C’est leur circulaire de rentrée. A partir de septembre, selon les nouvelles instructions publiées par ministère de l’éducation, la paye des enseignants variera selon l’évaluation de leur mérite par leur chef d’établissement. L’Angleterre n’est pas la seule à basculer dans de nouvelles conditions de travail pour ses enseignants. Aux Etats-Unis B. Obama incite les districts locaux à aller en ce sens. Mais cette politique est-elle efficace ?
Paye au mérite et temps de crise
En Angleterre, le nouveau texte invite les chefs d’établissement et directeurs à évaluer les enseignants selon les progrès des élèves, la participation des enseignants dans la vie d el’école en dehors des heures de clase, les améliorations apportées aux leçons ou à la discipline dans l’établissement. Ils se baseront sur les visites de classe et les déclarations des enseignants. Mais il sont autorisés aussi à demander l’avis des parents et des élèves. A partir de septembre la nouvelle grille remplacera l’avancement à l’ancienneté.
L’Angleterre n’est pas seule. De nombreux pays de l’OCDE (environ la moitié) ont fait entrer la reconnaissance du mérite de l’enseignant dans sa rémunération. Aux Etats-Unis des districts utilisent les résultats des évaluation nationales pour estimer le niveau de rémunération des enseignants. On peut aller ainsi jusqu’à une paye strictement individuelle. Et la pression en ce sens est d’autant plus forte que les budgets sont contraints par la crise. L’idée c’est que les enseignants sont le premier outil d’amélioration de la productivité de l’école. « L’effet maitre » serait le premier responsable de la réussite des élèves et il y aurait urgence à faire partir les « mauvais maitres » et à encourager les bons.
Une étude hésitante de l’OCDE
En mai 2012, l’OCDE avait publié une étude hésitante sur l’efficacité de cette politique. Selon l’Organisation, dans les pays où le salaire des enseignants est particulièrement bas par rapport au PIB local, la performance des élèves est meilleure avec une paye au mérite. Dans les pays où le salaire des enseignants est élevé, la paye au mérite fait baisser les performances des élèves. Mais encore faut-il que la paye au mérite soit reconnue comme juste et équitable par les enseignants. Enfin l’Organisation insiste aussi sur le fait que la revalorisation de la fonction enseignante est liée à autre chose que la paye, par exemple en proposant de vraies carrières aux enseignants.
Cette position embarrassée de l’OCDE s’explique par une caractéristique propre au métier d’enseignant : il est très difficile d’évaluer le mérite d’un enseignant. Comme le remarque Bruno Suchaut, dans un article donné au Café en 2008, « l’efficacité de l’acte pédagogique (est) en partie liée au contexte d’enseignement, c’est-à-dire à la classe et aux élèves qui la composent. Pour le métier d’enseignant, la définition même du concept de mérite ne va pas donc de soi et nécessiterait de mobiliser des indicateurs nombreux pour l’appréhender dans son ensemble ».
Comment évaluer le mérite ?
Alain Chaptal, auteur d’un ouvrage sur cette question, a présenté la situation de façon très claire. « Entrez dans une salle des profs, passez suffisamment de temps pour gagner la confiance des enseignants, interrogez-les pour savoir si certains collègues ont plus de charisme que d’autres ou bien si certains d’entre eux ne sont pas à la hauteur. Très vite, les réponses vont converger, le consensus se réaliser entre pairs. Poussez plus loin l’exercice, essayez de faire émerger des critères objectifs susceptibles d’étayer ce jugement collectif. Echec sur toute la ligne. D’autant plus que la variabilité des situations est extrême. Tel enseignant qui réussit bien avec la quasi-totalité de ses classes pourra être confronté à de grandes difficultés avec telle autre ». Si le mérite est insaisissable, l’efficacité de la paye au mérite calcule seulement celle de l’incitation financière et du climat de l’entreprise. La question de l’efficacité de la paye au mérite reste ouverte.
En Angleterre, les deux principaux syndicats d’enseignants, le NUT et le NASUWT, appellent déjà à la grève pour le mois de juin. Le fait que le mérite puisse être évalué à partir de racontars d’élèves et de parents pose problème. Pour les syndicats, la paye au mérite détournera davantage de jeunes d’entrer dans le métier d’esneignant. Quant au principal syndicat de chefs d’établissement il est favorable à la réforme mais la juge « risquée ». En France on sait que Luc Chatel a échoué à faire évaluer les enseignants par leur chef d’établissement.
François Jarraud