Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ces 10 ans de bénévolat intensif au chevet des secondes carrières enseignantes ont été extrêmement riches de rencontres et de médiatisation, qu’il a été parfois difficile de canaliser. Avec nos emplois respectifs en parallèle, cette activité bénévole était devenue chronophage au fil des ans pour une si petite équipe comme la nôtre qui s’est étiolée. Il a fallu prendre des décisions lourdes de conséquences pour nous comme pour tous ceux qui aspirent à une seconde carrière hors enseignement. C’est lorsque tout se passe bien dans un projet que l’on ressent moins de regret de l’orienter différemment.
A compter du 1er septembre, Après Prof ne s’occupera plus de mobilité interne pour ses adhérents, car cette mobilité, nous le constatons depuis 10 ans, exige une puissance d’action et de représentation qui n’est pas la nôtre. Lorsque notre équipe a accompagné un enseignant dans sa reconversion et qui est recruté en détachement, nous sommes profondément déçus dans 65% des cas que le recteur ou le Dasen leur refuse tout départ, comme si ce beau métier d’enseignant n’était finalement qu’une prison, comme l’a souligné Christian Chevalier, SG du SE-Unsa, lors d’une interview en 2014.
Les hautes autorités de l’Education Nationale ne savent pas comment redonner de l’attractivité au métier d’enseignant et Aide aux Profs leur dit juste que ce n’est pas en refusant les départs de ceux qui en ont assez que cela changera. Bien au contraire, cela ne fera qu’empirer au fil des années. La GRH de l’Education Nationale ne peut plus durer comme elle a persisté depuis plus d’un siècle. Il n’est plus possible d’empêcher des cadres diplômés d’un Bac+5 dans leur mobilité. Notre pays est au banc de tous les pays d’Europe en la matière, alors que tous les pays développés commencent à connaître une pénurie d’enseignants de plus en plus vive. Il devient temps pour les autorités de l’Education nationale de se remettre en question, et de changer de mode de fonctionnement, de recrutement, de valorisation, de soutien. Il devient temps d’aller vers la confiance donnée aux enseignants dans leur métier. Tant que règnera l’infantilisation et cet esprit de contrôle, il sera de plus en plus difficile de recruter, alors que le taux de chômage est pourtant élevé, des enseignants pour le long terme.
Oui nous avons été fiers et heureux de bâtir ce dispositif, en étant précurseurs dans le domaine de l’aide aux enseignants dans leur reconversion, à une époque où les syndicats se contentaient seulement d’insister chaque année sur « les temps de respiration professionnelle attendus par les enseignants ». L’Education Nationale après l’article 77 de la loi de 2003 portant réforme des retraites, traînait des pieds pour faire sortir les décrets d’application en contrepartie de cet allongement de 4.5 ans de vie active imposé aux enseignants.
La seconde carrière pour les enseignants a-t-elle été créée comme nous le souhaitions par l’Education Nationale ? Oui et non. Beaucoup de choses ont été faites, l’action la plus décisive ayant été réalisé avec Josette Théophile, ancienne DGRH, qui n’était pas issue du sérail institutionnel, et avait un regard très différent du système hiérarchique pyramidal où l’on grimpe à l’ancienneté au fil des ans et des postes vers le sommet pour ceux attirés par les postes de direction et d’encadrement, à peine 4% des enseignants dans une carrière de plus en plus longue. Josette Théophile a mis en œuvre bon nombre des idées que je lui ai proposées ce 20 avril 2010. 14 sur 18 ont été réalisées à grande échelle de 2010 à ce jour. Les IMP sont les dernières en date, en juillet 2015.
Si Aide aux Profs n’avait pas existé, l’Éducation Nationale aurait-elle avancé aussi vite sur ce dossier ? En 2016 la tournure qu’ont pris les secondes carrières nous laissent penser que c’est un grand gâchis. L’Education nationale mobilise des IEN, des IA-IPR, des CMC, de plus en plus surchargés de travail. De nombreux acteurs pour répondre à plus de 10.000 enseignants chaque année ; mais n’a toujours rien d’autre que des postes d’enseignants d’une autre discipline ou des postes d’encadrement en interne à leur proposer, refusant toujours d’imaginer qu’un prof puisse faire autre chose que prof s’il ne devient pas personnel de direction, puisque son statut de prof le bloque dans le métier d’enseignant. Notre système n’arrive pas à imaginer que des passerelles sans concours, basées sur les compétences développées et transférables, et sur l’expérience, puissent être développées. L’avenir est pourtant là, à portée de main, pour redonner de l’attractivité au métier d’enseignant.
Et au lieu de cela, de nombreux DASEN dans les académies de Versailles et de Créteil notamment, et c’est un véritable scandale, refusent les démissions des enseignants, en les décourageant, refusent les renouvellements de disponibilité ou les demandes de première disponibilité, et refusent même les mutations pourtant obtenues !
Le cas des professeurs des écoles de Versailles est édifiant à ce sujet comme le relate le SNUIPP :
http://95.snuipp.fr/95/petitions/2016/index.php?petition=4
L’aide à la mobilité interne la plus efficace ne peut donc pas demeurer associative, ni devenir entrepreneuriale, car elle se heurtera dans tous les cas à cette réalité de terrain : le refus des autorités hiérarchiques de regarder la réalité en face en laissant les enseignants partir, quand ils le souhaitent.
Compte-rendu par Bruno Devauchelle du 3e colloque d’Aide aux Profs :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2016/06/16062016Article636016577287344213.aspx
Quelles ont été les étapes de votre parcours de carrière ?
Je suis détentrice d’une double-maîtrise : communication et médiation culturelle, obtenue à la Sorbonne-Nouvelle en 1994. J’ai ensuite travaillé dans des agences de pubs, des cabinets de recrutement et des organismes culturels. Lassée de la précarité des contrats et attirée par la pédagogie (ma mère est enseignante également), j’ai choisi de passer le CRPE dans l’académie de Bordeaux. J’ai été titularisée dans le département de la Dordogne à la rentrée 1998. J’ai d’abord enseigné en CLIS puis sur un poste de direction, en multi-niveaux dans un petit village. J’ai rejoint le siège national du SE-Unsa à la rentrée 2002.
Pourquoi avoir choisi de s’engager ds un syndicat et pourquoi le Se-Unsa ds un paysage syndical si varié ?
Dès mon année de PE1 je me suis syndiquée au SE-Unsa. J’ai toujours été militante même à petite échelle que ce soit sur le plan associatif ou syndical. Le choix du SE-Unsa s’est imposé car j’ai connu le secrétaire départemental comme collègue ; nous avons beaucoup discuté, confronté nos points de vue et j’ai apprécié immédiatement sa manière de concevoir l’outil syndical. La rencontre avec d’autres militants, tant localement que nationalement dans les rassemblements à Paris m’a confortée dans mon choix. J’ai donc accepté, assez rapidement, de prendre un peu de décharge au niveau de ma section départementale pour m’occuper des jeunes enseignants puis pour siéger en CAPD. C’est pour ses valeurs et les combats qu’il mène, tournés vers la réussite de tous les élèves que j’ai voulu m’y engager davantage au SE-Unsa en acceptant une décharge complète à Paris.
Passionnée de cuisine et vous venez de réaliser un CAP : pour quel projet ?
Je souhaite me reconvertir à terme. Pour l’instant, deux pistes retiennent mon attention : cuisinier à domicile et coach culinaire. Les deux peuvent se combiner, reste à trouver la clientèle ! Je pense opter dans un premier temps pour le statut d’autoentrepreneur pour ne pas prendre trop de risques. Reste quand même à obtenir ce CAP, ce n’est pas encore fait (résultats le 7 juillet) !
Avec le recul que pensez-vous de l’évolution du métier d’enseignant ces 20 dernières années ?
Je pense que le métier a évolué car la société a changé, nos élèves ne sont plus les mêmes et les enseignants non plus d’ailleurs. Personne ne vit en dehors de son temps et tant mieux ! Le métier s’est complexifié sans que l’institution n’y prenne garde, cette dernière étant parfois même à l’origine de cette situation. Je dirais que c’est tout ce qui est satellitaire au cœur du métier qui a pris une place importante. L’empiètement progressif mais bien réel de la vie pro sur la vie perso pèse inéluctablement sur l’état d’esprit des enseignants. Je suis convaincue, comme le SE-Unsa le porte d’ailleurs, que « dans prof il y a pro ». Reste à en convaincre tous les étages de l’Éducation nationale mais parfois les collègues eux-mêmes. La confiance des professionnels envers leur administration est essentielle pour qu’ils s’engagent pleinement dans leur mission : il y a encore du chemin à parcourir en la matière.
Que conseilleriez-vous à un étudiant qui envisage ce métier ?
De lire « Souffrir d’enseigner : faut-il rester ou partir » (lol). Cette boutade pour dire que chacun doit entrer dans ce métier avec le moins d’idées préconçues possibles. Que l’on ait déjà un pied (réel ou supposé) dans l’Éducation nationale à travers un vague souvenir d’écolier, son expérience de vie avec des parents enseignants, ou aucune connaissance de ce milieu, il faut faire face au réel. Enseigner est un métier exigeant, prenant, qui nécessite des compétences professionnelles mais aussi un bagage théorique important. Enseigner est un métier : la vocation et/ou le talent n’y ont que peu de place et surtout ils ne prémunissent d’aucune façon les difficultés d’exercice éventuels.
L’ouvrage cité peut être acquis auprès de l’association Aide aux Profs :
http://www.apresprof.org/
Que conseillez-vous à un enseignant qui a envie de changer de métier ?
Je pense qu’il faut interroger en premier ses motivations : veut-on partir car on en a « marre » ou a-t-on une vraie envie, un vrai projet d’autre chose ? En effet la réponse apportée ne peut être la même dans les deux cas. Je conseillerais aussi à ce collègue d’en parler autour de lui : à sa famille, ses collègues, ses amis, son IEN ou son chef d’établissement… Bref ne pas rester isolé y compris dans ses premiers questionnements. Ensuite il ne faut pas tomber dans deux travers : « je ne sais rien faire d’autre qu’enseigner donc je ne peux pas me réorienter » ou au contraire « je vais passer un concours interne ou une liste d’aptitude ou tenter le détachement, j’aurai bien quelque chose ».
Une réorientation c’est un projet de vie qu’il faut construire et je dis bien « de vie » au sens large et pas uniquement de vie professionnelle. Cela peut engager complètement sa famille, son lieu d’habitation, ses finances, sa disponibilité, son rythme de vie… Il faut se documenter, ne pas partir à l’aveugle. Un organisme comme « Aide aux Profs » est un outil pertinent car fait et animé par des collègues ayant vécu la même expérience ; c’est très sécurisant !
Quel a été votre parcours de carrière depuis votre entrée dans l’enseignement ?
J’ai démarré ma carrière d’enseignante en 2000 en tant que professeur de FLE au Lycée Français de Pékin. Je me suis rendue en Chine afin d’y étudier le Chinois et y effectuer mon stage de fin d’étude FLE.
Une opportunité de poste d’institutrice s’est présentée dès l’année suivante ; j’y ai enseigné 3 ans avant de me rendre à Milan afin de préparer à distance le concours interne de professeur des écoles. En effet, obtenir ce concours me donnait davantage de liberté dans ma mobilité, que ce soit en France ou à l’international.
Titulaire de l’Education Nationale en 2005, j’ai poursuivi mon parcours d’enseignante durant 4 ans dans le Val de Marne en ZEP.
En 2009, j’ai co-créé à Cassino, en Italie, le projet pédagogique d’un centre d’activités scolaires et extrascolaires allant de l’aide au devoir, l’accompagnement sur mesure, à différents ateliers à thématiques variées (philosophie, motricité, théâtre, danse, etc.).
Une fois le centre Ma.Ga. centro aggregativo ouvert, je suis revenue à mon métier d’enseignante en 2011.
J’ai poursuivi ma carrière à l’International, d’abord à Rome, puis Florence, et enfin Casablanca, où je termine actuellement mon année scolaire.
