 2 ans.
Et comme ils diraient : « Faut pas lâcher l’affaire ! ».
CP – Quels sont vos auteurs latins et/ou grecs préférés ? Pour quelles raisons ?
SF – J’aime Catulle pour sa verve teintée de mauvaise foi et de lyrisme, César pour sa clarté et son impressionnante confiance en lui, Suétone pour sa vision très personnelle de l’histoire, et Sophocle pour la beauté de ses textes. Difficile aussi de ne pas citer Ovide ou encore Homère, même si sa langue m’a toujours paru très difficile d’accès !
CP – Avant de nous quitter, pourriez-vous conseiller à nos lecteurs un livre, un cd et un film que vous appréciez particulièrement ?
SF – Là, je ne sais pas si vous souhaitez que je conseille des œuvres utiles à l’enseignant ou des œuvres que j’apprécie personnellement. Je vais donc faire d’une question deux réponses !
Avec les élèves, je conseille vivement la BD Murena dont le 7ème tome est sorti en novembre et sur lequel un HS L’Histoire s’est appuyé ce mois-ci pour aborder l’époque néronnienne. L’ouvrage de G. Chaillet, Dans la Rome des Césars, éd. Glénat me paraît aussi indispensable dans la catégorie BD. Sur les murs de Pompéi, choix d’inscriptions latines, éd. Le Promeneur est un régal pour s’immerger dans les ruelles pompéiennes. Quant aux vidéos, les docu-fictions Gladiateurs et Le Dernier Jour de Pompéi de la BBC ainsi que la série Rome sont des DVD très riches !
D’un point de vue personnel, je me régale en ce moment de L’Affaire Jane Eyre de J. Fforde, éd. 10/18 et des tomes suivants, sorte de roman policier SF dans un monde où la littérature est quasiment une religion et qui permet de replonger dans grand nombre de classiques…où les personnages reprennent vie. A lire absolument !
Et, enfin, en ce qui concerne le cinéma, mon dernier vrai « choc » fut Into the wild de S. Penn.
CP – Merci beaucoup, Stéphane Fouénard, d’avoir répondu à toutes nos questions avec autant de précision et de conviction.
SF – Vale !
CP – Nous rappelons l’adresse de vos sites :
Multamedi@, le site personnel de Stéphane Fouénard, sur lequel il propose des documents et séquences complètes très aboutis qu’il utilise avec ses élèves en français, latin et grec :
Le nouveau site académique langues anciennes de Caen, administré par Stéphane Fouénard. Au menu : actualités, informations institutionnelles et ressources TICE pour l’enseignement des langues anciennes :