Faire écrire davantage les élèves, de façon plus collective, en exploitant les ressources du numérique, en reliant mieux pratiques scolaires et extrascolaires, voilà ce que recommande le Cnesco aux enseignant.es à l’issue d’une conférence de consensus : « les pratiques d’écriture des élèves hors de la classe, notamment sur les réseaux sociaux et par SMS, peuvent servir de support pour l’enseignement, sans stigmatiser ces écrits ni les hiérarchiser vis-à-vis des productions écrites à l’école. » Comment aller chercher les élèves là où ils sont, par exemple sur leur réseau favori Snapchat, pour y travailler compétences de lecture et d’écriture ? C’est le défi relevé par Céline Thiery, professeure de français à Villabé, dans le cadre de l’étude en 3ème d’un roman de Philippe Grimbert. Elle livre sur ces fécondes interactions des éclairages particulièrement précieux au moment où un vademecum sur les smartphones vient d’autoriser leur usage pédagogique et encadré (si, si !)…
Snapchat est une application mobile de partage qu’on associe à l’adolescence, plutôt qu’au monde adulte, et à l’immédiateté, plutôt qu’au temps long des apprentissages : qu’est-ce qui vous a poussé à en imaginer un usage scolaire ?
J’avais déjà utilisé avec mes élèves le réseau social Twitter pour participer avec ma collègue de lettres Barbara Malenfant au « Printemps des poètes » en répondant aux défis de Lionel Vighier ou pour communiquer avec eux au sujet du concours « Science Factor » auquel nous participions. J’ai fait part aux élèves de mon envie de dialoguer avec eux pour rendre compte de la lecture d’une lecture cursive intégrale et d’utiliser pour cela une messagerie instantanée : ils m’ont tout de suite proposé Snapchat (réseau qu’ils utilisaient déjà entre eux dans la classe) et ont réussi à me convaincre que l’outil pouvait se prêter à l’expérience. J’ai relevé le défi et ai cherché comment détourner le premier usage de ce réseau (envoyer des messages intimes courts) pour l’utiliser comme un outil pédagogique qui permettrait d’évaluer la compréhension d’une lecture longue comme le roman et développer les réponses des élèves souvent très courtes ou lacunaires.
Vous avez utilisé Snapchat autour de la lecture du roman « Un secret » de Philippe Grimbert : pouvez-vous expliquer le dispositif que vous avez mis en place ?
Deux classes de 3ème ont fait l’expérience de Snapchat comme outil pédagogique en ouverture d’un chapitre sur l’autobiographie en milieu d’année, plus précisément sur le roman Un Secret de Philippe Grimbert, pour apprendre à compléter et approfondir leurs réponses afin de révéler les différents sens du roman.
Les élèves ont d’abord créé leur groupe privé eux-mêmes et m’ont ensuite intégrée. Seuls deux élèves dans chaque classe n’ont pas participé numériquement, mais sur papier, parce qu’ils n’étaient pas inscrits sur ce réseau et que leurs parents ne souhaitaient pas qu’ils s’y abonnent. J’ai ensuite ajouté mes élèves en « amis » pour recevoir leurs messages avant de leur envoyer, toujours sur Snapchat, à deux jours d’intervalle, trois questions ouvertes pour évaluer les compétences suivantes : la réponse de l’élève est-elle compréhensible ? la réponse montre-t-elle que l’élève a compris le roman ? la réponse est-elle complète ?
Quelles questions leur avez-vous posé via ces groupes privés sur Snapchat ?
La première question a été : « Bonjour les 3*. Merci de répondre à cette première question en message privé. Comment expliques-tu la première phrase du roman : « Fils unique, j’ai toujours eu un frère » ? En quoi prend-elle tout son sens dans la suite du texte ? »
La deuxième : « Bonjour, deuxième question, toujours en privé. Comment comprends-tu la dernière phrase du roman : « Ce livre serait sa tombe » ? Sois précis et développe des hypothèses sans faire de fautes. A bientôt. »
Enfin : « Bonjour, troisième et dernière question, encore en privé. Le roman devait s’intituler à l’origine « Le Cimetière des chiens ». Pourquoi ce titre convient-il bien à ce livre ? Attention à bien multiplier les sens… A dimanche sur Twitter pour une nouvelle aventure : Le Printemps des poètes. »
Comment avez-vous géré leurs réponses ?
