Par Julie Anne
On ne l’attendait plus, on l’avait annoncé mort et enterré. Il est revenu en 2008…Va-t-il passer la première décennie du XXIe siècle?
A la suite du dossier sur les bibliothèques numériques, nous nous proposons de faire un topo rapide – mais non exhaustif – sur le retour, voire l’implantation -peut-être durable- du livre électronique. Premier aspect abordé : la technique et les coûts. Puis en lançant quelques réflexions sur un avenir du livre et de la lecture plus flou, voire anxiogène pour tous les professionnels du livre, et a fortiori pour nous les « docs », qui avons en plus une mission privilégiée : quelles conséquences pour amener nos élèves à la lecture ?
Qu’est-ce qu’un e-book?
On confond souvent le support (livre électronique) et le contenu (livre numérique), car le e-book (ou encore livrel, lyber, libertel) à l’origine est à la fois un appareil électronique (de même taille qu’un ouvrage papier) entièrement dédié à la lecture de livres ou de fichiers textes, téléchargés à partir d’un ordinateur et de divers sites, et l’œuvre numérique (souvent oeuvre numérisée d’ailleurs) elle-même, stockée dans une bibliothèque virtuelle.
Mais depuis le buzz aux alentours de l’an 2000, les choses ont changé : le contenu (livre, journal, article ou autre) n’est plus lié à une forme matérielle et dans un format dédiés, mais a tendance à actuellement s’afficher partout. L’offre au départ plutôt clairsemée, s’est plus que largement étoffée (au point de devenir pléthorique). Les machines, au départ objets plutôt de luxe et au fonctions limitées, ont aussi évoluées. Et, même, alors qu’au début sa pratique semblait se suivre d’une mise en route de l’imprimante (ce qui renvoyait l’e-book à un simple intermédiaire avant la forme dernière du contenu, imprimée), les gens ont de plus en plus tendance aujourd’hui à ne plus avoir besoin de passer par cette dernière étape, et à tout lire (ou stocker) sur machine.
D’où peut-être paradoxalement un retour possible en force des premiers concepts de » machines » e-books (avec la tentative ratée entre autres du français Cytale), se présentant sous forme de page ou de pavé-écran, pour lire directement – sans plus de version papier alors. Et ce seraient les nouvelles générations, que nous acharnons à rattacher à l’objet-livre pour certains, qui les adopteraient -définitivement?-.
A ce sujet, on pourra relire avec profit un le dossier de la BNF publié en 2000. Un peu ancien, on y trouvera néanmoins un ensemble de réflexions intéressantes et des relations d’essais de collections de e-books dans les bibliothèques.
Dossier de la BNF
http://bbf.enssib.fr/sdx/BBF/frontoffice/2000/06/sommaire.xsp?#MenusurR[…]
Evolution de l’écrit (du rouleau au livre virtuel)
http://bbf.enssib.fr/sdx/BBF/frontoffice/2000/06/document.xsp?id=bbf-2000-[…]
La nécessaire (r)évolution des métiers traditionnels autour du livre : éditeur, libraire et bibliothécaire
http://bbf.enssib.fr/sdx/BBF/frontoffice/2000/06/document.xsp?id=bbf-20[…]
Educnet a également publié de copieux dossiers sur le sujet
* Livre électronique, livre numérique :
http://www.educnet.education.fr/dossier/livrelec
* manuel numérique :
http://www.educnet.education.fr/dossier/manuel/
La technologie
Les premiers appareils étaient assez volumineux et lourds, avec un écran rétro-éclairé, demandaient à être largement améliorés. En France, le premier essai du genre a été marqué par la firme Cytale, avec son Cybook (1998-2002). Ils se sont entre autres faits dépasser à l’époque par les PDA(1), polytâches.
Aujourd’hui, les e-books sous forme de » tablettes électroniques « , qui offrent plus de confort que de la lecture sur un écran de bureau, doivent compter aujourd’hui avec la dernière génération de miniportables et autres, offrant maniabilité, lisibilité et portabilité.
Grâce entre autres au papier électronique, les problèmes d’ergonomie ont en effet été améliorés : moins de fatigue oculaire (avec un système d’encre électronique désormais au point), dispositifs d’affichage repensés, capacités de stockage accrue, hypertextualité et recherche dans le texte, surcouche tactile pour certains appareils. Bientôt : l’affichage couleur, voire même un système d’écriture en braille?
