J’avais envie de commencer avec cette phrase de Samuel Beckett : » Ah, les
vieilles questions, les vieilles réponses ; il n’y a que ça « . Et puis, je me
suis souvenu de l’éditorial de François, le mois dernier : » les enseignants
ont bien en main les outils d’un véritable débat « . C’est lui qui a raison.
Je pioche donc dans le chapeau et je choisis la question N°18 : » Comment, en
matière d’éducation, définir et répartir les rôles et les responsabilités respectifs
de l’État et des collectivités territoriales ? « .
Sur le site du débat national, le forum associé à cette question est titré » la décentralisation du système éducatif » et assorti de deux sous-questions :
– l’efficacité de l’École exige-t-elle plus de décentralisation ?
– quelles compétences l’État doit-il absolument conserver ?
En toute logique, le questionnement n’est pas complet. Le système éducatif français est en effet déjà largement décentralisé. Trois opinions sont donc possibles et non pas deux : on peut être favorable à plus de décentralisation, on peut y être hostile mais on peut aussi être partisan d’une recentralisation qui rendrait à l’Etat certaines des compétences abandonnées dans le passé aux collectivités territoriales. Plusieurs opinions exprimées sur le forum dénoncent les effets négatifs de la situation actuelle en s’inquiétant par exemple des inégalités dans les moyens accordés aux établissements scolaires, aux écoles notamment ; implicitement, elles appellent à une intervention accrue de l’Etat. A cela, les experts opposent des analyses implacables qui démontrent que l’éducation a jusqu’à présent globalement bénéficié de la décentralisation et que les collectivités pauvres ont plutôt davantage investi sur elle que les collectivités riches. D’ailleurs, personne ne réclame, ni dans le forum ni ailleurs, l’abrogation de la loi de 1879 qui donnait aux communes la responsabilité de la gestion matérielle des écoles primaires ni de celle de 1983 qui étendait ce pouvoir aux Départements et aux Régions pour les collèges et les lycées. Le défaut du questionnement masque donc un fait important : il existe un quasi-consensus dans l’opposition à l’idée d’un retour en arrière. Partisans et adversaires de la décentralisation sont au moins d’accord pour s’accommoder du partage actuel des compétences et composer avec lui. Sur cette base, les questions qui se posent alors (comment faire avec ? comme faire au mieux ?) ne sont pas faciles mais elles ont l’avantage d’être pratiques, moins sujettes à polémiques que celles proposées par le débat national.
Prenons l’exemple des TICE qui nous intéresse ici et qui est un domaine dans
lequel les lois de décentralisation de 1983 ont soulevé et continuent de soulever
des questions importantes, nouvelles et intéressantes. La loi donne aux collectivités
la responsabilité d’assurer l’équipement informatique des établissements scolaires.
On peut ne voir cette obligation que comme une contrainte financière : la collectivité
doit accorder à chaque école, collège ou lycée, directement ou par l’intermédiaire
des services déconcentrés de l’Etat, un budget permettant l’acquisition, l’installation
et l’entretien d’un équipement informatique. De nombreuses collectivités procèdent
de cette façon mais elles sont de moins en moins nombreuses à le faire. Il est
intéressant de comprendre pourquoi. Les collectivités territoriales sont politiquement
et financièrement autonomes : L’Etat négocie avec elles dans le cadre d’un plan
les orientations et les moyens de leurs politiques mais il ne peut pas les contraindre,
par exemple dans le domaine des TICE, à des dépenses ou à des solutions techniques
particulières. Même lorsque la collectivité se contente d’être un financeur,
elle n’échappe donc pas à une discussion sur le montant des dépenses avec les
autorités académiques, les enseignants et les chefs d’établissement. Or, il
n’est pas difficile de comprendre que si le dialogue s’en tient là, les collectivités
sont tentées de maintenir la barre à un bas niveau. Pour dire la chose autrement
et de façon positive : plus les collectivités sont impliquées dans la définition
de la politique d’équipement et plus elles y sont intéressées, plus elles seront
disposées à lui consacrer des moyens. Les services académiques et ceux chargés
de l’éducation dans les collectivités territoriales se trouvent de fait dans
l’obligation de négocier ensemble les moyens et les contenus de la politique
TICE des établissements scolaires. Dans certains cas, les choses se passent
bien, dans d’autres pas. Parmi les difficultés rencontrées, la plus importante
provient de la difficulté à isoler le paramètre pédagogique, compétence considérée
comme exclusive de l’institution scolaire, dans le but de l’exclure du champ
de la négociation.
Prenons l’exemple d’une école de 10 classes. Pour répondre à la demande d’informatisation, la ville propose d’équiper une salle informatique avec 15 postes en réseau. L’inspection académique et les conseillers pédagogiques sont en faveur d’une solution avec 2 ordinateurs connectés dans chaque classe. Les enseignants sont partagés. Il s’agit là d’un simple problème de localisation des machines mais en réalité la pédagogie en occupe le centre ; les deux configurations recouvrent des stratégies d’usages pédagogiques très différentes. Est-il raisonnable, sous ce seul prétexte, d’en exclure la collectivité territoriale ? C’est elle qui financera l’achat des équipements, les frais de fonctionnement, l’aménagement des locaux et, au final, qui rendra compte de toutes ces dépenses devant les électeurs. Les enseignants, les inspecteurs et les conseillers pédagogiques devraient donc accepter d’associer les services municipaux à la décision, d’entendre leurs arguments et, bien sûr, d’en tenir compte, sans rien exclure a priori dans cet échange.
Il appartient à chacun de décider s’il perçoit la coopération de l’institution scolaire avec les collectivités territoriales, sans impasse et sans domaine réservé, comme une source de progrès ou de régression. Pour ma part, je la vois comme une source de progrès. Je crois que le raidissement et le refus du partage de la compétence pédagogique font courir aux établissements scolaires, faute d’une révision des lois de décentralisation de 1879 et de 1983, le risque d’une restriction de leurs moyens.
La question N°18 est bien posée ; elle ne conduit pas à s’interroger sur la conservation des compétences de l’Etat mais sur leur partage.
Serge Pouts-Lajus
Liens
– Le forum consacré à la question N°18 sur le site du débat national
http://www.debatnational.education.fr/forum/viewforum.php?f=20
– Le site de l’association des directeurs de l’éducation des villes qui vient de réunir son congrès à Dijon sur le thème de l’innovation.
http://www.andev.com.fr/brev_colloque2003.html
– Le site du sommet mondial des villes et des pouvoirs locaux sur la société de l’information qui se tiendra à Lyon les 4 et 5 décembre et dont l’éducation est l’un des thèmes
http://www.cities-lyon.org