Comme convenu avec eux, j’ai apporté rapidement des commentaires à chaque réponse sur un temps court (cinq jours) car pour les élèves comme pour le professeur, il faut être réactif et disponible. En effet, sur Snapchat, si le message n’est pas lu et conservé (double clic), il s’efface. De plus, chaque élève a un, voire deux jours pour répondre à chaque question. Enfin, comme l’enjeu est d’amener chaque élève à rédiger avec une écriture fluide et juste et à retravailler sa réponse, le professeur doit donner rapidement ses observations et l’élève doit être prompt à répondre s’il veut améliorer son travail. En effet, les élèves ont souvent réécrit leur réponse en fonction de mes commentaires pour la compléter et la rendre complétement compréhensible. La plus-value de cette évaluation, c’est qu’elle est interactive et formative dans le sens où l’évaluation n’est pas figée, où l’élève peut compléter sa réponse, où l’enseignant accompagne l’élève dans la construction du sens ce qui favorise son sentiment d’efficacité personnelle. Pour permettre à tous les élèves de compléter ou d’ajuster leurs réponses, certains snaps ont été diffusés rapidement sur le fil public de chaque groupe classe. C’est cette diffusion entre pairs, très attendue elle aussi, qui a servi de correction et les élèves ont lu et commenté le travail de leurs camarades avec plaisir.
Vous avez aussi interagi avec les élèves par des « bitmojis » : de quoi s’agit-il ? quel vous en semble l’intérêt ?
Le bitmoji est un emoji personnalisé. Pour le créer, il faut télécharger l’application Bitmoji (disponible gratuitement sur les différentes plateformes de téléchargement) et lier son compte Bitmoji à son compte Snapchat. Ensuite, on crée son avatar. On choisit le sexe, l’apparence (soit un Bitmoji avec un visage en gros plan, ou Bitstrip au visage plus fin), on peut même sélectionner de nombreuses options : coupe de cheveux, couleur des yeux, forme du visage, accessoires, maquillage, habits ou modifier la corpulence et l’apparence physique totale du Bitmoji pour qu’il soit le plus ressemblant possible.
Tous les élèves avaient leur bitmoji à leur effigie, j’ai donc créé le mien. L’avatar m’a permis d’identifier immédiatement l’élève qui s’adressait à moi. Hormis l’aspect ludique, le bitmoji m’a donné la possibilité de répondre rapidement et avec concision aux réponses des élèves, notamment de les féliciter quand ils avaient amélioré et développé leur écrit. Le fait que le professeur utilise les mêmes codes que les élèves, voire les inverse (j’étais la seule à utiliser le bitmoji pour répondre alors que les élèves rédigeaient leurs réponses) les a véritablement amusés puis motivés sans pour autant les inciter à transgresser les marques de politesse. Et de savoir être.
En quoi les différentes interactions que vous avez eues sur Snapchat vous semblent-elles pédagogiquement fécondes ?
Ces interactions sur Snapchat ont permis d’aider les élèves grâce à un accompagnement personnalisé, souvent en images et en temps réel. Ceci à l’opposé d’une correction écrite, qui n’est pas toujours lue, ou d’une correction magistrale, qui provoque souvent l’ennui des élèves : corrections qui arrivent souvent bien trop tard.
Le choix du message privé a permis de faire naître une réflexion personnelle et une communication presque intime entre le professeur et l’élève, situation qui est somme toute assez rare car interdite en classe entière à l’oral puisque l’élève n’est pas seul, et impossible à l’écrit car il n’y a pas de véritable échange.
De plus, l’utilisation du réseau social a permis d’élargir les temps d’écriture et d’accroître l’autonomie des élèves qui ont répondu quand ils pouvaient et quand ils voulaient mais toujours hors de la classe. Pendant cette expérience, les élèves étaient impatients de lire les commentaires du professeur et se sont montrés très attentifs à ces observations, ce qui a engendré une progression visible entre les questions.
