Cet automne, nous avons lu le livre de François Dubet, Le déclin de l’institution (Seuil) ; magistral derrière son titre un peu trompeur. Bientôt, nous découvrirons celui d’Emmanuel Davidenkoff, Comment la gauche a perdu l’école (Hachette) qui analyse pourquoi, au cours des vingt dernières années, le fossé n’a cessé de se creuser entre les gouvernants, les syndicats et les enseignants. En contrepoint de ces sombres bilans, la presse nous livre les témoignages d’enseignants agressés réclamant le » droit de retrait » et les photos de ces parents américains, satisfaits d’avoir retiré leurs enfants de l’école ; ils seraient 4% aux USA à pratiquer ainsi le homeschooling [dans Google taper homeschooling ou unschooling pour mesurer l’ampleur du phénomène].
Il souffle un vent mauvais sur l’école.
Heureusement, le café pédagogique, toutes les deux semaines, fait remonter un peu d’air frais du fond des classes. Et puis cette autre petite brise : Etre et avoir, le film de Nicolas Philibert qui sort cette semaine en DVD. On y voit une chose très ordinaire, mais jamais montrée aussi longuement avec autant de grâce : la relation pédagogique, le face à face d’un prof et de ses élèves dans la classe, chacun à sa place. Sur cette base fragile, répétée chaque jour tant bien que mal dans toutes les classes de toutes les écoles du monde, repose la forme institutionnalisée de l’éducation. Le succès inattendu d’Etre et avoir révèle que notre attachement pour elle demeure très fort, certainement plus qu’il ne l’est aux Etats-Unis. Rien à voir avec la nostalgie de la vie rurale, des classes uniques et des enfants respectueux de leur maître.
Les adultes ne sont pas les seuls à manifester de cette façon leur attachement et leur intérêt pour les formes collectives et instituées d’éducation. Souvenez-vous : Harry Potter et Star Academy, deux immenses succès de l’hiver au cinéma et à la télévision, ne montraient rien d’autre que des collectifs d’élèves en apprentissage, peinant et progressant face à des enseignants souvent bienveillants mais pas toujours. Chacun est libre d’apprécier ou non, suivant son goût ou son âge, la façon dont ces spectacles d’écoles sont scénarisés et mis en scène. Les professionnels de l’éducation jugent peut-être avec sévérité les méthodes pédagogiques pratiquées à Poudlard ou au château de Star Academy, différentes entre elles, différentes aussi de celle qu’applique Georges Lopez dans sa classe unique du Puy de Dôme et que certains pédagogues d’aujourd’hui ont trouvé un peu trop traditionnelle.
Quoiqu’il en soit, il serait dommage d’en rester à la surface des choses et de ne pas s’intéresser, au-delà des mises en scènes et des manipulations mercantiles auxquelles de tels spectacles ne peuvent plus échapper, au phénomène sous-jacent : comment expliquer que des enfants, des adolescents et des adultes, en très grand nombre se soient passionnés pour des situations scolaires, pour le jeu des rôles et des places auxquelles elles donnent lieu ? Que l’on ouvre un débat sur l’école à l’Assemblée nationale, que l’on organise un référendum sur l’éducation et l’on obtiendra, à condition que la mise en scène soit juste et de qualité, le même succès.
Il serait dommage que nos gouvernants soient les derniers à comprendre que nous sommes attachés à l’école, beaucoup, et que c’est à cause de cet attachement profond que les vents mauvais qui soufflent aujourd’hui sur elle nous inquiètent.
Serge Pouts-Lajus