Les essais des premiers journaux électroniques, en 2006 n’ont pour l’instant pas percés. La premier tentative est celle du quotidien économique flamand De Tijd, et pour la France celle des Echos, avec un e-book dédié, mais d’autres lecteurs compatibles, et une offre réactualisée en direct. Le journal électronique du futur sera sous forme de feuille de papier électronique, de la taille d’un journal, avec une mollette ou un bouton pour passer d’une page à l’autre.
papier électronique – ou encre électronique, e-paper..
http://fr.wikipedia.org/wiki/Papier_%C3%A9lectronique
» Le papier électronique sous presse « , article du site Ecrans.fr
http://www.ecrans.fr/Le-papier-electronique-sous-presse.html
L’offre e-paper des Echos
http://ftp-videos.lesechos.fr/videoepaper/video-epaper-lesechos-fr.html
Mais les différents formats et la gestion numérique des droits compliquent la donne et émulent la concurrence. L’idée pour les firmes est en effet de garder un marché captif, via des formats DRM(2) ou encore en passant exclusivement via les réseaux mobiles (et non plus Internet), pour pouvoir mettre son quotidien à jour sur sa machine (moyennant finances bien entendu). Ainsi, le Kindle, livre électronique travaillant en coopération avec Amazone, passe par un réseau de téléphonie mobile – connectivité permanente, d’où téléchargement en temps record, mais avec un format propriétaire de documents.
Au contraire, Sony, avec « Reader » a ouvert son produit à tous les formats depuis l’été 2008 – mais travaille tout de même en lien avec la FNAC (pour la distribution) et Hachette (pour l’édition). Du coup, Amazon serait très récemment en train de bouger les lignes sur le format propriétaire, en permettant à tout type d’appareil mobile de pouvoir lire les fichiers dédiés à son Kindle…
Paradoxalement, ce qui semble assez surprenant est que l’organisation des e-books reprend l’univers du livre ( de même que les ordinateurs ont repris l’ « architecture » d’un bureau) : pages, chapitres, bibliothèques, annotations, etc…
Le Kindle
http://www.01net.com/editorial/364876/kindle-le-livre-electronique-[…]
Le Cybook Gen3 de Booken (descendant du pionnier Cytale), disponible en France
http://www.bookeen.com/ebook/ebook-reading-device.aspx
Reader de Sony, disponible en France
http://www.sonystyle.com/webapp/wcs/stores/servlet/CategoryDisplay?c[…]
Compte-rendu d’expérimentation
http://www.actualitte.com/dossiers/244-Test-Reader-Sony-ebooks-le[…]
Législation et économie
Comme cela transparaissait notamment dans certains articles publiés au moment du premier essor du phénomène, c’était (déjà) la question du respect des droits d’auteur et du prix des ressources virtuelles qui posaient problème. Depuis, les livres, les encyclopédies et les périodiques ont eu largement le temps et la latitude de déployer leur interface web, en proposant de plus en plus d’ailleurs des contenus inédits, et plus seulement le double virtuel de leur surface papier. Certains même ne persistent que sur la Toile.
Actuellement, ce sont plutôt les œuvres tombées dans le domaine public que l’on retrouve en téléchargement gratuit sur la Toile (avec entre autres le mythique projet Gutenberg, avec ses différents formats de téléchargement). Et si tout n’est pas gratuit et/ou librement accessible, une très large palette est proposée au public. Et l’arrivée des fils RSS permet désormais de « podcaster » sa chronique préférée sur son PDA ou sur son téléphone portable…
Quelques liens de librairies/bibliothèques de e-books
http://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_Gutenberg
Conclusion ?
Le nerf de la guerre semble encore aujourd’hui financier, mais aussi de légalité : le e-book (le support comme le contenu) coûte encore assez cher, en tout cas bien loin des attentes du public – un e-book n’est parfois moins cher que la version imprimée que de 2 ou 3 €…
On réfléchit aujourd’hui à un modèle économique (et publique?) possible qui aurait à la fois l’avantage – et l’intérêt – d’offrir à tous un accès facilité, sans intermédiaire, confortable et à toute heure à n’importe quel produit culturel, tout en n’oubliant pas une gestion et une rémunération adéquates des droits d’auteurs (ouf!).
Bruno Patino a écrit à cet effet un rapport sur le livre numérique, remis à la Ministre Christine Albanel en juin 2008. En substance :
* promouvoir une offre légale attractive (pour couper court à la piraterie), grâce à l’interopérabilité (avec le format EPUB) la structuration des métadonnées, et la numérisation de contenu sous droit
* « une réflexion interprofessionnelle sur les droits d’auteur «
* le rôle central des détenteurs de droit » dans la détermination des prix «
* la » conduite d’une politique active auprès des institutions communautaires «
Sur le site du Ministère de la Culture
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/albanel/ar[…]
A l’heure de l’internet haut débit, du Wi-Fii, de la baisse des prix de tout ce qui touche au multimédia ; où les générations futures sont nées avec ces outils dans les mains ; où » accessibilité « , » immédiateté » voire » gratuite » semblent aller de soi…comment repenser alors l’accès à l’objet- culture par excellence, accès qui s’est longtemps cantonné à une élite -ou est tout du moins lié à une notion de » mérite « ?
