En annonçant la mise en place de l’enseignement de la morale laïque, Vincent Peillon chausse les souliers de Darcos et de Chatel. Trois ministres qui ont tenté chacun à leur façon de répondre à une interrogation de la société française. La morale de V Peillon est-elle une réponse de gauche à une question française ? Rétablir son enseignement est-ce une façon de reconquérir l’électorat au moment où les sondages sont particulièrement en berne ?
Rappelez-vous. Août 2011, « Oui, je fais revenir la morale à l’école ». Luc Chatel publiait au Bulletin officiel une circulaire sur l’enseignement de « l’instruction morale » à l’école primaire. Un an plus tard, dans un entretien accordé au Café pédagogique, Vincent Peillon s’animait pour défendre l’idée de l’enseignement de la morale laïque. » Chacun a le droit à sa culture, ses croyances », nous disait-il. « La morale laïque ne doit blesser aucune conscience. Mais à l’école on bâtit le commun, et c’est une faiblesse que d’avoir abandonné cette mission d’enseigner ces valeurs. Si l’école a peur d’enseigner des valeurs émancipatrices, alors les marchands, les intégristes ont tout le terrain pour eux. Si l’école ne se défend plus, elle s’écroule. Je demande aux enseignants de comprendre que c’est une grande fierté pour eux de porter ces valeurs. On ne va pas laisser la laïcité à ceux qui professent la haine de l’autre ».
« La République se fera par l’Ecole »
Certes Vincent Peillon est sincère dans son projet de morale laïque. L’ancien professeur de philosophie, le fin connaisseur de Ferdinand Buisson vibre quand il évoque le projet des fondateurs de la République. Au tournant des années 1880, ils ont su inventer une façon nouvelle de faire de la politique en réutilisant les méthodes de l’Eglise pour installer la République. Ils ont inventé des fêtes, des martyrs, des monuments, des cérémonies, toute une mythologie, tout un arsenal d’images pieuses, de créations historiques, de cercles pour républicaniser les Français. De tout cela, l’Ecole avec ses hussards noirs s’est avérée être le plus solide outil pour construire la société républicaine. C’est ce souvenir qui hante les conceptions de V Peillon. Confronté comme Luc Chatel à une crise sociale et morale sévère il pense que puisque l’Ecole a largement contribué à fonder la République des Jules, elle saura à nouveau recoller les morceaux du mythe éclaté. C’est l’idée, souvent répétée par Vincent Peillon, que « la République se fera par l’Ecole ».
La morale de Chatel à Peillon
A vrai dire, ces phrases font écho à celles de son prédécesseur : » Dans un contexte d’évolution constante des comportements individuels et des usages sociaux, il appartient plus que jamais à l’École, par la voix et l’exemple de ses maîtres, d’asseoir les bases d’un exercice bien compris de la liberté individuelle au sein de la société. »
Car l’un comme l’autre se défendent d’un retour à la morale de grand papa. » Il s’agit avant tout d’aider chaque élève à édifier et renforcer sa conscience morale dans des situations concrètes et en référence aux valeurs communes à tout « honnête homme» », disait Chatel. » La morale laïque, cela n’a rien de vieillot », nous disait Vincent Peillon. « Il ne s’agit pas de réciter des préceptes ou d’ânonner des maximes, mais d’enseigner la liberté, de réfléchir au sens de la vie ». Le ministre donne d’ailleurs une définition très large de la laïcité : « La laïcité consiste à faire un effort pour raisonner, considérer que tout ne se vaut pas, qu’un raisonnement ce n’est pas une opinion. Le jugement cela s’apprend ».
Une réponse pédagogique de gauche ?
Evidemment personne ne saurait être contre l’apprentissage du raisonnement. Et il n’a jamais été interdit à l’Ecole d’éveiller les intelligences. Personne non plus, aucun enseignant pour nier que l’Ecole est une institution qui socialise, où l’on apprend des règles de vie. Tout enseignant consacre une bonne part de son temps à enseigner de la morale , à la mettre en action plutôt qu’en maximes, à la faire vivre plutôt que la dire.
Dans cette situation, l’offre pédagogique de Vincent Peillon est plus agréable aux enseignants que celle de la droite. Certes elle en appelle à l’effort, elle glorifie la valeur de la discipline et la soumission du désir. Mais, foin des maximes de X Darcos, il s’agit surtout de faire réfléchir, de mettre face à des dilemmes les écoliers. Dans le secondaire, de réaliser des travaux interdisciplinaires en s’appuyant sur les IDD et TPE mis à mal par la droite. Si l’Ecole ne peut échapper au retour de la morale, alors autant que ce soit dans une traduction pédagogique acceptable et moderne plutôt que dans le copier coller nostalgique des leçons du 19ème siècle.
Quand les sondages baissent la morale remonte ?
Mais à un an de distance, V Peillon et L Chatel semblent aussi devoir faire face à un problème politique plus immédiat. Tactiquement la question de la morale cible un public précis. En 2011, un sondage du Snuipp montrait que les Français s’inquiétaient de l’ordre et de l’autorité en classe. La demande « d’autorité et de discipline » venait juste derrière l’aide aux élèves en difficulté. Elle est portée principalement par l’électorat de droite. Cet électorat qui commençait à lâcher le patron de Luc Chatel il y a un peu plus d’un an. Et qui contribue radicalement à la chute dans les sondages de F. Hollande. Quand les sondages baissent la morale remonte inexorablement…
François Jarraud