Cette année, dans mon école maternelle (REP+), nous ouvrons notre classe aux parents dans leur langue maternelle. Cette initiative est née d’une demande exprimée l’année dernière, lorsque nous avons fait le bilan de fin d’année de ce qui s’était joué dans la classe. Les parents étaient alors invités à participer à des ateliers quotidiennement…
– La préparation de la collation dans le but d’accompagner les élèves vers une plus grande autonomie. Les parents étaient d’ailleurs étonnés et surpris de voir que leurs enfants savaient tartiner, couper, éplucher… Ils découvraient que ces gestes quotidiens qu’ils ne leur laissaient pas la possibilité de mettre en pratique à la maison, avaient été expérimentés et exercés en classe.
– La réalisation de recettes de cuisine qui demandaient la lecture de recettes illustrées, mais aussi une certaine dextérité pour casser les œufs, mélanger, étaler, malaxer… suscitait l’admiration des parents qui en retour partageaient ensuite ces moments en famille.
Ces ateliers permettaient aux parents de prendre conscience de l’autonomie gagnée par leurs enfants, mais aussi de l’attitude différente qu’ils pouvaient avoir au sein de la classe. Beaucoup d’enfants rechignaient à goûter de nouvelles saveurs à la maison, alors qu’en compagnie de leurs pairs, ils goûtaient et appréciaient ces temps ou déguster était l’occasion de parler, décrire, donner un avis. Certains mêmes expliquaient la composition des collations variées et riches en fruits vitaminés. Manger est alors un prétexte à échanger.
Petit à petit, les parents sont restés plus longtemps, ils ont participé d’abord timidement, en regardant ce que je faisais aux ateliers de graphisme ou de jeux mathématiques… En confiance, certaines mamans m’ont demandé si elles pouvaient coanimer les ateliers, puis elles ont pris en charge un groupe d’enfants. Elles les accompagnaient en veillant à la bonne tenue de l’outil scripteur, répétaient avec les élèves les jeux préliminaires utiles à faire la pince, leur rappelait la posture correcte, les encourageaient, lorsque le geste était maladroit. Elles ont toujours fait preuve de bienveillance. Attentives aux élèves en grande difficulté, elle se prenaient d’affection et les accompagnaient.
Les rendez-vous du vendredi après-midi et de ses jeux de société avec les parents étaient un incontournable. Certains ont même amené une tante, une amie, afin qu’elles partagent ces moments conviviaux en classe. Les élèves étaient heureux et fiers de montrer les progrès réalisés, lorsque d’un dé, ils jouaient avec deux, parce qu’ils n’avaient plus de difficulté avec l’addition et la comptine numérique par exemple.
Nous nous sommes retrouvés en fin d’année pour une ultime réunion bilan sur ce qui s’était joué cette année et faire le lien avec l’élémentaire en répondant à leurs interrogations. Les parents, habitués à ne voir que les temps forts discutaient en cercle, de façon à tous nous voir, et ont naturellement disposé les chaises en cercle. Ils ont évoqué ce qu’ils avaient apprécié : accompagner leur enfant dans la classe, voir et comprendre ce qui s’y faisait, parce que pour près de la moitié, ils n’avaient pas été scolarisés en France. Partager des moments en classe leur permettait ainsi d’échanger à la maison plus facilement. Ils ont aussi émis un vœu : celui de participer aux ateliers dans les coins de jeux symboliques. « Parce qu’on sait pas dire, et puis on sait pas comment vous faites ».
Cette année donc, en plus des ateliers de l’année précédente, j’ai proposé aux parents de venir jouer dans le coin des jeux symboliques. Ils assistent donc aux activités pédagogiques complémentaires avec leur enfant. Les mamans qui ont choisi de participer jouent avec nous. Au restaurant, elles commandent un plat que leurs enfants nous préparent et nous servent. Ensemble nous apprenons à mettre la table, nous discutons, comparons nos cultures. Nos conversations respectueuses rassurent les élèves qui les suivent et/ou y participent. J’encourage les mères à employer leur langue maternelle, en classe, si cela peut rassurer leurs enfants, et à la maison. Je leur fais remarquer que comme moi, elles doivent juste s’appliquer à faire des phrases complètes, structurées, afin d’aider leur enfant à construire sa langue maternelle pour mieux acquérir la structure de la syntaxe française. Déculpabilisées, elles osent traduire, mais veillent maintenant à construire leurs phrases. Leurs enfants sont à l’aise. Ils sont fiers de leur montrer ce qu’ils ont fait ou découvert en classe. Elles osent rentrer dans la classe, accompagner leur enfant et d’autres, même en dehors des temps dédiés aux APC. L’une d’entre elle s’est pris d’affection pour une petite fille qui pleure chaque matin depuis que le ventre de sa mère s’est arrondi. Elle l’accompagne pour afficher sa photo ce qui symbolise son arrivée en classe et sa présence. Elle joue avec elle dans le coin des jeux symboliques avec les poupons, un temps avant de quitter la classe, alors que son propre fils est déjà avec des camarades.
Afin de répondre à l’attente des familles non francophones, nous avons même mis en place un projet « Un jour, Un conte, Une comptine, une saveur… ». Tous les quinze jours, un parent vient nous raconter une histoire ou nous apprendre une comptine dans sa langue maternelle. Nous cuisinons ensuite ensemble et découvrons une nouvelle saveur.
Ces temps d’échanges permettent d’introduire les différentes cultures dans la classe. Parents et enfants sont inclus avec leur singularité dans le respect de leurs différences. La classe est alors un lieu de vie qui accueille et inclut les habitants de la Cité au sens large. Chacun y trouve sa place et est valorisé. La richesse des échanges nait naturellement de la diversité culturelle.
Clothilde Jouzeau Kraeutler
Retrouvez tous les mercredis La Classe Plaisir !