Quand on sait que les manuels scolaires y voient là leur prochaine évolution…
Un plaidoyer (forcément partial) d’un éditeur internet de e-books, en faveur de ces nouveaux supports
http://www.actualitte.com/dossiers/393-appel-ebook-raison-defendre-[…]
Nouveau support, nouvelle culture?
Quelques propos pour réfléchir un peu…
Depuis Marshall MacLuhan, on sait qu’un changement de support n’est jamais neutre. Est-ce que les nouveaux médias, maintenant et plus tard à disposition, change notre rapport à la connaissance?
Depuis les temps anciens on redoute les progrès technologiques en les soupçonnant d’apporter les pires maux au savoir humain : l’écrit – qui fige- par rapport à l’oral, l’accès de tous au livre avec Gutenberg et l’imprimerie, l’arrivée des livres de poche, bon marché et d’un format plus facilement transportable, et récemment l’accès pour tous à Internet…
L’e-book, et ce que cela recouvre, est encore en gestation : la première vague de » machines » destinées à pouvoir lire à tout moment des textes a fait un flop. Engins trop chers et mal conçus, lecteurs déroutés par une lecture sur ce qui restait malgré tout un » écran » – combien symbolique d’ailleurs est ce mot, qui nous renvoie alors à toutes ces sensations procurées par le document papier (le toucher, l’odeur…).
Si le problème de qualité et de confort de lecture est souvent mis en avant, celui d’un risque de nouvelles générations rendues moins attentives par l’immédiateté de l’accès aux ressources semble encore plus redouté.
Un article écrit récemment sur le sujet (avec un titre plutôt polémique, » Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir « , qui est plutôt une réflexion sur les transformations profondes de nos perceptions, habitus, mode de pensées, induites par internet et les nouvelles technologies), a engendré de nombreuses réflexions, notamment celle-ci : d’accord, l’électronique transforme la manière dont on lit, mais est-ce nécessairement dans le mauvais sens ? D’après certains, la cause du problème ne serait d’ailleurs pas là, mais due à notre insatiable besoin d’informations, d’accès rendue infiniment plus aisé, et qui conditionnerait alors nos lectures superficielles et notre papillonnage invétéré : sacrifier la qualité à la quantité, en somme…
Mais il suffit d’entendre un peu parler nos élèves pour se rendre compte qu’en très très peu de temps, les habitus en terme de lecture ont bien changé. A titre d’exemple, quelle ne fut pas ma surprise lorsque, discutant avec une élève d’un livre qu’elle disait vouloir lire, je lui proposais alors d’emprunter ce titre que je venais tout juste d’acquérir, et qu’elle me répondit : » Non, merci, ce n’est pas la peine : je vais le télécharger, je préfère le lire sur ordinateur « …Là, je compris qu’on avait franchi un sacré pas.
On irait donc vers un changement radical de culture, où le livre n’aurait plus le statut d’objet sacralisé (et qui semble déjà être largement considéré par nos » jeunes » comme d’une autre époque, eux qui biglent vers d’autres référents culturels)…
Mais si cela semble choquant pour beaucoup d’entre nous, on pourrait d’un autre côté y voir une avancée démocratique – nous qui œuvrons chaque jour pour un accès égalitaire et facilité à toute sorte de média (livresque comme électronique), par notre politique documentaire et nos actions éducatives.
D’ailleurs, d’après certaines études, rien n’est moins certain que le » quota » de lecture pour une personne donnée passe d’un média à un autre : les petits lecteurs resteraient plutôt petits lecteurs, textes sur écran ou pas. L’aspect » ludique » et plus facile d’une lecture sur écran, parade pédagogique que nous pouvons encore utiliser avec nos élèves, ne sera peut-être bientôt plus le cas, car davantage rentré dans les mœurs – de lecture et de travail-.
Et si nous pouvons craindre le sort qui pourrait à terme être réservés au livre, peut-être pourrions-nous -un peu-nous consoler en nous disant que ce n’est ni le premier, ni le dernier changement technologique lié à l’accès à l’information…
Quoi qu’il en soit, l’avenir (technologique) paraît moins que certain, quand même les plus grands se plantent :
» D’ici à 10 ans, la moitié des livres seront numériques et quasiment tous les écrits le seront dans 30 ans… »
(Dick Brass, vice-président du développement de la technologie chez Microsoft cité dans le numéro de septembre 1999 de la revue SVM dans un dossier consacré au livre électronique intitulé : « Et le livre fut », pp. 50-66)
Très riche et instructif article de Hubert Guillaud, réflexion sur la nouvelle culture induite par les nouveaux médias
http://www.internetactu.net/2009/01/30/le-papier-contre-l%E2%80%99e[…]
» Is Google Making Us Stupid? « , de Nicolas Carr
http://www.framablog.org/index.php/post/2008/12/07/est-ce-que-go[…]
1 Personal Digital Assistant, appareil numérique portable
2 Digital Right Management : ‘bridage’ des fichiers électroniques achetés en vue d’empêcher de les diffuser
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