Au terme de longs échanges entre le ministre, la rapporteure AC Lang et les députés, l’Assemblée nationale a adopté le 11 février vers 23h l’article 1 de la loi Blanquer. Le texte a été légèrement modifié par un nouvel amendement de la majorité qui ne change ni la portée ni la signification du texte. La discussion a été marquée par un net raidissement de la majorité qui a défendu cet article avec acharnement. La majorité a aussi adopté un amendement d’E Ciotti imposant le drapeau tricolore dans chaque salle de classe. Avec la loi Blanquer, la majorité a ainsi basculé à la droite de la droite et versé dans le populisme et l’autoritarisme.
Des racines et des ailes
« Par ce projet, mesdames et messieurs les députés, nous souhaitons donner à nos enfants des racines et des ailes, leur faire ressentir la fierté d’être des citoyens de France et la fierté d’être eux-mêmes. Alors, nous pourrons croire à notre destin, parce que nous aurons préparé celui de nos enfants sur la seule base qui vaille : celle de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ». Jean Michel Blanquer a présenté en ces termes son projet de loi devant l’Assemblée le 11 février.
Mais cet élan lyrique va se briser sur l’article 1. Cet article, si emblématique de ce texte et du ministre, est devenu l’objet de débats, bien plus que tous les autres articles. L’étude d’impact de la loi, un document officiel du ministère, a démontré que derrière la rédaction anodine de cet article, il y a une définition du métier enseignant visant à imposer à tous les enseignants un devoir de réserve réservé aux cadres du système éducatif.
Communication orwellienne
La majorité a défendu cet article 1 en niant cette dimension ou alors, on le verra, en l’assumant pleinement. « Je comprends naturellement l’attachement des enseignants à leur liberté d’expression, et je la partage. Mais… quand le ministre s’engage, devant les députés, à ce qu’il ne serve pas à sanctionner les personnels, quand nous-mêmes votons en commission un amendement visant à préciser qu’il n’instaure aucune obligation nouvelle, pourquoi persévérer dans cette défiance ? » s’étonne la rapporteure (LREM) AC Lang. Même déni sur le nouveau conseil d’évaluation de l’école. « J’entends la question de l’indépendance, soulevée à maintes reprises, mais est-ce vraiment l’enjeu central ? Ce qui compte surtout, me semble-t-il, c’est l’objectivité, c’est-à-dire le caractère scientifique et indiscutable des travaux réalisés par cette nouvelle instance ».
Cette position a été combattue en termes vifs par l’opposition. Ainsi Elsa Faucillon (GDR) : « Vous êtes passé maître dans la communication orwellienne tant les mots pour promouvoir la loi sont à la distance des faits. Vous parlez de justice sociale quand on trouve des pressions sur l’expression des professeurs, des écoles pour les Brexiters ».
« Combien de rapports de l’Inspection générale sont sur votre bureau et n’ont pas obtenu le nihil obstat », demande P Hetzel (LR) au ministre pour marquer la nécessité d’une évaluation indépendante. « La question de l’autonomie scientifique et de l’indépendance politique de l’instance d’évaluation se pose. Vous voulez que cette évaluation se fasse sous votre tutelle ».
« L’article 1er a été perçu comme une volonté de mise au pas de la communauté éducative dans sa capacité à exercer sa liberté d’expression : silence dans les rangs ! Il doit être complètement récrit voire supprimé, conformément à l’avis du Conseil d’État », estime R Juanico (PS). « L’article 4 mérite également d’être retravaillé. Nous avons demandé en vain une estimation précise du surcoût pour les finances de l’État et des collectivités territoriales de la compensation du forfait maternel à l’enseignement privé découlant de l’obligation d’instruction à trois ans : un montant de 150 millions d’euros est évoqué, ce n’est pas rien. Quant au CNESCO, créé il y a seulement cinq ans dans la loi de refondation de l’école, il sera remplacé par le conseil d’évaluation de l’école, une instance ministérielle, qui n’offrira pas les mêmes garanties d’indépendance ni une évaluation préalable approfondie. Le flou demeure quant au devenir du CNESCO ».
S’ensuit un échange vif autour de deux amendements de suppression de l’article 1 (présenté par LFI) et de renvoi en commission (présenté par LR). « Quand on veut créer la confiance on discute de comment recréer de l’attractivité pour le métier enseignant ou de la revalorisation. Des sujets dont on n’a pas assez débattu », estime P Hetzel. D’autres interventions dénoncent la volonté de réduire l’expression des enseignants, l’incapacité à évaluer leur engagement ou leur exemplarité ou encore l’inutilité de l’article 1.
La riposte de LREM
Mais la majorité a prévu de riposter avec ses membres venus du corps enseignant. C’ets le cas de la rapporteure AC Lang pour qui l’article 1 améliore le bien être et favorise la réussite des élèves. Géraldine Bannier estime que cet article « met l’accent sur quelque chose qui s’est effiloché : la confiance entre les enseignants et les parents d’élèves ». Catherine Osson , ancienne directrice d’école, « est fière du droit de réserve des enseignants ». Danielle Brulebois, autre députée LREM, en rajoute : « les enseignants devraient se montrer exemplaires dans le respect des institutions de la République. Ce qu’on lit sur les réseaux sociaux montre que l’article 1 est nécessaire ».
JM Blanquer n’est pas en reste. « Nous nous sommes autorisés un article de principe… Si on me dit que les professeurs doivent être exemplaires, je suis fier d’être professeur ».
Article 1 :le texte adopté
Au final, un amendement LREM soutenu par la rapporteure et le ministre est adopté. Il réécrit très légèrement le texte de l’article 1 en parlant de respect « mutuel ».
L’article 1 se lit ainsi maintenant : » Dans le respect de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect mutuel entre les membres de la communauté éducative et notamment le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. «
Cette nouvelle rédaction ne change rien aux menaces que porte cet article 1 pour les enseignants. JM Blanquer, qui s’était engagé à lever toute ambiguïté de cet article a finalement respecté formellement sa promesse de modification et sur le fond levé l’ambiguïté. Avec cet article il s’est donné une arme contre les enseignants.
Le drapeau obligatoire dans votre salle de classe
Tard dans la nuit, après 6 amendements proposant l’instauration de l’uniforme, la suppression des allocations familiales, l’Assemblée a accepté un amendement d’Eric Ciotti (LR). » Art. L. 111‑1‑2. – La présence de l’emblème national de la République française, le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge, du drapeau européen ainsi que des paroles du refrain de l’hymne national est obligatoire dans chacune des salles de classe des établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat ». Cette présence pourrait être matérialisée par une affiche dans chaque classe.
JM Blanquer considère que cet amendement est « un progrès par rapport aux objectifs pédagogiques celui de l’apprentissage effectif de l’hymne national. Il est important de montrer que l’enseignement des éléments de l’EMC sont présents ».
Le vote a lieu sans débat et sans explication de vote pour la gauche dans la protestation des députés PS, GDR et LFI au prix d’une suspension de séance. « Ce qu’on doit apprendre à l’école c’est l’ouverture », explique M Larive (LFI). E Faucillon (GDR) conteste le déroulé de la séance. Une seconde délibération à la fin du texte est demandée par B Studer sur cet amendement. Elle aura lieu à la fin du texte.
Ainsi se clôt une longue journée de débat. Il est facile d’en trouver la logique. Cette première journée d’étude de la loi Blanquer a amené la majorité à soutenir un projet de loi bien ancré à droite et à défendre une loi autoritaire. L’adhésion de l’amendement de M Ciotti clarifie ce glissement des députés En Marche vers la droite.
François Jarraud