L’instruction devient bien obligatoire de 3 à 6 ans. Mais c’est à fronts renversés que les députés adoptent les articles 2 et 3 de la loi Blanquer. La gauche soutient l’obligation d’instruction à 3 ans pour voir les Républicains et la majorité s’entendre pour vider l’obligation de son sens quand il s’agit des enfants étrangers. La majorité fait adopter des textes sur une formation commune aux intervenants de la petite enfance et amorce une obligation de formation pour les 16 à 18 ans. La question centrale du financement des maternelles privées (article 4) doit être examinée le 14 février. L’Assemblée se traine…
Fronts renversés
Drôle de journée encore que ce 3ème jour d’examen de la loi Blanquer. Taxé de socialiste voir de collectiviste par les Républicains et l’extrême droite, soutenu par la gauche qui voit dans l’instruction obligatoire à 3ans une mesure socialiste, JM Blanquer et sa majorité finit par signer un nouvel amendement commun avec les Républicains.
La journée commence par une avalanche d’amendements défouloirs de la droite et extrême droite. Julien Aubert (LR) propose de supprimer l’enseignement de l’égalité femme – homme « pour ne pas choquer les enfants » et empêcher leur « politisation » par des associations néfastes. Puis M Cinieri (LR) propose de supprimer l’éducation sexuelle. Un autre de ses amendements demande la suppression de l’enseignement d’une langue vivante en CP. Peut-être à défaut de laver les bouches au savon, Mme Menard (extrême droite) envisage une amende de 450€ pour chaque injure proférée par un enfant.
Tout cela est écarté par la majorité. On en arrive à une situation nouvelle où JM Blanquer est taxé de socialiste et collectiviste par les Républicains et la gauche, qui avait mis aux programmes des préisdentielles du PS et de LFI, l’instruction obligatoire à 3 ans, obligée de soutenir la loi Blanquer.
Amendement commun LR et LREM pour ne pas imposer de scolarisation aux maires
Mais l’enfer niche dans les détails. En commission, les députés socialistes avaient réussi à faire passer dans l’article 2 que l’instruction est obligatoire pour chaque enfant « de tout sexe, français ou étranger ». Cette mention , qui aurait permis d’opposer aux maires le droit à l’instruction des enfants étrangers et à certains parents celle le droit des filles, est écartée par des amendements identiques LR et LREM.
Le gouvernement fait adopter l’amendement 1149 qui donne le droit au Dasen d’inscrire d’office un enfant ce qui semble apporter une réponse aux inquiétudes de la gauche. « En cas de refus d’inscription sur la liste scolaire de la part du maire sans motif légitime, le directeur académique des services de l’éducation nationale agissant sur délégation du préfet procède à cette inscription, en application des dispositions de l’article L. 2122‑34 du code général des collectivités territoriales, après en avoir requis le maire ».
« Le maire pourra toujours dire que l’enfant n’habite pas sa commune et donc donner un motif légitime », explique G Pau-Langevin en rappelant son expérience. La récente affaire de Chilly Mazarin montre que l’administration de l’éducation nationale elle-même peut intervenir contre le droit à la scolarisation des enfants étrangers. L’amendement gouvernemental semble donc insuffisant à garantir l’accès à leurs droits pour les enfants qui sont écartés aujourd’hui de l’école.
La majorité fait adopter l’amendement 925 qui précise que la liste des pièces exigibles pour l’inscription d’un enfant est établie par décret. Ce texte combat une pratique de certains maires qui rendent le dossier impossible à réaliser pour ne pas scolariser certains enfants.
