Le numérique favorise l’écriture en réseau : peut-il alors favoriser la coopération entre les classes et les niveaux, en particulier dans le cadre de la liaison cycle 3, toujours à fortifier ? C’est le pari du projet « e-maginaires » développé dans la Sarthe depuis 2015 : les classes du département sont invitées à bâtir des fictions autour de genres dont elles s’approprient ainsi les particularités (robinsonnade, science-fiction, conte …) et les élèves via leurs personnages entrent alors en relation épistolaire. Ainsi, au Mans, les 6èmes de Sophie Rousseau, du collège REP + Vauguyon, et les élèves d’Estelle Lallier, de l’école Michel Ange, ont-ils partagé leur créativité pour la faire fructifier. Eclairages sur un projet qui non seulement profite aux élèves, mais « rayonne » sur le quartier et apprend aussi aux enseignants « à se connaître et à collaborer »…
Dans quel contexte le projet est-il né et a-t-il été mené ?
L’opération « Chroniques e-maginaires » est un projet départemental, piloté par des formateurs du 1er degré depuis déjà quelques années. Chaque enseignant s’inscrit pour sa classe à la rentrée et une demi-journée de formation est organisée vers le mois de novembre pour présenter les modalités de travail et les enseignants. C’est aussi le moment de répartir les genres littéraires : on nous a confié le conte merveilleux.
Comment avez-vous présenté le projet aux élèves ? Comment ont-ils réagi ?
Je leur en ai parlé dès le jour de la rentrée scolaire. Le projet était intégré à ma progression annuelle. En revanche, je ne savais pas encore sur quel chapitre ce projet d’écriture numérique allait se greffer. Quand je l’ai su, suite à la demi-journée de formation, j’ai pu finir de leur présenter les grandes lignes de notre mission.
La 1ère étape de travail a été consacrée à « l’acculturation » : en quoi a-t-elle consisté précisément ?
A lire ! Nous avons fait beaucoup de séances en co-animation avec la documentaliste. Lecture, seul, à voix haute, restitution de sa compréhension, immersion dans l’univers merveilleux. Les collègues du 1er degré nous avaient prêtés une malle remplie d’albums : nous sommes donc partis des lectures de leur enfance, des versions abrégées des contes, des réécritures, des parodies. C’était court, facile à lire seul et cela faisait appel à leurs souvenirs de maternelle / primaire. Ils ont beaucoup aimé ce moment.
Comment avez-vous mené la phase d’écriture collaborative ?
Suite à la lecture des albums, nous sommes entrés dans la littérature « pure », dans les textes fondateurs du genre (Perrault, Leprince de Beaumont, Grimm…). Nous avons étudié les invariants du genre. Puis nous nous sommes lancés dans la recherche de leur univers. Ils ont travaillé en groupe pour définir le profil de leur héros. Chaque groupe a présenté sa production et la classe a élu le héros de son choix. Sacha Stax est le produit des inventions de tous les groupes. Ensuite, j’ai affiné les consignes d’écriture en fonction du profil des élèves.
Le rôle de l’enseignant(e) est de confier des missions adaptées à chaque élève, de corriger, réorienter le travail, de faire des choix parfois et de veiller à la cohérence de l’univers. J’ai choisi d’être la seule administratrice du mur Padlet, c’est donc moi seule qui ai publié leurs travaux, mais on peut tout à fait imaginer confier cette mission aux élèves.
Une troisième étape fait intervenir le numérique : pour quelles tâches ? comment le numérique en particulier favorise-t-il ici la différenciation pédagogique ?
Avant tout pour le tapuscrit : il fallait réécrire ce qui avait été produit en classe sur les cahiers, harmoniser l’ensemble, mettre en page une lettre, des illustrations, des capsules sonores et enfin créer notre univers sur Padlet.
J’ai la chance d’avoir eu à mes côtés une assistante pédagogique à plusieurs reprises. La différenciation a donc été favorisée : je pouvais à la fois aider ceux qui étaient devant les écrans, gérer ceux qui répétaient leurs textes à voix haute, ceux qui finissaient de rédiger sur leurs cahiers…
Le numérique motive les élèves : les plus performants y passent du temps car ils testent et produisent ; les plus en difficultés ont hâte d’en finir avec le manuscrit pour passer au tapuscrit. Enfin, le produit fini sur le mur Padlet est très flatteur et met en valeur toutes leurs productions. Cela concrétise le projet. Ils peuvent également se connecter de chez eux pour montrer le mur à leurs familles. Nous avons également publié leur univers sur le blog du collège.
Quelles interactions suscite la phase de correspondance entre les classes ?
Les élèves sont assez curieux de savoir ce que l’autre classe a imaginé. Même si les 6èmes ont toujours plus de mal à s’intéresser aux « petits » CM2… Difficile pour eux de regarder en arrière ! Ils avaient, au départ, un peu de mépris même à leur égard. De fait, prendre connaissance de leur travail et devoir leur venir en aide, par univers interposés, crée une émulation collective, suscite au final de l’empathie et de la bienveillance.
Au final, quelles satisfactions tirez-vous de ce projet d’écriture collaborative interclasses ?
Tout d’abord la satisfaction personnelle d’avoir mis mes élèves au travail (lecture, écriture, oral), de les avoir fait travailler ensemble, d’avoir mené un projet sur la durée dans lequel chacun s’est investi à sa mesure.
Ensuite, le rayonnement du projet au niveau du quartier est intéressant dans le cadre de la liaison du cycle 3. Finalement, grâce à ce genre de projet, les enseignants aussi apprennent à se connaître et à collaborer !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Sur le site de l’académie de Nantes
Le mur padlet des 6èmes de Sophie Rousseau
Le mur padlet des créations des écoliers d’Estelle Lallier