Visiblement, la rentrée sert aussi à ressortir de vieilles idées. Eh oui, c’est reparti pour un (mauvais) tour ! Le Ministre de l’Éducation nationale, JM Blanquer – dix ans après une première tentative similaire avortée – souhaite procéder à l’évaluation des établissements. Dès que l’on dit « évaluation », ça fait sérieux, rigoureux. On prend la mesure pour prendre les bonnes mesures. Mais quand on regarde ce qui peut en être fait, ça reste mystérieux, voire franchement douteux. Dans un système où, dès l’âge de trois ans, on en prend pour vingt années de tests, contrôles, interrogations surprises, devoirs, QCM et autres examens, il ne manquait plus que ça. Pourquoi dès lors en remettre une couche ?
Sûrement pas pour avoir des données chiffrées supplémentaires puisque le Ministère en possède en abondance (taux de redoublement, nombre d’élèves suivis par les RASED, élèves pris en charge par les APC, taux de réussite au brevet des collèges, ventilation des élèves dans les différentes filières, taux de réussite au bac, palmarès des lycées, etc.). Les projets d’école, tout comme ceux des collèges et lycées, s’appuient déjà sur des données chiffrées, des pourcentages, des statistiques, des taux de réussite. Avec autant d’indicateurs, pourquoi créer une instance d’évaluation des établissements scolaire en 2019 ?
Réponse de JM Blanquer (Le Parisien 02/09/2018) : « Le but fondamental de cette instance est surtout de créer des outils d’appréciation utiles aux établissements. Dans quelle mesure communiquera-t-on les résultats, à quel public ? Les discussions seront ouvertes, je n’ai pas de dogme là-dessus. » Comprenez : j’y suis très favorable ! D’ailleurs, le Ministre précise : « Nous devons inventer un modèle à la française […] qui donne aux parents la meilleure information possible. »
Ah oui ? La « meilleure information possible » ? Mais pour en faire quoi après ? Très concrètement, ça va servir à quoi ? Sinon à comparer avec le voisin, à organiser la concurrence, à faire monter la tension et à stresser tout le monde : élèves qui doivent absolument réussir leurs évaluations quitte à bachoter dès le plus jeune âge, parents inquiets de n’avoir peut-être pas fait le bon choix d’établissement, enseignants tentés de tricher (révision des tests, double correction, notation avantageuse) comme on avait déjà pu le constater lors des évaluations de CM2 de Xavier Darcos ? Le comble c’est que tout ça fera baisser le niveau en poussant chaque professeur à limiter son enseignement à ce qui sera évalué dans les tests. Car bien entendu, on se focalisera encore plus sur le français et les mathématiques. Nous sommes déjà les champions d’Europe du temps consacré aux « fondamentaux ». Pourtant, à partir de la rentrée 2018, partout en France, toutes les animations pédagogiques des cycles II et III ne pourront plus porter que sur le français et les mathématiques. Vous avez dit « polyvalence » ? « Liberté pédagogique » ? Le problème ne serait-il pas ailleurs ? Étrange de croire que l’urgence puisse être, pour nous sur le terrain, de voir notre établissement obtenir une note… Plus de problèmes de sureffectifs ? D’enfants sous le seuil de pauvreté (3 millions) ? de formation continue ? de recrutement ? de remplacement ? d’accompagnement des élèves en difficulté ? d’AVS ? d’accès à la culture ?
Alors faites vos jeux, que le meilleur gagne, et gare aux maillons faibles. Le comble c’est que l’opinion publique pourrait y être favorable car, à grands coups d’éléments de langage, cela sera vendu comme une liberté donnée aux familles, une transparence moderne offerte à tous, un contre-pouvoir novateur à l’école, un droit de regard sur ce que font les enseignants (ces fonctionnaires tout le temps en vacances). Sans doute trouvera-t-on suspect de refuser d’être évalué ? Mais nous professeurs, le sommes déjà. Et l’avons tellement été ! Combien de notes obtenues en 20 ans d’études, pour atteindre un Master 2 et obtenir un concours ?
Or, il y a une véritable arnaque avec cette logique concurrentielle : ce ne sont pas tellement les parents qui choisiront les établissements mais davantage les établissements qui choisiront leurs élèves ! Surtout si on reste dans l’idée de rétribuer les enseignants au mérite (ah ! Le mérite d’avoir les meilleurs élèves dans les meilleurs quartiers !). Car pourquoi prendre des élèves en difficulté si cela fait baisser ma moyenne et donc mes revenus ? Pourquoi rester en poste dans un quartier difficile ? Pourquoi changer de méthode quand il suffit de changer d’établissement ? Nous allons tous devenir des médecins ne voulant s’occuper que de patients en bonne santé ! Bonjour le progrès !
Parents favorables à ce grand carnage, êtes-vous sûrs que votre enfant sera pris dans l’établissement désiré ? Les grands perdants seront tous ceux susceptibles de faire baisser le taux de réussite… Voilà peut-être ce qu’est la « meilleure information possible » à diffuser. Le Ministre nous dit que « les discussions sont ouvertes » (où ? quand ? comment ? avec qui?). Alors faisons entendre cette vérité. Allez, bonne rentrée !
Sylvain Grandserre
Maître d’école en Normandie