Passe-passe sur la visite médicale
Un autre tour de passe-passe se porte sur la visite médicale des enfants de 3 ans. Un amendement du député modem Isaac-Sibille propose de la faire passer aux seuls enfants qui ne sont pas suivis par un pédiatre et par contre d’imposer la visite médicale de détection aux autres. Cet amendement tient compte du fait que les médecins scolaires ne sont plus assez nombreux pour faire passer la visite médicale (un médecin pour 15 000 enfants en moyenne). A cet amendement réaliste, la majorité oppose un autre texte (n°927) qui instaure une visite médicale à 3 ans purement formelle. « Au cours de la troisième ou de la quatrième année, une visite médicale est organisée à l’école pour tous les enfants, en présence des personnes titulaires de l’autorité parentale ou qui en assurent la tutelle. Elle comprend un bilan de santé et un dépistage des troubles de santé, qu’ils soient sensoriels, de langage, de corpulence, ou de développement psychomoteur ». L’éducation nationale sait qu’elle ne pourra pas le faire appliquer mais la majorité l’adopte.
Vers une culture commune de la petite enfance
Ce détachement des contingences matérielles se retrouve dans d’autres sujets portant sur l’instruction obligatoire. Les députés LR comme ceux de gauche interrogent le gouvernement sur la façon dont il pense faire respecter l’assiduité des enfants de 3 à 6 ans. JM Blanquer écarte tous les amendements prévoyant des aménagements pour les plus petits et promet « du bon sens » par la voie réglementaire.
La question de Mayotte et la Guyane, seuls endroits où la loi aura un effet (3800 enfants à scolariser à Mayotte, 3600 en Guyane) n’est pas traitée. Il est pourtant clair que l’Etat ne pourra pas y faire appliquer la loi avant des années. Celle de l’accompagnement des enfants de 3 ans handicapés n’est aps plus regardée.
Le gouvernement se réfugie dans des textes encore théoriques. Quatre amendements 1121, 1156, 1135 et 1123 prévoient une formation commune pour les intervenants de 0 à 6 ans. Cette mesure fait suite à une demande de l’OCDE qui a souligné en 2017 l’absence de culture commune de la petite enfance en France à la différence des autres pays de l’OCDE. L’amendement 1121 précise : « Afin d’acquérir une expertise et une culture communes et dans le cadre de l’accomplissement de leurs fonctions, l’ensemble des professionnels intervenant auprès d’enfants de moins de six ans bénéficient de modules de formation continue communs dans les conditions définies aux articles L. 6111‑1 et L. 6311‑1 du code du travail et peuvent demander à faire valider l’expérience acquise dans les conditions définies aux articles L. 6411‑1 et L. 6422‑1 du même code, en vue de l’obtention d’un diplôme national ou d’un titre professionnel enregistré et classé au niveau III ou au niveau IV du répertoire national des certifications professionnelles. Le contenu de ces modules et les modalités de cette validation sont fixés par décret ». Reste en effet à mettre en ouevre ce rapprochement de métier bien différents.
Dernier texte adopte ,l’amendement 675 du gouvernement organise la formation obligatoire des 16 à 18 ans. « À l’issue de l’instruction obligatoire définie à l’article L. 131 1 du présent code, cette obligation est remplie lorsque le jeune poursuit sa scolarité dans un établissement d’enseignement scolaire ou dans un établissement d’enseignement supérieur, public ou privé, lorsqu’il est apprenti ou stagiaire de la formation professionnelle, lorsqu’il occupe un emploi ou effectue un service civique ou lorsqu’il bénéficie d’un dispositif d’accompagnement ou d’insertion sociale et professionnelle ». Ce texte qui donne aux missions locales le contrôle de cette obligation ne fait que reprendre des dispositions du précédent gouvernement qui a donné un droit au retour en formation au-delà de 18 ans. On peut d’ailleurs se demander si celui-ci restera.
Au terme d’une troisième journée encore bavarde, le principe de l’instruction obligatoire à 3 ans est adopté. Mais celle ci ne change pas grand chose à l’existant d’autant que là où elle aurait un impact (Guyane, Mayotte), la majorité ne prévoit rien de concret. Reste le vrai changement entrainé par la loi : le financement des maternelles privées par les communes. Ce sont 150 millions que les municipalités vont devoir débourser. Et c’est l’objet de l’article 4 qui sera examiné le 14 février.
François Jarraud