La loi de refondation de l’école introduit l’idée de culture qui s’ajoute au socle commun de connaissances et de compétences antérieur. Ainsi parle-t-on aujourd’hui dans la loi de refondation, d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
1. On peut se demander pourquoi avoir conservé le mot connaissances et n’avoir pas retenu la seule idée de compétences qui aurait obligé à convenir pour chaque discipline quels savoir-agir réfléchis sont à enseigner (1). Nous suggérons qu’il n’existe aucune discipline dans laquelle il n’y aurait que des connaissances à enseigner qui potentiellement ne renverraient pas à des compétences. En histoire, le savoir surannée « 1515.Marignan » recèle potentiellement des compétences alors qu’elle n’est a priori que de l’ordre des connaissances. S’interroger sur les politiques d’annexion par une guerre de territoires voisins pour un pays et découvrir que les hégémonies sont aujourd’hui d’ordre économique ou que la place de la France en Europe et dans le monde à la Renaissance est très différente de ce qu’elle est aujourd’hui constituent autant de compétences possibles. Chaque fois qu’il est possible de problématiser un savoir et d’en montrer le champ d’explication qu’il rend possible dans des situations diverses, on va dans le sens de la construction de compétences. Tout savoir est un pouvoir d’action.
Concluons à propos de la présence conjointe des deux vocables de connaissances et de compétences en suggérant qu’il s’est agi de ménager des points de vue contrastés voire opposés sur la fonction de l’école. Simplifions : un mouvement pédagogique d’un bord et une société d’enseignants se réclamant de la primauté d’un diplôme souvent envié de l’autre. Je vous laisse mettre des noms sous l’une et l’autre de ces parties.
2. Le mot culture semble par contre nouveau même si historiquement l’école a toujours été désignée comme un lieu de culture. Seulement les disciplines scolaires accolées aux didactiques des disciplines, c’est à dire depuis une vingtaine d’années, ont masqué fréquemment dans les centres de formation la place antérieurement dévolue à la philosophie. Si bien que l’école comme un lieu de transmission de la culture s’est estompée. Même si le pilier 5, culture humaniste, fait état de « la connaissance du patrimoine, de l’esprit critique, du sens des valeurs, tous les jeunes devant avoir acquis à l’issue de leur scolarité et qui fait de chacun un membre de la communauté nationale et un citoyen du monde ».
La question est comment entendre ce mot de culture accolé à ceux de compétences et de connaissances ?
3. Une liste de plus de 150 définitions différentes du mot culture a été recensée par des anthropologues. Nous rabattons cette pluralité de sens sur deux approches. Une dimension patrimoniale : la culture c’est ce qui est contenu dans les livres et tous les produits d’information, renouvelés par l’informatique : CD, DVD… Une dimension anthropologique : la culture, c’est ce qui fait sens à une personne, qu’elle soit ou nom « cultivée ». Comment dès lors faire exister une culture commune dans cette double dimension, comment faire en sorte que l’idée de culture ne soit pas gommée en convenant que l’ensemble des disciplines telles qu’elles sont aujourd’hui enseignées constituerait la culture ?
4. Pour y parvenir, il convient nous semble t-il de préciser des principes surplombant les disciplines. Au delà de la spécificité de ces dernières, il s’agit de pointer ce qu’elles partagent qui n’en constitue pas seulement un supplément d’âme mais bien un noyau dur. Et nous suggérons trois, de ces fondamentaux d’une culture partagée :
– des finalités en termes de valeurs. Par exemple faire exister une citoyenneté active fondée sur le respect de l’autre, la solidarité, la tolérance, la laïcité, la responsabilité et l’engagement individuel et collectif…. Prenons le temps de les identifier politiquement.
– des principes organisateurs tels que ceux que propose Edgar Morin (2) : les cécités de la connaissance : l’erreur et l’illusion ; les principes d’une connaissance pertinente ; enseigner la condition humaine ; enseigner l’identité terrienne ; enseigner l’incertitude ; affronter les incertitudes ; enseigner la compréhension ; l’éthique du genre humain. Il conviendra de les décliner aux différents niveaux de la scolarité
– des compétences transversales cognitives, méthodologiques ou sociales. Ce que l’on nomme le socle commun.
Les deux premiers de ces fondamentaux nous paraissent constituer les éléments d’une culture commune. Le dernier est plutôt de l’ordre du socle commun. Ainsi devra t-on éclairer entre autres les vocables de compétences, de culture, de socle, de disciplines, d’éducations à….
5. Comment s’assurer que ces fondamentaux d’une culture commune sont présents lors d’un enseignement ? En demandant à l’enseignant à l’occasion d’un apprentissage qu’il conduit, et indépendamment des compétences qu’ils vise à développer, quels éléments d’une culture commune il met en œuvre hinc et nunc. Et en s’assurant que ces derniers sont effectivement présents.
Le prochain conseil supérieur des programmes aura à s’emparer de ces questions, et ce qui nous semble fécond : il arrêtera des programmes (nous préférerions d’ailleurs qu’on parle de curricula) en ne dissociant pas cette question de celle de l’évaluation, et de la formation corrélative, et en se rendant attentif à convenir de ce qui au delà de la somme des disciplines enseignées et au-delà du socle commun constitue cette culture commune.
Michel Develay
Notes :
1 C’est ainsi que nous définissons une compétence :
– un savoir-agir. Distinct d’un savoir faire qui peut être routinier.
– et réfléchi. Pour indiquer l’importance à comprendre quelles connaissances la permettent.
Savoir prendre la température avec un thermomètre digital peut être une routine sans que l’on soit capable d’expliquer ce à quoi correspond la température du corps humain. C’est un savoir-faire et non une compétence
2 Morin Edgar, les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur