Qu’est-elle allée faire dans cette galère ? C’est peut-être ce que se dit N Vallaud Belkacem après avoir réceptionné le 13 février le rapport du jury de la conférence nationale sur l’évaluation. Un rapport « qui fera date », dit la ministre. Mais elle réserve ses décisions pour avril. La ministre veut aller vers « une évaluation positive des acquis des élèves ». Elle veut « abandonner un système qui décourage les élèves et accentue le déterminisme social ». Mais elle décide que la voie empruntée n’est pas la bonne. Le rapport proposait une vision centralisée et normée de l’évaluation. Derrière cette question de la réforme de l’évaluation c’est bien la conduite du changement qui est interrogée. La ministre aurait-elle découvert qu’on ne change pas des pratiques pédagogiques en décrétant le changement ? [modifié à 16 heures le 13/02/2015]
De Benoit Hamon à Najat Vallaud-Belkacem
Les 11 et 12 décembre, sous l’autorité de la Dgesco (direction de l’enseignement scolaire du ministère), plusieurs centaines de personne participent à une « conférence nationale sur l’évaluation » où se succèdent experts et représentants d’établissements. Le programme est à sens unique et défini par la Dgesco et un jury de 30 personnes est recruté, toujours par la Dgesco, et confié au physicien Etienne Klein.
Quand le jury se réunit la réflexion officielle sur l’évaluation est déjà fortement cadrée par la loi d’orientation et par la circulaire de rentrée. Celle-ci fixe clairement comme objectif de « faire évoluer les pratiques d’évaluation des élèves ». Elle explique qu’il « s’agit d’éviter que l’évaluation ne soit vécue par l’élève et sa famille comme un moyen de classement, de sanction, ou bien réduite à la seule notation ». Elle rappelle que la loi d’orientation « appelle à faire évoluer les modalités d’évaluation des élèves vers une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles, pour mesurer le degré d’acquisition des connaissances et des compétences ainsi que la progression de l’élève. » Selon le texte ministériel, les contenus évalués devront être » précisés à l’avance, les objectifs et les critères de l’évaluation sont énoncés et explicités ». La communication des résultats de l’évaluation devra être « accompagnée de commentaires précis mettant en évidence non seulement les erreurs, les insuffisances, les fragilités, mais aussi et surtout les réussites et les progrès de l’élève afin de lui permettre d’en tirer le meilleur profit ». A l’école comme au collège l’évaluation s’appuiera sur les compétences du socle commun. « Dans cette perspective, la notation chiffrée peut jouer tout son rôle dans la démarche d’évaluation dès lors qu’elle identifie les réussites comme les points à améliorer et indique à l’élève les moyens pour améliorer ses résultats », précise la circulaire. C’est dire qu’elle n’est plus jugée suffisante. La circulaire invite fermement les enseignants à associer note et évaluation des compétences. « Au collège, les évaluations sont restituées sous deux formes compatibles et complémentaires : notation chiffrée et renseignement des compétences ».
Mais il apparait aussi que cette circulaire reste lettre morte. La situation réelle, évaluée par un rapport d’inspection, c’est qu’à l’école on a généralement une évaluation par compétences et non chiffrée alors qu’au collège c’est l’évaluation traditionnelle qui domine largement, même si un nombre croissant de collèges expérimentent l’évaluation par compétences. Cependant ceux-ci se sont généralement affranchis du livret de compétences (LPC) qui a laissé un souvenir cuisant aux enseignants.
C’est Benoit Hamon qui a mis dans les objectifs du ministère la conférence sur l’évaluation avec sans doute l’objectif de l’utiliser pour mettre en pratique sa circulaire de rentrée. Arrivée rue de Grenelle, N Vallaud-Belkacem a décidé de s’engager à son tour dans cette voie en s’appuyant sur un rapport d’un jury réuni par la Dgesco.
Une évaluation normalisée et centralisée
Remis le 13 février, le rapport du jury animé par E Klein propose une vision centralisée et normative de l’évaluation. Il y a dans ses recommandations la volonté de se doter d’instruments numériques de pilotage par des évaluations locales. Ainsi le jury recommande de bien séparer évaluation formative et sommative. Celle ci n’aurait plus lieu que selon « un tempo précisément inscrit dans les programmes ». Ces évaluations « suivront le rythmes des cycles et pourront être traduites sur des échelles de performances indiquant les degrés d’acquisition des compétences. Des outils standardisés produits par la Depp (ministère) garantiront d’une part une harmonisation des objectifs d’acquisition , d’autre part la compatibilité entre le niveau d’exigences posé et l’objectif assigné à l’éducation nationale de mener toute une classe d’âge à la maitrise des compétences du socle commun ». Le président du jury rappelle le 13 février ce souci de normalisation. « Il y a une très forte hétérogénéité des pratiques … Il conviendrait d’harmoniser les pratiques ». Le rapport préconise donc la mise en place d’un système d’évaluation national. Tout en reconnaissant en début de rapport que bien des choses, y compris le contexte, peuvent agir sur les résultats, il envisage de faire reposer une évaluation politique des objectifs ministériels sur des évaluations menées nationalement dans les classes. Là on peut au moins dire qu’on n’est plus dans le domaine d’une évaluation scientifique. L’évaluation serait aussi normée dans l’établissement. Enfin l’affectation en fin de 3ème reposerait sur le niveau de maitrise des compétences.
Le retour du livret de compétences
L’expression « livret de compétences » a échappé une fois dans le rapport. En général l’expression utilisée est « livret de suivi de cycle ». Il s’agirait d’un livret numérique rempli par les enseignants et permettant le dialogue avec les parents. Ce livret évaluerait les compétences du socle sous une forme plus précise que acquis/non acquis.
L’abandon de la note
Le rapport préconise l’abandon de la note du CP à la 5ème. Au cycle 4 (5ème à 3ème) on aurait des notes mais reposant « comme dans les cycles précédents sur des grilles de référence et un livret de suivi de cycle ». La note ne serait qu’une transcription de l’évaluation par compétences et il n’y aurait plus de moyenne. On retrouverait la notation traditionnelle en lycée.
Comment valider le brevet ?
Arrivé à la question du brevet, le jury s’est trouvé pris dans ses contradictions. Il a élaboré une procédure compliquée. Le DNB serait accordé d’une part au vu d’un « livret de compétences » qui s’appuierait sur des évaluations sommatives « dont les contenus sont puisés dans une banque nationale ou académique », d’autre part selon les résultats aux épreuves du DNB. Ces épreuves comporteraient une épreuve écrite d’examen définie nationalement renvoyant à plusieurs disciplines, deux projets personnels pluridisciplinaires menés en 4ème et 3ème et une épreuve orale de langue vivante. C’est le jury d’examen qui validerait définitivement le livret de compétences rempli par les enseignants de 3ème a précisé, à notre demande, le jury.
Où va la ministre ?
On retrouve dans ce rapport du jury des orientations différentes. D’abord une vision très étatique et centralisatrice avec des outils numériques nationaux de contrôle de l’évaluation. Il est clair que sa mise en place réduirait beaucoup la liberté pédagogique des enseignants et les transformerait en correcteurs trimestriels de grilles nationales. Ce système informatisé permettrait au ministère de piloter le système et de répondre aux indicateurs de la loi de finances. On croyait ces systèmes d’évaluation nationale écartés depuis l’échec des évaluations Blanquer. Les voici qui reviennent avec la même argumentation pseudo scientifique et la même origine. Le ministère a laissé publier récemment des statistiques qui permettent à des entreprises de proposer un palmarès des collèges. On frémit à l’idée que de nouvelles données numériques viennent alimenter ce système pervers.
On trouve aussi la trace d’un autre courant qui s’inspire des pédagogies constructivistes avec ces travaux pluridisciplinaires de 4ème et 3ème. Cela rétablirait les IDD, un dispositif remarquable mais mis à mort rapidement pour récupérer ses moyens. Le mariage des deux donne ce monstre que serait le brevet défini par le jury.
Interrogée par le Café pédagogique, Florence Robine, directrice de l’enseignement scolaire, se montre prudente. Elle estime qu’il « est trop tôt pour prendre une décision » tant que le CSP n’a pas livré les programmes et le socle. C’est au vu de leurs attendus que le ministère décidera. « Il y a une réflexion à mener pour mettre à disposition des équipes pédagogiques des documents de qualité pour qu’ils puissent apprécier le niveau des élèves si c’est la décision de l’équipe » nous dit-elle à propos de la volonté d’harmonisation. « Positionner les compétences des élèves par rapport aux attendus du socle est indispensable ». L’ outil d’évaluation doit être « souple un peu automatisé avec des instruments qui permettent de ne pas avoir de grille complexe ».
Finalement la ministre a choisi d’attendre. Après avoir rappelé « qu’il n’a jamais été question de supprimer les notes », la ministre donne rendez vous en avril. « Je m’appuierai sur vos recommandations et sur les propositions du CSP pour la validation du socle commun », a-t-elle dit. En attendant les écoles qui ont déjà largement abandonné les notes continuent leurs évaluations. Et les collèges qui y sont restés largement fidèles également.
« Il y a des rapports qui dorment dans les tiroirs, d’autres qui fermentent et d’autres encore qui germent », aime à dire l’historien Antoine Prost. Apparemment le rapport du jury fait partie des premiers. Pour pouvoir réaliser les changements voulus par la loi d’orientation, il semble que la ministre réfléchisse à une autre stratégie. On ne peut que lui conseiller la réflexion de Vincent Dupriez sur la réforme en éducation. « Souvent les réformes correspondent aux seules volontés des décideurs. J’insiste sur le fait que la réforme doit se faire avec les enseignants. Cela demande de la modestie aux décideurs. Ils doivent accepter l’idée que l’appropriation par les enseignants de la réforme va la transformer. Ils doivent reconnaitre qu’il est légitime que les enseignants aient le pouvoir sur le contenu de leur travail et leurs pratiques« .
François Jarraud
Dupriez
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/02/10022015Article63[…]
La conférence sur l’évaluation
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/12/15122014Article63[…]
Conférence sur l’évaluation 1er jour
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/12/12122014Article63[…]
Évaluation : Une conférence pour quoi faire ?
http://cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2014/12/11122014Article63[…]
Rapport de l’inspection
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/98/7/Rapport-IGEN-2013-072[…]
Lussault le 8/2/2015
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/02/09022015Article635[…]
Alors que le ministère de l’éducation nationale s’apprête à rendre son verdict sur les modes d’évaluation, l’équipe de Pisa, l’évaluation internationale de l’OCDE, publie une analyse sur l’évaluation en math qui montre la place des facteurs psychologiques et du contexte de l’épreuve dans la réussite. Est-ce à dire qu’un exercice de maths évalue autre chose que des connaissances ? Comment dans ce cas préparer les élèves à le réussir si le contexte, quelque chose qui dépasse le savoir disciplinaire, a sa place dans ce qui est évalué ?
Le rôle du stress dans la réussite
« Selon les résultats de l’enquête PISA 2012, les pays et économies où les élèves tendent à faire état de niveaux plus élevés d’anxiété vis-à-vis des mathématiques sont aussi ceux où ils tendent à obtenir de moins bons résultats dans cette matière », annonce Pisa à la loupe n°48, une publication de l’OCDE. Pisa permet d’établir cette corrélation entre le niveau des élèves et l’anxiété déclarée par les élèves en maths. En Finlande en Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, les élèves ont un taux de stress très faible envers les maths et ils ont un taux de succès au plus haut. Inversement en Argentine, au Brésil, au Mexique, les maths terrorisent les élèves et leurs résultats sont très faibles. Évidemment cette corrélation n’explique pas tout. Par exemple les jeunes Singapouriens ou les élèves de Shanghai ont un taux de stress moyen mais leurs résultats ne le sont pas. En France d’ailleurs on se sort plutôt bien d’un niveau de stress élevé. Pisa interroge les élèves sur ce qu’ils ressentent face aux maths. Et là les notes apparaissent comme le premier facteur de stress. « Je m’inquiète à l’idée d’avoir de mauvaises notes ». Ajoutons que ce stress est particulièrement ressenti par les filles et qu’il contribue à leur échec.
La culture scolaire contre la réussite de tous ?
Plus intéressant, Pisa permet d’observer l’influence de l’environnement scolaire. Par exemple, le classement. » Les élèves obtenant de bons résultats en mathématiques, mais fréquentant un établissement où les autres élèves obtiennent de meilleurs résultats qu’eux, tendent, en moyenne, à faire état d’une plus grande anxiété vis-à-vis des mathématiques que les élèves affichant un niveau de performance similaire, mais fréquentant un établissement où les autres élèves obtiennent de moins bon résultats qu’eux. Dans certains systèmes d’éducation, la réussite des élèves se mesure en fonction de leur capacité à faire mieux que leurs pairs, l’éducation apparaissant alors comme un jeu à somme nulle », écrit l’OCDE. Et là la France se classe dans les plus mauvais systèmes. L’anxiété des élèves français est parmi les plus fortes lorsque leurs pairs obtiennent de meilleurs résultats.
Pisa 2009 avait souligné l’importance du stress dans les résultats des élèves français, lisible dans la masse des questions non répondues. Mais déjà en 2005, Emmanuelle Neuville et Jean-Claude Croizet attiraient l’attention dans le Café pédagogique sur l’importance du contexte scolaire dans la production intellectuelle. « Il semble que, au delà des capacités intrinsèques de l’élève, le contexte de la classe et les réputations qu’il véhicule apparaissent comme de puissants régulateurs de la performance scolaire », écrivaient-ils. « Ici, la peur de ne pas paraître « intelligent » ou celle de confirmer une mauvaise réputation pourrait donc contribuer à la production intellectuelle en l’altérant ». Un exemple frappant est donné à travers les résultats à un exercice, largement mauvais quand on le présente comme de la géométrie et largement bons quand on le présente comme du dessin.
Que peuvent faire les profs ?
« Les professionnels de l’éducation devraient se préoccuper du fait que la majorité des élèves éprouvent de l’anxiété vis-à-vis des mathématiques. Les enseignants qui utilisent des méthodes pédagogiques formatives avec leurs élèves, en leur indiquant par exemple s’ils travaillent bien en mathématiques, quels sont leurs points forts et leurs points faibles, et/ou ce qu’ils doivent faire pour progresser, les aident à faire diminuer leur niveau d’anxiété », explique l’OCDE. L’organisation nous invite donc à prendre en compte le statut de l’évaluation et sa forme. Deux préoccupations qui sont au coeur de la démarche engagée par le ministère sur l’évaluation.
Comment est-il possible de remédier à de tels effets ? Même si l’approche psycho-sociale que nous proposons ne constitue pas l’unique explication à certains problèmes scolaires, elle a l’avantage de situer le problème dans le contexte classe plutôt que dans le manque de capacités intellectuelles des élèves. Il est dès lors plus facile pour l’enseignant de changer des éléments de ce contexte afin d’aider ses élèves en difficulté. En 2005, Emmanuelle Neuville et Jean-Claude Croizet posaient des pistes. « Cela peut se traduire, par exemple, par un moindre recours aux oppositions garçons / filles au sein de la classe pour éviter de rendre une identité de genre (et les réputations associées à cette identité) plus saillante qu’elle ne l’est déjà. Cela peut également se traduire par une action sur la situation en elle-même, pour la rendre moins évaluative. Bien qu’il semble difficile de faire croire aux élèves que certains examens (brevet, baccalauréat) n’ont pas pour objectif d’évaluer leurs compétences, l’enseignant dispose tout de même d’une marge de manoeuvre pour manipuler l’habillage des exercices (rappelons nous que la simple étiquette géométrie ou dessin change la performance d’un élève réputé négativement sur le plan intellectuel). Ainsi présenter les activités scolaires comme finalisées par un but qui n’est pas l’évaluation des compétences des élèves mais plutôt comme un projet de classe… pourrait alors avoir des effets bénéfiques sur une performance très dépendante du contexte social dans lequel elle est produite ». Tout était déjà dit.
François Jarraud
Pisa à la loupe
http://www.oecd-ilibrary.org/docserver/download/5js6b2579tnx.pdf?expires=[…]
Neuville et Croizet
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/2005/analyses_[…]
Pisa 2009
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2009/106_PisaetPirls.aspx
La conférence sur l’évaluation
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/12/15122014Article63[…]
LPC ou pas ? Quelle évaluation ?
http://cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2015/02/12022015Article63[…]
Sur le site du Café
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