Enfin, l’utilisation du réseau Snapchat a réussi à stimuler l’envie d’écrire des élèves, elle a intéressé tous les élèves même les plus faibles : tous ont eu envie de participer aux réponses, même ceux qui d’habitude rendent copie blanche ou ceux qui n’ont pas lu le roman ! Une simple reformulation du professeur permet parfois d’obtenir une réponse tout à fait correcte et le travail des élèves a très souvent été d’une très grande qualité et pertinence.
En quoi vous semble-t-il intéressant, voire nécessaire, de réconcilier comme vous l’avez fait les pratiques numériques scolaires et extrascolaires des élèves ?
Dans un ouvrage récent, Christine Barré-de Miniac constate « une nette dichotomie » entre « l’écriture pour soi », libre de contraintes formelles et très investie par les adolescents et « l’écriture scolaire ou pour l’école » envisagée comme une contrainte et « sous contrôle tant de la langue que de l’institution ». Elle utilise aussi le terme de « rupture quasi-schizophrénique » entre ces deux univers d’écriture. SMS, textes sur le web et les réseaux sociaux ou bien fanfictions… : nos élèves écrivent bien plus à l’ère du numérique ! Ces écritures peuvent être un appui pour les productions d’écrit scolaire et doivent être « valorisées » ou encore « évaluées » pour permettre aux élèves de progresser.
J’ai cherché à réinvestir ces pratiques extrascolaires dans l’écriture scolaire et permis aux élèves d’approfondir leurs réponses en utilisant leur propre pratique d’écriture numérique. Beaucoup d’élèves écrivent et lisent sur des sites pour la plupart inconnus des professeurs, je pense par exemple à Wattpad, ils se lisent entre eux, s’évaluent, remportent même des prix d’écriture… Il est parfois étrange de constater que certains élèves « qui n’aiment pas lire » sont férus de lecture sur ces sites, ils avouent qu’ils lisent tous les soirs ces écrits à épisodes intégrant des images… De la même manière, certains élèves qui sèchent ou rendent des rédactions bien fades aux sujets classiques donnés par les professeurs se révèlent de « vrais » écrivains sur internet et n’osent pas toujours dévoiler leur « talent »…
Réconcilier ces différentes pratiques, c’est manifester un intérêt pour les créations écrites de nos élèves, leur donner la valeur et la confiance nécessaires pour réussir à l’école et exploiter leurs capacités. C’est aussi selon moi un des défis de l’école : s’adapter aux nouvelles pratiques de nos élèves et les préparer au mieux aux exigences et demandes de la vie professionnelle et active ; renouer la littérature avec notre quotidien numérique pour qu’elle prenne tout son sens.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentées par une telle expérience ?
Cette expérience demande certes une grande disponibilité sur quelques jours : il faut se montrer réactif à chaque snap d’élève. Mais le travail fourni par le professeur, une évaluation courte en plusieurs temps, est assez ludique (plaisir de zapper entre les différentes réponses en un clic) et pas plus chronophage que la correction des copies car le barème est simple tout comme le support (un simple tableau avec le nom des élèves). De plus, ce sont les écrits des élèves eux-mêmes qui servent de correction : une correction entre pairs en quelque sorte. Je ne peux qu’inciter les collègues à oser déplacer et varier leurs pratiques pédagogiques pour être innovants, inventifs et créatifs. Ma propre expérience de l’utilisation pensée des réseaux avec les élèves s’est toujours révélée enrichissante : cette communication presque intime entre le professeur et l’élève a été vécue ici comme un moment précieux et stimulant littérairement et je n’ai jamais été déçue de leur avoir accordé ma confiance… encore une fois, la plupart des élèves se sont montrés intéressés par la nouveauté et très investis dans la production de sens.
Quels prolongements lui-voyez-vous ?
J’aimerais étendre la communication sur Snapchat notamment dans le cadre des EPI, ce qui est très pratique quand on a plusieurs classes qui travaillent sur le même projet et utiliser la fonction « stories », particulièrement pour des comptes rendus de lecture, c’est un format très intéressant, facile d’utilisation, dont on peut se saisir. Je suis très intéressée aussi par Wattpad dont me parlent beaucoup les élèves… Je me fie à eux pour trouver de nouvelles idées de réseaux ou de sites sur lesquels travailler l’an prochain.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
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