Pourquoi avoir choisi d’enseigner à l’étranger et de changer aussi souvent de pays ?
Je suis née en France de parents migrants, mon père est italien et ma mère espagnole, née en Algérie.
Depuis ma naissance, en raison de l’activité professionnelle de mes parents, j’ai vécu en expatriation sur 3 continents différents (Europe, Afrique, Asie). Pour moi, cela a été une expérience sensorielle très forte qui m’a construite dans mon identité multiculturelle.
Voyager est devenu ma « normalité », je ne me sens appartenir à aucune terre en particulier. Je déménage au gré des opportunités qui se présentent à moi, et j’ai beaucoup de plaisir à découvrir de nouveaux environnements.
Enseignement et cultures sont très fortement liés, ma posture d’enseignante dans un contexte plurilingue me demande une curiosité et une flexibilité qui me passionnent.
Quelles compétences avez-vous développées et qui vous paraissent utiles dans d’autres métiers ?
J’ai eu la chance de pouvoir apprendre 6 langues (italien, anglais, espagnol, arabe, chinois, portugais) et aujourd’hui je parle couramment 4 d’entre elles. J’ai déjà utilisé ces compétences linguistiques dans le domaine de la traduction et de l’interprétariat, ainsi que dans des projets d’enseignement trilingues. Parler plusieurs langues est une porte d’accès à une multitude de ressources et d’informations et au-delà de l’aspect linguistique, une sorte de clé ou de passeport multiculturel.
Les partenariats avec les différents acteurs du secteur éducatif m’ont permis également de développer un sens aigu du relationnel, avec l’acquisition de techniques telles que la discipline positive et la communication non violente.
Les différents ateliers que j’ai animés dans ce contexte m’ont procuré une aisance, une facilité à communiquer et à transmettre.
Par ailleurs, accompagner le développement de l’enfant nous apprend à être à l’écoute, à cibler les besoins et concevoir une approche pédagogique adaptée. Quel que soit le contexte professionnel dans lequel on évolue, toutes ces compétences sont nécessaires dans l’élaboration et le pilotage d’un projet.
Enfin, je suis également photographe ; la spontanéité et la créativité que m’apporte ce parcours artistique enrichissent quotidiennement mon activité professionnelle.
Avez-vous envie de ré-enseigner en France ? Pourquoi ?
J’ai le sentiment d’être arrivée à un croisement de ma carrière, et je sens qu’il est temps pour moi de quitter la classe en tant qu’enseignante pour me réorienter professionnellement.
J’aurais un grand plaisir à revenir en France d’autant que je vois qu’il existe de nombreuses passerelles de reconversion pour moi.
Je trouve qu’il y existe un réseau et des ressources extrêmement intéressants. Aussi je suis convaincue de belles collaborations possibles.
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite enseigner à l’étranger ?
Les postes d’expatriés (MAE) sont les plus rares et davantage localisés dans des pays à risque. Les conditions financières de ces postes sont très avantageuses mais les profils recherchés très ciblés.
Obtenir un poste de résident reste la meilleure option, car à l’image des postes d’expatriés, ils permettent de conserver un statut de fonctionnaire. Ces postes sont néanmoins très demandés à l’étranger, que ce soit via l’AEFE ou la MLF, il y a donc une compétition non négligeable.
La dernière alternative concerne des postes de contrats locaux que l’on peut obtenir si on est en disponibilité ou non titulaire de l’EN.
Ce que je conseille aux personnes motivées est d’obtenir une disponibilité et de partir une année en contrat local. Un poste de résident est quasiment assuré l’année suivante puisqu’un recruté local titulaire en poste est prioritaire en cas de recrutement.
Vous venez de quitter votre poste à Casablanca. Pour faire quoi maintenant ?
Comme je l’ai mentionné précédemment, je suis en pleine reconversion professionnelle. Je suis actuellement dans une démarche de bilan de compétences et je commence à définir de nouveaux chemins possibles. Ce qui est important pour moi est de continuer à m’épanouir professionnellement, avec un intérêt marqué pour le développement personnel et l’humain.
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